mercredi 21 octobre 2009

Qui dore dîne

"Il s'agit impérativement de comprendre que l'enjeu libertarien dépasse de très loin le problème circonscrit du libéralisme actif."
Le philosophe François Mauvenargues se gratte le menton. Chacun de ses mots importe. Il savoure sa notoriété. Pendant longtemps, il a souffert de son manque de reconnaissance. Avec le succès prodigieux dont il bénéficie depuis des années, chaque sortie est un événement. On le congratule pour des productions qu'auparavant on ignorait. Mauvenargues se lance dans des projets politiques, des considérations diététiques, des réalisations esthétiques... Il passe à la radio. Il crée les Universités du peuple.
Son leitmotiv, c'est le Peuple. Il est libertarien, anarchiste, nouvelle mode. Il dîne avec son éditeur. Thierry Maupin le jeune sexagénaire compte parmi le fretin influent de l'édition. Il est un directeur de la maison Garcet, seconde de France en importance - Maupin ajoute que c'est la première en influence. Maupin est un sioniste, qui joue le ministre de l'Intérieur et l'éminence grise de l'intellectuel le plus médiatique de France - un autre sioniste prétentieux et arrogant, le narcissique Luc Méribel.
"Le tentation de concilier le libéralisme avec le capitalisme est la gageure de notre époque formatée. Pourtant, je suis persuadé qu'en définissant le capitalisme comme le paradigme paroxystique de la production privée, on peut arriver à reconsidérer le capitalisme comme le lien entre l'économie et le libertarisme..."
Maupin se recoiffe et boit une gorgée de l'excellent bordeaux qu'il a commandé. Il commence à en avoir assez du baratin de l'intarissable Mauvenargues. A force de répéter partout que Mauvenargues est génial, extraordinaire, bouleversant, rebelle, hors du commun, dans les marges, il a bien peur d'être parvenu à ses fins. Son petit clou gît dans les choux.
Au début, quand ils se sont connus, Mauvenargues était trentenaire, timoré et nerveux. Maintenant, c'est un quadragénaire accompli, qui cultive ses bouclettes grisonnantes en développant un ton chuintant et infatué. Maupin n'est pas dupe. A force de défendre les plus forts, il a développé un sens infaillible pour distinguer les salauds qui assument des petits joueurs qui simulent. Pas de doute, Mauvenargues est le prototype du gaucho que l'on manipule à merci et qui gagne en bêtise repue à mesure que son taux de notoriété croît.
"Il serait temps de façonner l'éthique postnietzcshéenne et postanarchiste du Futur. Le postcapitalisme triomphant. Spinoza peut nous aider dans cette entreprise ardue et méritante..."
Maupin réajuste sa cravate. Il fait montre d'une élégance impeccable et stricte. Avec le temps, il a fini par abandonner ses prérogatives de Don Juan, sans dédaigner le registre du vieux beau. Cette fois, il est à bout. Il n'en peut plus. Le babillage du philosophe bobo-libertarien-marginal l'insupporte. Il se souvient des qualités du bon-à-rien. Mauvenargues est un chic type, Mauvenargues l'a défendu contre vents et marées quand son fils l'a poignardé.
Maupin a vécu un drame à la César. Au firmament de Saint-Germain, en plein cœur de la mode et de la capitale. Particulièrement fier de son rejeton, un frimeur qui se sent au-dessus des mortels parce qu'il est agrégé de philosophie et qu'il a réussi à entrer dans le saint des saints : l'École Normale Supérieure de la Rue d'Ulm. Il a confondu les saints et les seins. Fils Maupin était sensé incarner le prolongement de la réussite paternelle.
Maupin père collectionnait les maîtresses. Un jour, il a inclus à son palmarès une
top reconvertie dans la chanson. Une artiste, d'une famille de milliardaires, elle est juive, sioniste : le parfait parti-pis. Dans les dîners, il fait bon la présenter. Elle charme les artistes par son accent minaudé et ses manière de diva sans voix.
Eh bien, David a piqué la maîtresse à son père! David a refait le coup des dynasties dégénérées de la Rome antique. David était le professeur des plus prestigieux établissements. A Paris, sur son nom, par ses relations, l'École des Études Philosophiques lui tendait les bras - il faut montrer patte blanche pour pénétrer et l'on n'a pas l'habitude d'accueillir les petits jeunes.
Pour le
fun, David était fan des projets peuple du people Mauvenargues. Mauvenargues est persuadé d'avoir révolutionné l'histoire de l'enseignement. Il a créé en province, loin de Paris, en plein cœur de la Lorraine, à Eonville, une Université du peuple ouverte aux caprices des auditeurs. Mauvenargues joue sur du velours. Avec sa notoriété et son entregent, il n'a eu aucune peine à réunir une équipe de collabos. Le top des intellos. Chacun intervient dans un domaine de la philosophie ou des sciences humaines.
