mercredi 24 août 2011

Au fait de la glaire

Comment s'appelle-t-elle - déjà? Luc Méribel part dans sa grosse limousine. Enfin, ex-maire. Notre huile socialiste tendance ultralibérale vient d'être nommée ministre du Gouvernement sous le patronage bienveillant de son leader socialiste, le protestant rigoriste Claude Delacampagne. Lecteur, arrête-toi un instant dans le cours de la fiction. Nous vivons une drôle d'époque opaque. Fin du vingtième siècle chrétien, environ quinze ans avant la Grande Crise qui nous éteint. Le règne de l'argent facile, l'époque du monétarisme triomphant. Luc Méribel est l'incarnation hypocrite de ce mythe du mensonge, la domination et la débauche. Luc représente le leader socialo moderne, la réussite du socialisme ultralibéral, comme si on pouvait rapprocher le socialisme avec le libéralisme.

Comment s'appelle-t-elle - déjà? Méribel vient de prononcer son dernier discours de maire. Il cède son poste à son fidèle adjoint, son frère Alain. Tout va bien. Nos hype socialos tiennent le fief d'Eonville. Luc est le ministre de l'Economie. C'est un personnage considéré. Il est marié avec l'une des journalistes les plus médiatiques du milieu, très belle, très riche, très smart. Il est sioniste impénitent, comme sa femme. Il a fondé plusieurs clubs libéraux-socialistes, qui n'ont pas seulement une vocation franco-française, mais qui lorgnent sur l'Europe, les Etats-Unis. Luc appartient à de nombreux think tanks anglo-saxons.

Il a été universitaire remarqué, nommé dans les plus belles universités des Etats-Unis. Peu importe qu'il ait été patronné par des notables du milieu le plus ultraconservateur US. Luc n'a pas d'odeur. Il propose une race identitaire de son âge : se faire passer pour socialiste alors qu'il applique l'ultralibéralisme. Le laissez-fard absolu. On parle de lui comme le possible futur président de la République. L'espoir ultrasocialo. Il entretient un carnet d'adresses phénoménal. Il serait un beau parti pour les milieux des affaires, les cercles de grands patrons qui suivant le vent penchent généreusement vers la gauche libérale.


Le pire, Alain croit en lui. C'est mieux qu'en ses idées. Ses collègues et concurrents font comme lui. Il a contribué à remplacer le sentiment moral par l'intérêt. Son intérêt. Son utilité. Il réussit. Son frère est son second. Sa femme l'admire. Ils ne se sont jamais rien avoués, mais elle est là pour le prestige de la fonction présidentielle. Être mariée avec le futur président, c'est encore plus remarquable que de s'afficher en compagnie d'un ministre, même aussi puissant que Luc. Luc possède une image dans la population : sérieux, travailleur, compétent. C'est un nouveau dirigeant, de la race qui côtoie les milieux financiers de haut vol.

Comment s'appelle-t-elle - déjà? Il est dur, il cloisonne entre vie professionnelle et privée. Dans la vie professionnelle, il jouit d'une réputation flatteuse, travailleur acharné, polyvalent et brillant. On dit de lui : c'est un serviteur exemplaire, qu'il possède cette faculté rare de transférer la mentalité de la haute finance vers la politique. On oublie que Luc est un vassal des financiers; on se souvient qu'il brille. Pourquoi Luc est-il reparti aussi précipitamment de sa chaire, son pupitre, son micro, son discours-fleuve, ses adieux à la mairie?

Luc cultive son dilettantisme : musarder et batifoler en plein coeur de sa profession trépidante. Entre les discours d'adieu et le grand dîner à l'Hôtel de Ville, il s'est éclipsé. On ne lui en tiendra pas rigueur. Les militants et les citoyens qui entendront se répandre la rumeur expliqueront cette éclipse passagère par le repos le plus naturel. Quand on détient autant de responsabilités harassantes au service du bien commun, il est normal de se reposer. C'est ce que Luc se murmure aussi. Les mieux informés rient sous cape : Luc a beau être marié avec un beau parti, c'est un coureur de jupons invétéré. Et pourquoi s'en offusquer? Moralisme et pudibonderie ne sont pas les mamelles du socialisme branché...