David Maupin a accouru. Il se considère de la caste des innovateurs qui viennent s'amuser. David a flairé le filon : se la jouer. Qu'on le prenne pour un jeunot, un créateur, un avant-gardiste, un aventurier, un original. Qu'on l'associe à une aventure qui ne peut lui nuire. En se tapant la maîtresse du père, David a brûlé le joujou. Dare-dare, les relais de la censure ont entonné l'air des lampions. Mauvenargues dressé comme un soldat lui a intimé de prendre ses cliques - ou c'est la claque. L'Université du peuple d'Eonville est le lieu de l'honnêteté, pas de la débauche!
Mauvenargues milite pour l'hédonisme moral. Il prouve en actes qu'il est fidèle. Qu'il contre les dérapages inconsidérés. Dans sa jeunesse, a-t-il dédaigné la gueuse? Pas question de trahir les amis ou les parents. David s'est comporté comme un dégénéré qui confond l'hédonisme avec la perversité.
Mauvenargues se devait de réagir. Il a exclu du circuit libertaire le mouton noir, le puant qui empeste la consanguinité et l'inceste rances. Il a choisi son camp, son éditeur, sa famille. Exit le fils, place à la philosophie! Mauvenargues vit un destin hors du commun. Avec ses amis ouvriers, il projette d'ouvrir des succursales. Des potes prolos quand on est philosophe engagé, ça fait gros lot. On se fabrique un destin. On prépare son festin.
"Il serait temps de régénérer le capitalisme en l'ouvrant sur des champs moins libéraux..."
Maupin a peur de mal comprendre.
"Bien entendu, j'ai entièrement confiance dans tes intuitions créatives, mais...
Il prend son temps. il approche sa main du verre et se retient.
"Tu veux vraiment faire la révolution?"
D'un point de vue éditorial, un révolutionnaire, c'est bien, à condition qu'il demeure dans les limbes de la révolution théorique.
"Ce n'est pas le capitalisme que je veux abolir... C'est le libéralisme..."
Maupin sourit - soulagé.
"C'est effectivement plus clair. C'est une idée... Une idée!"
Soudain pris d'effervescence, il lève son verre.
"Au capitalisme libertaire!"
Mauvenargues hoche la tête et acquiesce.
"C'est une formule. Tu as le sens de la formule. Avec ta permission, je vais reprendre cette expression!
- Mais bien entendu. C'est aussi à ça que sert un éditeur!"

David Maupin fanfaronne. David a retrouvé la bourre. Deux ou trois années de vaches efflanquées, il revient en force. Son coup de vice a manqué d'achever sa vie? "
Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort." David kiffe en force la citation et se la ressasse en boucle dans sa petite tête normalisée. Normale Sup et les réseaux, c'est ce qui l'a sauvé. Également son père, qui a fini par pardonner l'errance.
David s'est séparé du top motel. La mère de son fils n'est plus le modèle. Divorce définitif. La réconciliation avec le Grand Paternel n'a pas été simple. David a ramé, dans des universités de province. Le toujours Normatif avait dilapidé le vent en poupe. Revenu à Paris, David est remonté en grâce. Son père fait et défait les carrières. A la bourse familiale, l'action David est recotée tout en haut de l'indice des valeurs. Comme au bon vieux temps.
David savoure. D'ici quelques années, il sera à la mode. Il a surmonté son
numéroff. L'amour aveugle. Mille sabords. Mille excuses. Sous le philtre, on beugle. David s'est démené. Il chauffe les salles. Il milite pour la philosophie accessible. Il anime une émission d'entretiens sur Radio-Culture, la radio-culte des érudits branchés. Depuis la rentrée, il est promu présentateur d'une émission de philosophie sur La Cinq, le correspondant télégénique de Radio-C.
Il arbore une nouvelle coupe et une compagne champagne, du pétulant plus présentable que la gaga précédente. Il sort une petite actrice vaguement parisienne et sioniste. C'est son rayon. Il se rassure en répétant qu'il a connu sa crise d'ado
après vint-cinq ans. Il est si jeune! Trente ans, c'est moins que l'âge du Christ! Son père irradie. Senior tient en son fils fucking le digne remplaçant du vieillissant Méribel.
David a l'instinct des héritiers présomptueux? Quand on veut hériter, on se débarrasse des amis. David sait trop qui il est : comme son père. Son père est un narcisse sans reflet, mais c'est son père. Il n'a pas le choix des âmes. Ses pairs sont des ânes, sa famille, sa fratrie, son sionisme. Sans eux, il n'est rien. Il est comme ils sont. Ils sont comme il hait. Il a mis du temps à accepter l'évidence : dans la vie, la méchanceté paie. Tuer son ami vous donne le goût des réseaux. David est un réseau pensant, un zéro pansant.
Il dépense, il panse, c'est dingue ce qu'il danse. Il est partout tellement il connaît de monde. Il a repris le flambeau paternel. Au fond, c'est ce que Thierry voulait : un héritier qui soit cette éminence grise du sionisme de Saint-Germain, ce promoteur du sionisme dans l'édition, ce représentant d'Israël en France. Un frimeur famélique et émasculé. Une gigogne qui pavane. Un signe disgracieux.
David est sioniste jusqu'au bout des ongles. Ses parents se proclamaient sionistes inconditionnels; lui ne sait même pas ce que signifient l'antisionisme ou la critique d'Israël. Les critiques sont d'odieux antisémites et il n'y a pas lieu de perdre son temps avec des monstres. Pour renaître, David a tué le pair. Il poursuit un grand projet, qu'il estime au-dessus de la morale et des principes sociaux : écrire. Il rêve depuis l'enfance d'être écrivain. Pas n'importe quel écrivain.
Philosophe. Ce n'est pas en la compagnie de Mauvenargues ou d'un autre philosophe à la mode qu'il accomplira son rêve discret : être le philosophe tragique de son temps, marquer de son empreinte le milieu des intellectuels, passer à la télévision. C'est en écrivant que David assouvira son ambition littéraire. Pas besoin de réfléchir à des stratégies sionistes quand on est philosophe. Le sens déroule son tapis soyeux.
David est un crack des diplômes. Tout petit, son père l'a dopé au bachotage. Il croit vraiment qu'il incarne le nouveau génie français. Il se sent sur la vague de l'élite française. Ce soir, il dîne avec son modèle de philosophie, Berg. Réconcilié avec son père, David est l'intime de celui qu'il tient pour le plus grand philosophe. La vie roucoule pour le beau David. Il passe à la télé, les filles tombent, il est dans les papiers de papa. David arrive chez Berg.
D'ordinaire, il est si pressé qu'il n'a pas le temps de s'arrêter au domicile du philosophe. Ils se rejoignent en ville, dans des petits restaurants, et ils ont l'illusion qu'ils vivent dans les marges et les limbes. David adore passer pour un illustre inconnu. C'est si pénible d'être reconnu. C'est si sympa de changer de peau quand on vit une existence facile et luxueuse. C'est une atteinte d'écrivain. David sort les soirs, à la mode de Saint-Germain.
David mène la vie d'autiste. L'avis de châteaux. Il est convié avec son père et les célébrités aux cérémonies mondaines. La dernière fois, un jumeau qui joue les génies scientifiques se mariait avec une duchesse. Une gamine de seize ans. Dans l'univers de la jet set, on se moque des conventions. Comme le jumeau fait de la vulgarisation scientifique à la télévision et qu'il jouit de la fortune familiale, il se permet de vampiriser Einstein, l'inventivité en moins. C'est un bon parti - pris.
La gamine est une aristocrate qui garde son sang. Elle se présente comme historienne du Moyen-Age, un titre ronflant et gonflé. C'est une couverture vague et prestigieuse. L'intellectuelle actuelle brille surtout par son nom d'ancien et sa particule désuète. Chaque raout comble David. Raout toutou. Élitiste en chef, il appartient au parti de la culture. L'élite aime les artistes cyniques et arrogants. David est un artiste de la mode et du monde.
David fréquente. David fricote. David a une mentalité d'artiste. La preuve : il n'hésite pas à traîner avec Berg, le pestiféré de la philosophie française. On l'accuse d'alcoolisme, on le taxe de pédophilie, on l'abreuve de sado-masochisme - et autres horreurs sexuelles. Il est dépravé, il boit comme un trou, mais il est extraordinaire : il a fait Normale, l'agrèg de philosophie à la clé. Pour David, il est le modèle à suivre. En plus, David a lui aussi son histoire d'amour amer dans le placard.
David, c'est les petites femmes. Berg, ce sont les gosses. Belleville, Rio, Paris... Tant que c'est discret, Berg est preneur. David se fiche de la question. Il est au-dessus de l'inquisition. Il est amoral. Il est acteur. Son modèle de philosophe est vivant. Il a pris l'ascenseur. Au cinquième, la porte est ouverte. Son cœur s'accélère. C'est toujours émouvant d'être l'intime du Platon de son temps. C'est ainsi que David voit les choses.
Il brûle que Berg lui lance des compliments, il envoie ses manuscrits, il obtient quelques allusions indécises. Berg le couvre de louanges pour ses titres - scolaires. En plus d'être rogue, Berg est snob. Il ne fréquente que des ultra-diplômés et des noms prestigieux. Quand il reçoit chez lui, ce sont des
happy fews. Berg est lui-même un happy few. Il est encore méconnu, sa notoriété confidentielle, ses fréquentations ont le privilège de connaître le Grand Inconnu.
David adore cette situation d'ombre et de lumière.
"Installez-vous, cher ami!"
Berg a indiqué une chaise de style Louis XIV. Berg chérit le Grand Siècle. Il vient de la haute bourgeoisie et il met en évidence les biens de famille qu'il a récupérés en adéquation conforme avec ses goûts esthétiques. Berg s'exprime avec une suffisance qui n'a d'égale que son sentiment de supériorité. Il est artiste dominateur. Il se prend pour un dieu. Il déteste le deux. Il obtient l'unité en vidant les fonds de bouteille.