Pourquoi confondre comme chez la piétaille anglo-saxonne la sacrosainte vie privée avec la morale publique? En quittant l'estrade, Luc a repéré une Blackette sympatoche. En regardant bien, il aura distingué une métisse. Luc s'en fout. Pas facho, il est socialo : peu importe - la loi du plus fort. Les Blacks, métisses ou pas, font fantasmer le décoincé (c'est comme ça que Luc se voit). Elles incarnent l'idéal de la jouissance brute (pas sauvage). Luc fonce comme un butor, un taureau, ivre de reconnaissance. Toute sa vie se joue. Sa femme : désir de puissance. Son dévouement politique : désir de puissance. Il faut bien se déstresser de temps en temps. Qu'il se soulage. Séduire ce qui bouge. Le peuple ne peut pas comprendre, mais Luc est resté un hédoniste qui brille par son intelligence.

Un bûcheur qui a besoin d'abattre de la besogne. Luc est massif. Un coup de taureau, un buste de stentor, cent kilos d'énergie. Pas de graisse à brûler. Luc a trouvé dans le sexe le moyen de passer son anxiété. Il a réussi à force de potasser l'économie, au point qu'on le considère comme le plus compétent des politiciens économistes. Une perf. Il allie l'excellence académique avec l'habileté politicienne. Il se montre flatté de sa réputation : trousseur de jupons amateur de bonne chère.

Comment s'appelle-t-elle - déjà? Les femmes sont sa soupape de répression pour tenir le coup, le rythme des postes, les voyages incessants, les palaces impersonnels. Le monde rêve de dolce vita, Luc a trouvé la parade au luxe : la luxure. La débauche embauche, avec la complicité de sa femme. Il court les clubs libertins chics, les partouzes bourgeoises. Depuis trente ans, il cumule les maîtresses. En plus de sa femme pour la galerie, il entretient une soubrette pour donner de l'air - plus des coups à droite à gauche, en général lorsqu'il donne des conférences.

Heureuse (sur)prise : le père de la Blackette fonce sur lui. Avec sa fille! Luc tient sa prochaine maîtresse. Confirmation : c'est une métisse. Son père est un militant de longue souche d'Eonville. Aveuglé par l'aura de notre Luc qui dore ce qu'il touche, l'immigré du Dahomey est honoré. Ne pas repasser. Bonne pioche : l'immigré lui présente sa fille. File dans ta chambre. Le père est l'entremetteur. Il admire tellement Luc, le Candidat ouvert et prometteur. Très important pour un immigré du Dahomey, la reconnaissance. Une vie de mépris. C'est dans la poche. Le vieux séducteur impénitent. Il baragouine le père, ravi qu'un candidat à la présidentielle lui accorde son attention et sa considération. Le Noir enfin considéré : vive l'oligarchie.

Comment s'appelle-t-elle? Puis il embrasse la fille. Tactique d'approche. Elle sourit. Quand il lui tient la main, comme un vieux candidat en campagne, elle ne se défile pas. Elle le regarde droit dans les yeux. Jeune, fraîche. Juvénile, gracile. Futile, attirée par l'or, les paillettes. Tel père, telle fille. La fille personnifie l'appétit de réussite sociale et professionnelle du père. Luc sait : il va la revoir. Il va l'emmener à l'hôtel. Toujours la rengaine, avec les gonzesses : quand on est connu, médiatique, la politique, le pouvoir de séduction se situe au zénith. Aphrodisiaque top. Luc n'a plus qu'à s'éclipser. Il fait ce qu'il a toujours su : baratiner un max histoire qu'on le trouve proche des militants.