Son arrogance lui a joué des tours. Même ses condisciples d'Ulm répugnent à lui parler tant il est imbuvable. Son ton empeste le pédantisme de goujat. Sa mauvaise réputation n'ajoute rien à son infréquentabilité. C'est pour son soufre que David le souffre en douceur. Douleur.
"Un petit verre?"
Berg offre toujours l'apéritif, ce qui lui permet de s'enfiler quelques verres de porto en catimini. David prend un bon remontant. Il la joue colère après Mauvenargues. Il ase brouille pour lancer sa bouille d'artiste. C'était la réconciliation - ou la carrière. David est arriviste. Il s'est empressé d'insulter Mauvenargues par voie de presse. Voix de faits : bien entendu, David n'est pas un goujat.
Il a démonté rationnellement la pseudo-philosophie de Mauvenargues. Sous-entendu : David se place dans le chemin de Berg et rompt avec les attentes mondaines de son père. Sous-étendu : David est philosophe. Il fait la guerre et la paix. Il se donne du caractère. Il s'invente une épine dorsale.
"Mauvenargues est très remonté contre moi!"
David rit de son bon coup.
"Vous savez, Mauvenargues est un petit marquis qui a profité des largesses de votre père..."
Berg remue le couteau dans la plaine. Dans le fond, il déteste tout le monde. Il n'apprécie pas davantage David Maupin, dont il moque dans le dos la naïveté médiocre et repue. Dans l'écriture, il veut être le premier et le seul. Il dégomme et il gomme. Les sionistes qui se prennent pour les rois du pétrole, il les exècre. Comme David le conseille partout et l'invite dans les meilleurs émissions de radio, il profite de l'aubaine.
Berg prend un ton d'instituteur sévère et intransigeant.
"Mauvenargues m'a rendu visite quand j'enseignais à la Faculté de Toulouse, au temps de ma prime jeunesse..."
Il ricane.
"C'est un petit prétentieux qui se prend pour un rebelle politisé depuis qu'il a sorti quelques bons livres!"
David s'agite. Il veut flinguer François.
"Que j'ai bien fait de quitter son Université du Peuple!"
Berg déteste le populaire, qu'il assimile au populisme. Il pense en termes de castes. Il revendique l'anarchisme de droite bourgeois et goguenard.
David déteste la complaisance.
"Tout ça ne serait pas arrivé si Mauvenargues n'était pas le protégé de mon père!"
Il s'énerve comme un cygne
ébouriffé qui aurait perdu sa constellation et qui se serait réfugié chez les canetons. Pas de doute, David ne passera jamais à la taille adulte. C'est un fils à papounet. Berg le subodore. Le mac se sert du minet. Berg est un mec qui n'a besoin de personne. Un cador bourré à l'alcool et à la domination.
"Un conseil : laissez Mauvenargues dans son coin. Avec ses histoires d'engagement, il se prend au sérieux. Le succès lui est monté à la tête. Il a toujours manifesté un emportement... Le pauvre a perdu l'esprit! Pour ce soir, une surprise : Ursule nous rejoint. "
Ursule est un pseudonyme dans le petit cercle des philosophes. Contrairement à l'intrus Mauvenargues, il est agrégé de philosophie. Il n'a pas fait la rue d'Ulm, mais il brille par ses mots d'esprit. Il est cynique. Il est désespéré. Berg en a fait un proche depuis qu'Ursule a confessé son inclination pour les partouzes et les clubs libres-échangistes.
Ursule est convié dans la maison de campagne de Berg en Espagne. Une succession dont Berg fait grand cas et qui lui permet de jouer les seigneurs. Le chic se pique de rusticité. Berg rappelle à la première occasion qu'il n'a ni l'électricité, ni l'eau courante. On s'ébat en pleine nature, entre le chant des oiseaux mélomanes et l'eau de source. C'est champêtre, c'est guilleret.
David bat des mains. D'ordinaire, on s'ennuie toujours un peu avec Berg. Il somnole. Il chuinte. On a du mal à comprendre ce qu'il raconte. Avec Ursule, c'est ambiance assurée! Ursule abonde en jeux de mots indolents et en saillies insolentes. David renchérira. On rira. On boira quelques verres et le tour sera joué. Ursule est un pessimiste chic qui brille par son désenchantement de
desesperado. Quand Berg le voit, il évoque le desengano.
"Avec Ursule, c'est pas du Mauvenargues. La grâce est assurée!"
David se tait. Devant Berg, il ne peut pas la jouer
Surulmien. Il est face à un égal. Il ne peut lancer son numéro de génie compris et de brillant crack.
"Un petit verre?"
Berg marche en traînant les pieds, sans doute les rhumatismes et la vieillesse. Maintenant que David est entré dans le cercle des intimes, il picole de bonne grâce, à condition que ce soit l'exception qui confine le règne. La règle est de garder une apparence de Don Juan. David tend son verre. Les esprits s'échauffent.
"Que diriez-vous d'un chinois débridé?"
Berg connaît les meilleurs tables de Paris. Sa spécialité, ce sont les petits restaurants, ceux que la critique ignore et qui présentent une cote abordable. Quand on appartient au gratin, rien de tels que de l'éphémère plongé dans les bas fonds anonymes. Dans une gargote chinoise, trois philosophes ne seront jamais reconnus. On les prendra pour des lambdas. C'est l'expérience qui régale nos aventuriers de l'Esprit.

"Moi, la philosophie, je n'ai aucune inclination pour ses jeux de mots et ses inventions pédantes. Je la tiens pour une imposture. A mon avis, n'est-ce pas, les meilleurs penseurs contemporains se recrutent dans les cercles des romanciers..."
Laurent Mirinescu le Russe blanc. L'écrivain octogénaire. Le dandy mondain, qui a connu son heure de gloire à la fin des années soixante-dix. Depuis, il se pare des vertus de l'écrivain maudit. Mal dit : on le taxe de pédophile et de pervers. Il s'en glorifie. Il a adoré Manille et les gosses d'Afrique. Il s'est repenti. Il est orthodoxe. Il parle avec une diction châtiée qui sort d'une caricature de grand bourgeois paresseux et égocentrique. Il écrit avec naturel : il raconte ses exploits sexuels, ses aventures amoureuses et ses voyages incessants - à raison d'un journal l'an.
C'est la mode des journaux intimes. L'auto-fiction est le produit des factions parisiennes. En ce moment, il s'entretient dans un boudoir de palace avec un alter ego. Un ancien psychanalyste reconverti dans le
diarisme. Encore un pudique qui livre par le menu ses aventures galantes avec de très jeunes femmes. Officiellement, c'est un nihiliste qui tous les dix ans menace de se faire sauter la calebasse. Un certain Balthazar. Il se montre très fier de son érudition, de son dandysme de grand bourgeois, de sa politesse, de ses relations.
Il connaît le Tout-Paris. Les politiciens véreux, les philosophes graisseux, les écrivains capiteux, les actrices vénéneuses. Il joue aux échecs avec un ministre sioniste, il dîne avec un philosophe pédophile, il joue à la canaille solitaire. Évidemment, son mot cardinal, c'est la prudence. On n'est jamais trop méfiant en règle démocratique. Il ricane. Il boit de l'eau. Il s'ennuie mais c'est un artifice : il est toujours occupé.
Son gagne-pain, c'est l'édition. Il a sorti deux ou trois philosophes à succès. Ses poches sont pleines. Il bénéficie de la mansuétude de l'intelligentsia, qui aime les frivoles et les décalés. Il est nihiliste libéral, c'est-à-dire qu'il profite du libéralisme en s'en moquant. Tant qu'il se remplit les poches, il est sans conteste un original, dont on dit le plus grand bien quand on a vanté son intelligence. Dans les milieux artistes bourgeois, l'intelligence est le maître-mot, la valeur-étalon.
En cas d'intelligence, on passe tout. L'intelligence est l'excuse des perversions sordides et minables. Balthazar ne fricote pas seulement avec l'Asiatiquette d'à peine dix-huit ans. Il cultive d'autant plus une diction d'ado toujours en langueur qu'il est attiré par les jeunes filles de dix ans.
En privé, il ne se cache pas de ces petites manies. Entre artistes du monde, la pédophilie n'est pas perversion. Elle est élection. On loue la perversion, dans la mesure où les valeurs du peuple sont méprisées et raillées. Balthazar joue les anticonformistes lanceur de modes. Cette fois, il a pensé à ajouter un chewing-gum non mâchouillé dans son café.
Il porte de grosses lunettes, une coupe imbuvable, l'air d'un quadragénaire désaxé, un paumé qui n'aurait pas réussi son atterrissage lunaire. Il aurait presque la physionomie attachante si son sourire sardonique ne trahissait pas sa lubricité entretenue. Balthazar joue les méchants. Pas le
bad boy. Le père vert. Il menace de se suicider et se croit tout permis. Il adhère à la loi du plus fort. Les amis abondent sur la rengaine.
Mirinescu claque la langue sur le palais.
"Regardez qui passe dans la rue..."
Comme les deux écrivains s'ennuient beaucoup, ils observent les passants en se vouvoyant. Ils prennent l'apéro avant d'aller dîner. Les soirs ils flânent, ils courent les sauteries, ils squattent les réceptions, ils vaquent à leurs amourettes, ils jouent aux aigres-fins. Ce sont des maigres nains. Des bons à rien. Ils sont montés dans le wagon. De l'argent, des oisifs. Fiers de ne rien faire. Riches du moins possible.
L'idéologie de l'effort et du travail les fait bien rire. Ils sont trop intelligents pour tomber dans le panneau. Ils attendent le vingt heures pour gagner leur resto japonais. Ils rejoindront le complice Berg, qui raffole des mondanités et qui se tient à l'écart des solennités médiatiques.