Près du peuple. Il s'en fout, il relève de l'élite. Il domine - les militants, les électeurs, les peuples. Il couche des soubrettes, il tchatche des prolos, de préférence Arabes ou Noirs. le peuple est son tiroir-caisse. Luc mentalité élitiste : la majorité sert les élus. Il en fait - parti. Bon, il ne croit pas en Dieu. Si Dieu n'existe pas, tout est béni. Il est socialiste au fait - il est matérialiste. Pas de temps pour affronter ses idéaux. Il fonce vers l'hôtel de luxe. Passe-temps favori. Il va retrouver... Bon sang, il ne sait même pas son prénom. Comment s'appelle-t-elle - déjà?

Le père le lui a dit, tout à l'heure, quand il faisait semblant de l'écouter. Le père s'est cru puissant. Les Africains ont un passé d'esclavagisme, colonialisme, impérialisme : ils sont victimes - de la mode. Ils ont intégré la violence de la domination. Ils aiment les maîtres, pas les esclaves. Le père aime Luc, sans savoir pour sa fille. Bon sang, comment s'appelle-t-elle? Il y avait trop de monde, trop de bruit, trop de strass dans le tohu-bohu de l'après-discours. Trop de mains à serrer en s'éclipsant. Ne pas se rappeler du prénom, l'omission avouée ferait tache. Luc tient à sa mémoire et à montrer - qu'on peut concilier l'intelligence avec le tact. Toujours se montrer courtois, exquis, délicieux. Luc est un gentleman social, qui se fout des autres qui ne peuvent rien lui apporter.

Le père pouvait lui apporter sa fille : intéressant larbin. Judicieux séide. Les autres sont à sa botte. Ne comptent que les apparences. Il ne dédaigne pas à l'occasion, pour se détendre, de jouer aux échecs avec deux philosophes déjantés et nihilistes, qui lui serinent que seules les apparences existent. Luc a un chauffeur, dont il ne change jamais entre ses différents mandats. C'est d'autant plus pratique qu'il s'agit d'un vieil ami - dépannage grassement rémunéré. Luc entretient le culte des amis. Ce sont des proches, du milieu de la communication, de la publicité ou des affaires qui lui ouvrent gracieusement des appartements quand il a besoin de recevoir une poule. On sait : Luc vous le revaudra. C'est un être généreux : un formidable homme de réseaux. Une toile d'araignée ambulante.

Le chauffeur le connaît si bien que nul n'est besoin pour Luc de préciser l'adresse où il entend se diriger. Une habitude chez Luc : après chaque discours, il a besoin d'un bon réconfort. des fois, la jeune femme attendait directement derrière la voiture. Le chauffeur se taisait. Il n'est pas là pour poser des questions - d'autant qu'il connaît son Luc sur le bout des ongles. Quand Luc a plus de temps, il emmène ses conquêtes dans cet hôtel, un luxueux et discret palace, une chambre d'hôtes. Comment s'appelle-t-elle, bordel?

L'endroit se situe dans une petite ruelle derrière la cathédrale - inaperçu. Luc le Vénitien aime l'incognito. C'est le bon endroit pour dormir. Tout confort, discrétion assurée. La patronne est à l'image de Luc : luxe et progressisme. Elle émarge sans souci au rayon des bobos à l'aise. Elle se targue d'une amitié avec Luc. Lui laisse dire. Il a quitté Eonville, mais quand il revient dans son fief, il aime se ressourcer ici. Un air de maison cossue, pas d'hôtel ouvert aux vents. Personne ne vient, pas de journalistes, pas d'oreilles indiscrètes. La patronne est la seule à témoigner.

Elle s'amuse des aventures extraconjugales de Luc. Quand on joue à l'aristo, on est à cheval sur les élégances. La morale ennuie. La voiture s'arrête, le chauffeur part prévenir la propriétaire. Programme rôdé : deux verres d'apéro, une table retirée, de l'ombre et des oeillades, direction la chambre. Toujours la même suite, la plus luxueuse, la plus discrète. Luc dispose d'émoluments qui lui autorisent la triple vie à l'abri du besoin. Il sort de la limousine, itinéraire huilé, rentre dans l'hôtel, part prendre une douche. A la fin de l'envoi, je couche.