"Mais c'est l'ami Pardo!"
Il est à moitié plié en deux, comme s'il luttait contre une bourrasque de vent.
"Qu'est-ce qu'il a vieilli!
- Quand je pense qu'il se flatte encore de courir la gueuse!
- Peut-être ses petites bourgeoises qui n'attendent qu'un claquement de mains pour être éditées par ses bons soins...
- Il pose à l'écrivain..."
Les deux garnements ricanent. Ils travaillent en secret pour la postérité et dédaignent les considérations naïves. Tous deux sont des candides qui récitent leur rengaine cynique. Ils oublient le crâne Pardo, qui court après son rendez-vous galeux ou qui est pressé de rencontrer le jeune écrivain qu'il pressent comme son succès-sieur inférieur.
Pardo déprime depuis qu'il a compris qu'il n'était qu'un astre purulent dans le kaléidoscope de l'édition parisianiste. Un soir, alors qu'il faisait le beau dans son studio de travail, il a eu la révélation : il était passé à côté de sa vocation. Il avait écrit en vain. Il était un vaurien. Tant de temps à se démarquer, à différer, à cacher...
Pardo n'a pas toujours été un ange. Il avait une femme, il avait un gosse.
"Je ne sais pas ce qui lui a pris de faire son enfant...
- La maladie du siècle sans doute?
- La supériorité, c'est de saisir sur le grill : les enfants sont faits pour être consumés..."
Mirinescu a débité sa provocation avec un petit air supérieur. Comprend-il ce qu'il dit? Balthazar frétille.
"Encore un qui est passé à côté du grand jeu de la séduction..."
Son allusion l'émoustille. Balthazar réajuste son écharpe angora.
"Veuillez expliciter, maître, car je suis passé à côté du sens sibyllin!"
Mirinescu fronce les sourcils. Il a passé l'âge d'être considéré comme un homme mature par des professeurs. Il abhorre les pédagogues modernes.
"Je pensais à ces coureurs de jupons qui n'ont pas intégré qu'ils étaient de minables fripons!
- Si vous faites allusion à Thierry Maupin, je ne peux que souscrire à votre appréciation...
- Pourquoi fournir le prénom? Qui ne connaît Maupin le sioniste et son harem de dévergondées de la vertu?"
Balthazar s'ébroue : Mirinescu est un vieux de la
veille. Ignorer que Maupin a un fils! Balthazar prend un ton doctoral et expert pour corriger l'erreur de casting.
"Thierry Maupin n'est plus tout seul. A force de courir, il a fait des petits... Les gosses ont grandi... David chéri est maintenant philosophe... C'est un proche de notre Berg naufragé... Papa Titi se tapait une chanteuse modèle, une demi pute du monde, une Odette de Crécy remplie de tallebins et de vice... Une Lolita sur le retour flanquée d'un palmarès d'enfer : presque tous les chanteurs, les politicards et les les patrons du sérail sioniste lui sont passés dessus. Si tu kiffes les Lolita, elle a été un emblème marquant des
eighties... "
Balthazar affecte un ton traînard qui irrite à force d'affectation. Il s'encanaille en employant de l'argot du titi. Il titille les bourgeois polaires en jouant la canaille mohair. Les petites filles sont le moyen idéal de poser au voyou voyeur. La vulgarité est une alternative efficace. Mirinescu claque des doigts. Lui qui se pique de connaître les moindres
arcanettes du monde de l'édition - il a oublié l'histoire de cul qui a fait chavirer le Landernau des Prés. C'est la preuve d'un oubli impardonnable, qui vaudrait séance tenante une exécution en place publique.
"Son fils est le Pygmalion de notre Berg national..."
Les deux compères ricanent comme deux hyènes fières de leur artifice. Les penchants de Berg sont connus. Le ladre a tous les vices répertoriés par la vindicte normative : pédophile, homosexuel, alcoolique - heureusement que la discrétion et l'intelligence l'inclinent à fuir les spots, sans quoi notre délinquant déglingué croulerait sous les condamnations. En plus, il rechigne à sortir, à vadrouiller chez les pauvres, vers des mentalités propices où les gosses sont plus disponibles.
Mirinescu est fier d'avoir brisé le tabou. Il a raconté par le menu ses tribulations de pédophile indifférent et supérieur (caractères attitrés de sa personnalité) au sexe de ses proies. Dans ses tréfonds d'
adaislescent, Balthazar méprise. Il est convaincu que le mépris est marque d'élection. Il figure dans la liste des élus. Il méprise du matin au soir. Les innovations, les écrivains, les clients de café, les femmes... Il a usé la de la ruse : au lieu d'exposer ses aventures galantes au vu et au su du quidam aguiché par ses confidences voyeuristes, Balthazar a innové en biaisant. Il a désavoué son goût pour les jeunes femmes de dix ans en affichant son inclination pour les jeunes femmes de dix-huit ans. Il joue avec les lois.