Si certains clients le reconnaissaient, il serait une ombre furtive partie se ressourcer avant la réception du soir. Pas de ragots, ni d'ergots. Le chauffeur est parti chercher la dulcinée. Elle attend devant la réception, nul doute. Pas de prénom, encore moins de nom. Luc aime sa fille, amis les femmes sont des objets. Une métisse à l'air innocent, pas vraiment laide - ni jolie, la fille d'un militant socialiste ayant le bon goût d'être Noir diplômé. Elle aussi fera son chemin dans la vie. Elle sort de bonnes études, discipline stricte, solides diplômes, elle est attirée par les hommes riches et influents. Elle fera du chemin, cette petite.

Comment diable s'appelle-t-elle? Luc n'a pas l'intention d'aller au-delà d'un soir. Avec ces jeunettes, au départ, elles se montrent fascinées et dociles; puis elles se rebellent, en viennent aux reproches et aux exigences capricieuses. Luc est très fier de son impunité. Il peut tout se permettre, il se tient au-dessus des lois. Ce qui chez un autre passerait pour de la malhonnêteté et de la fourberie, chez lui, c'est bonus - ou cadeau. Dans cette époque de fric facile et d'impérialisme triomphant, Luc est l'incarnation de l'oligarque au pouvoir. Il vit dans le luxe, il a du succès - politique, médiatique et social.

Il se croit au-dessus des lois. Au-dessus des femmes. Au-desus des autres. Il sourit, rit, s'ébaubit. Il ne prend pas en compte la réalité. Il est le roi, le dieu, le trésor. Il prend des pilules pour ne plus dormir, encaisser les décalages horaires, les agendas surchargés, les réunions entre deux continents. Dérives d'amphétamines. Ses admirateurs louent à mots couverts et choisis son appétit sexuel qui serait la preuve de sa joie de vivre et de sa supériorité de nature. Oligarque orgiaque, il ingurgite aussi des pilules pour doper sa libido. Il compte de bons toubibs. Il est servi par des conseillers en com' d'excellence.

La vie roule pour lui. Seul problème : il ne se sent à l'aise nul part. La politique l'ennuie vite. L'économie est un mirage masqué. Les badinages laissent un goût amer : toujours mentir se révèle fatigant. Les femmes ne méritent pas qu'on leur consacre plus d'un quart d'heure. Luc est envahi par ces garces. L'enseignement supérieur est une course aux honneurs sous couvert d'excellence académique. On se méprise à force de servir le pouvoir intellectuel. Luc aussi s'amuse, la fête, joue aux échecs, la tête, voire au ping-pong, la bête. Ce n'est jamais longtemps.

Il a besoin d'honneurs, de travail. Il se déculpabilise avec le sentiment de tuer le temps. Les femmes sont son - dérivatif. Il perd son temps. Comment s'appelle-t-elle déjà? Encore une passade, encore de la poudre aux yeux. On lui envie sa position au-dessus des lois. Il fait la loi? Lui ne s'en amuse guère. L'impunité est relative. Un jour, il tombera. Quand ses soutiens ne seront plus aussi puissants, on ressortira les affaires. Corruption, magouilles, pots de vin. Abus de biens. Les femmes - la panne. Les femmes feront tomber le tombeur dans la tombe. Un, deux témoignages sentis, quelques accusations salaces, sa réputation sera détruite.

Il ne pourra plus se présenter à une élection. Il sera l'objet de la réprobation générale. On le traitera de salaud. Les féministes enragées lui feront la chasse. Les femmes le jugeront sans classe. Les hommes estimeront qu'il est trop déséquilibré pour diriger un pays aussi imposant que la France. Il sera la bête à courre, l'homme à abattre, le cerf et valet. L'ancien oligarque dont la tête a roulé sur le billot des intrigues mondaines. C'est cela, le règne de l'impunité : un jour on est en haut, le surlendemain, tout en bas.

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