Il s'est glorifié de baiser comme un forcené. Il baise les lois. C'est de bonne guerre. Il picore la nymphette du Japon. Une espèce en voie de disparition. Il s'est bien garder de préciser qu'il ne dédaigne pas les pratiques pédophiles, surtout quand elles versent dans le bondage. Avec quelques amis artistes, des dessinateurs de BD déjantés et disjonctés, il filme les ébats en laissant planer une atmosphère de torture et de sado-masochisme.
Le bondage, c'est artiste, surtout au Japon. Dans la société, on tolère les perversions de tous acabits, à condition qu'on les taise. On explose les pédophiles. Enfin, ceux qu'on expose. Quand on vit dans le milieu où Balthazar évolue, on est au-dessus des choix. On passe pour un artiste quand on narre ses histoires de cul. Banco! Mirinescu se plaint d'être fauché, mais il ne cesse de sortir, habillé en prince, affublé des linges les plus dispendieux, des femmes les plus étourdissantes, entouré des éditeurs fortunés.
Quand Mirinescu mourra, Balthazar se consolera. Il s'est bien amusé.
"Croyez-vous que Berg et David...?"
Balthazar cille. Balthazar tique. Tac. Trac. Tact.
"David?"
Les deux écrivains rient de leur allusion.
"On pourrait en faire un article de presse à ragots...
- Si seulement c'était vrai!"
Balthazar s'ébroue. Il est l'heure de rejoindre le James Bondeur. Le sondeur de la pensée. Il finit son café avec nervosité. Pour ce soir, il accepte de se montrer pressé. Sous son vrai visage de vampire. Il quitte sa dépouille de fainéant. Il consent à agir un tantinet. Mirinescu le saisit par le coude. Mirinescu a vieilli, mais son expression conserve une fixité envoûtante.
"Entre nous, Berg, c'est plus un alcoolique qu'un philosophe?"
Balthazar s'esclaffe. Berg est le confident des coups pendards depuis trente ans. Ils se voient de temps à autres, car le philosophe est un ours qui affecte la misanthropie et qui ne consent à fréquenter le monde que depuis sa retraite
débondée. Et encore, avec parcimonie. Pour autant, Balthazar ne dédaigne guère tailler la bavette de ses amis.
"Moi, de ce que j'en sais, c'est un rêveur qui vit pour son œuvre!"
Mirinescu hausse les épaules.
"Quand on fait la rue d'Ulm et qu'on enseigne à l'Université pendant trente ans, on ne peut sortir indemne du marivaudage! On est agité par le complexe de supériorité! On se prend pour un aristocrate des Lettres!"
C'est sa grande marotte, l'antiphilosophie, Mirinescu. L'attaque à boulets rouges contre les philosophes fous et fats. En snob de la pensée, il combat le snobisme. Pas fou, il a pondu une théorie selon laquelle le snobisme véritable est antisnob. Il s'emporte contre les philosophes
pendeurs. Les vrais penseurs sont les romanciers. Les philosophes sont des perroquets savants doublés de dangereux déséquilibrés.
"J'ai bien connu le professeur-répétiteur à Ulm qui a étranglé sa femme... Un ami qui inclinait aux sorties délurées et qui proposait un certain humour... Il s'est suicidé peu de temps après!"
Mirinescu s'énerve : avec l'âge, il perd la boule. Il oublie les noms. Tout ce qui l'éloigne de la jeunesse l'effraie. Il est vieux. Un vampire âgé vampirise les jeunes.
"Vanim?
- Précisément! Par ses fonctions, il a encadré des générations de normaliens. Après son acte, il est resté en liberté, malgré les protestations. Vous connaissez la rengaine populiste d'usage : ces types se croient au-dessus des lois. On murmure que Berg serait atteint de pulsions homicides irrépressibles et qu'à l'adolescence, il foutait le feu aux bibliothèques..."
Balthazar secoue la tête en signe de dérision. Mirinescu est tellement imprégné par la noblesse hellène de la pédophilie, le mythe du pédagogue pédéraste, qu'il n'a même pas inclus son attirance dans le giron des perversions! Balthazar s'amuse chaque fois qu'il joue la muse des vices. Le plaidoyer le distraie et lui confère de l'importance.
- Ce sont des ragots distillés par des minables manipulateurs. Vous ne savez que trop que les êtres supérieurs sont martyrisés dans leur chair du fait de leur supériorité. Le mot de Nietzsche sur ce sujet... C'est l'un de mes préférés. Revenons aux circonstances : Berg aime trop la bouteille pour perdre son temps avec ce genre de caprices...
- En tant que physiognomoniste, une expression en lui ne me revient pas. Comme s'il était secoué par des démons qu'il refuse d'expulser et dont il se vante!
- Certains le prennent pour le lointain descendant de Socrate...
- En accoucheur plus destructeur et plus obsédé, je veux bien. Il est d'une laideur qui ne peut pas ne pas receler son lot de signification!"
Mirinescu se sait séduisant. Il cultive son pouvoir de séduction avec une affectation aussi désuète que débonnaire. Balthazar en profite pour s'adonner à son jeu favori : sortir des vacheries sous prétexte de prendre la défense de. Il a emprunté ce doux stratagème à la cuisinière Françoise dans Proust.
"Gardez-vous de confier notre secret affligeant. Berg est affligé par son embonpoint et ses traits ingrats! Un jour, il m'a expliqué qu'il venait d'une grande famille synarchiste fascinée par le franquisme et le catholicisme réactionnaire. En tant que nietzschéen spinoziste et schopenhauerien, il se prend pour le génie familial qui a rompu avec les conventions, qui s'est libéré du carcan familial, du catholicisme fervent et bigot, du père autoritaire et écrasant. Il ne cesse de déblatérer sur ses tantes dévotes, sur ses frères caractériels ou sur sa sœur remplie de compassion pour son frère si brillant et fragile. Soit dit en passant, sa sœur a bien raison de nourrir les pires inquiétudes à son sujet. S'il n'était pas aussi introduit dans les cercles du pouvoir, il serait en tôle depuis belle lurette! C'est un anarchiste de droite qui méprise le peuple et le pouvoir. Dans la tradition de Schopenhauer. Tant qu'il se tient au-dessus des lois, il poursuit ses affaires..."
Balthazar traîne sur les mots. Alors qu'il affectait l'indifférence résignée, le voilà qui s'enflamme et qui se répand en commérages.
"Il y a dix ans, il a contracté une violente dépression. Il a manqué de sombrer dans la cirrhose. Une petite jeunette. Il se croyait au-dessus de l'amour. Il a été pris d'une passion terrible pour une gamine qui vendait des fringues! Évidemment, après cette lubie grotesque, certains proches ne lui adressent plus la parole. Ils l'accusent d'avoir joué la comédie. En gros, il userait d'un alibi pour laisser entendre qu'il a changé, qu'il est doté de sentiments, qu'il regrette ses frasques, qu'il se repent...
- Il ne se faisait pas fouetter dans certains lieux secrets de Paris?
- Je ne suis pas un indic'! Tenez-vous à l'histoire du crève-cœur! Berg n'a remonté la pente qu'avec du whisky et quelques étudiantes! Il a eu la lucidité de se tenir éloigné des cures psychanalytiques et autres billevesées qui vous pompent votre fric sous prétexte de vous alléger la conscience. Un de ses grandes théories est qu'on est inguérissable et qu'en essayant de guérir d'un mal, on l'aggrave et on le l'approfondit."
Mirinescu jubile. Il a raconté par le menu ses aventures avec de jeunes lycéennes en mal de bluettes, qu'il attendait à la sortie des lycées ou au bord des piscines de Paris. Rien en l'excite plus que le culte du secret, à l'abri des parents, des professeurs, des moralistes et des journalistes - ses bêtes noires. Fort d'un palmarès ô combien plus rempli de plaisirs tous azimuts, il n'a rien à apprendre d'un Berg, qui n'est pas un séducteur, mais un pervers. Balthazar désapprouve la quête de la destruction, qu'il distingue de son propre hédonisme débridé. Mirinescu acquiesce. Ses yeux s'écarquillent.
"Cher ami, j'aime beaucoup l'esprit de Berg, mais contrairement à vous, j'ai toujours mis le holà, si vous me passez cette expression un rien triviale. Il n'a jamais été autre chose qu'une connaissance qu'on croise dans des raouts ou avec qui on partage un bon repas. Et je vais vous dire pourquoi : contrairement à lui, j'ai une âme..."
Balthazar prend un air très concentré. Il affecte de ne prêter aucune attention à la religion. Il est ébahi qu'on puisse se taper des gosses de moins de douze ans et prier dans des basiliques chargées d'histoire.
"Je sais que Dieu existe et que nous avons tous des comptes à rendre. Lui se croit indemnisé de ce genre de rendez-vous
post mortem. Moi, j'ai tout parié sur la spiritualité. Une spiritualité différente de celle du commun des mortels..."
Balthazar contemple Mirinescu, le regard absorbé : ce qui sort des préjugés populaciers l'attire et l'intéresse.
"Les bonnes gens croient que le Bien se confond avec l'amour et la douceur. Je sais que le Bien se conjugue avec une certaine violence et un certain goût pour la dissimulation!"
Balthazar est aux anges : c'est pour ces moments de confidences qu'il fréquente les écrivains. Demain, sûr qu'il couchera cette confidence passionnante dans son journal intime. S'il ne la sort pas texto, elle lui servira de viatique posthume. Il est obsédé par la mort et par la trace qu'il laissera dans le futur. Il sait qu'il ne passera pas la postérité. Pour se consoler, il se répète qu'il est un auteur choisi pour un fort petit nombre de lecteurs. S'il n'a pas les honneurs de la quantité, il bénéficiera de la reconnaissance de la qualité.
"Allons manger. Sans quoi notre Berg va croire que nous l'avons abandonné pour quelques charmantes créatures encordées..."