jeudi 19 février 2009

Le dessous des cartes

« Eh, Vanim ! »
Vanim rigola. Encore un peu ivre de la veille, de sa soirée en discothèque, il se rappelait parfaitement où il était. Il se trouvait en stage avec la Sélection brésilienne pour la Coupe du monde 2006. Au Palace de Reichstad, en Allemagne. Il était sorti la veille avec des collègues de la Sélection. Bien qu’il filât le parfait Grand Amour avec une reine brésilienne des podiums, il avait fini sa nuit dansante et arrosée (champagne, bière et whisky s’il vous plaît) avec une allumeuse. Une Christina – d’après ce qu’elle racontait.
Question femmes, Vanim n’y regardait jamais de trop près. Tant de gonzesses étaient passées par son lit nomade, entre les stages avec la Sélection et les escapades avec son club ! Il se moquait de ce défilé. Question physique, il proposait un compromis entre le buffle et le lapin, tendance dégénéré radioactif, avec les dents en avant et la tête en mutant. Le dopage était pour beaucoup dans ce physique ingrat. Mais il avait le football pour viatique.
Avec le temps et les dopants pointus, il avait changé de morphologie, passant en quinze ans de l’athlète puissant et sec à un squelette de plus en plus graisseux. Aujourd’hui, on attribuait ses problèmes de poids à son hygiène déréglée, mais la vérité, c’est qu’à force de se doper, d’ingurgiter des produits aux effets inconnus, il avait détraqué sa tyroïde et il présentait des pathologies inexplicables et nouvelles. Il gonflait comme un bibendum sous hélium. Les médecins qui le dopaient, ceux d’Espagne et du Brésil, ne s’alarmaient pas de cette évolution et se contentaient de hausser les épaules en lui conseillant de pratiquer la musculation.
Vanim suivait leur conseil et s’irritait qu’on se moque sans arrêt de ses écarts de poids. Les journalistes étaient des enfants capricieux et imbuvables ! Ils l’encensaient quand il réalisait des exploits et ils le descendaient quand il prenait du poids. Pourtant, son métabolisme était ainsi fait qu’il avait besoin de prendre du poids pour réaliser des exploits. Plus précisément, il était contraint de se doper pour tenir le coup et suivre le rythme de plus en plus élevé d’un match.
Vanim bénéficiait des dopants les plus sophistiqués. Il avait les moyens et les médecins le suivaient avec une rigueur chirurgicale. Il se situait à la charnière, entre le dopage classique et le dopage génétique. Il avait commencé sa carrière en Europe, en 1994, fin comme un fil, par les dopants classiques : anabolisants, cortisone et EPO. Il appartenait à la génération qui avait assisté à l’éclosion du dopage génétique. Les médecins expliquaient que c’était une forme inoffensive et révolutionnaire de dopage, qui bouleversait l’éthique.
Vanim s’était blessé gravement juste après la Coupe du monde 1998, au moment où les nouveaux dopants déferlaient dans l’enthousiasme du progrès scientifique. C’était l’époque où les généticiens passaient pour des penseurs de haut vol. On avait insisté : s’il voulait revenir au plus haut niveau, il aurait besoin de ces gélules aux effets inégalés. Il serait stupide de ne pas profiter de l’aubaine.
Vanim avait pu constater les bénéfices de ces conseils médicaux : il avait remporté la Coupe du monde 2002 dans une forme éblouissante, avec trois buts en finale. Un miracle. La presse internationale l’avait comparé au Phénix. De 2002 à 2004, les dopants avaient eu un effet radical sur ses performances. Il courait sans effort et n’avait jamais besoin de souffler entre les sprints. Mais depuis deux ans, de 2004 à 2006, il était toujours blessé, aux adducteurs ou aux muscles, il prenait du poids et personne ne pouvait lui expliquer les raisons de ces complications surnaturelles.
Vanim n’était pas du genre à se casser la tête pour si peu. Prendre du poids n’était rien en comparaison des galères qu’il avait surmontées. Sa très grave blessure au genou gauche l’avait tenu éloigné des terrains de 1998 à 2001. Il était revenu à temps pour la Coupe du monde 2002. Sa réputation était établie : il avait un mental de fer et d’enfer. Pas question de geindre et de se plaindre – pour quelques kilos. D’ailleurs, jusqu’à présent, il avait toujours réussi à les perdre en s’entraînant et en jouant. Il ne gonflait que durant les périodes de blessure. En plus, malgré les critiques sur son ventre bedonnant ou son cou dilaté, il avait conservé sa puissance, sa vivacité et sa souplesse.
C’était vraiment bizarre, ces produits génétiques : ils changeaient la silhouette sans affecter les performances. Ils semblaient opérer des mutations physiques des plus biscornues et improbables. Comme de grossir sans perdre en niveau de jeu ou en vitesse. Grâce à son statut de Grand Footballeur, il se tapait des tonnes de gonzesses, et pas n’importe lesquelles : les plus belles, les plus affriolantes, les reines des podiums et les princesses des défilés. Les libellules de la nuit. Les papillons d’un jour. Bonjour. Vive l’amour.
Vanim était le meilleur buteur de la Coupe du monde en activité et il avait même l’occasion de décrocher la martingale : le titre de meilleur buteur de tous les temps, pour peu qu’il inscrive au moins deux buts lors de cette Coupe du monde 2006. Vanim était très motivé : depuis deux ans, il ne faisait plus rien en club, au prestigieux Real de Mansillas.
Il y jouait depuis 2002. À la clé, un transfert record et un salaire astronomique, presque deux millions d’euros par mois. Tant qu’il jouait, le tarif passait. Mais depuis 2004, il était souvent blessé et il ne risquait pas de se retaper une santé. Il faisait toujours la fête. Il ne s’entraînait plus sérieusement. Il avait pris des tonnes de kilos, quinze environ, et était arrivé à la Coupe du monde en flirtant avec le quintal. Il buvait, il mangeait, il forniquait. Bref, pour le sport de haut niveau, il était out depuis un moment.
Sa seule raison de jouer encore, c’était ce foutu record à battre en Coupe du monde. Depuis qu’il s’était blessé huit ans auparavant, il avait changé sa façon de voir. Auparavant, il était le prototype du robot, ultravitaminé, ultraperformant, vivant pour le foot. Certes, il aimait les femmes et la fête, mais c’était un ton en dessous.
En se blessant, il était devenu au fil du temps un adepte des soirées bière et tequila, son alcool fort préféré. C’était surtout après la précédente Coupe du monde, en 2002, qu’il avait évolué. Il était devenu Champion du monde, il avait inscrit neuf buts en une Coupe, dont trois en finale. Il était l’idole de tout un pays, le pays du football, le Brésil – les Brésiliens et les Brésiliennes.
Il serrait la main au Président, il était adulé partout où il passait. Il était intouchable. Il comptait bien se servir de son nouveau statut de miraculé pour tout se permettre. Il faisait son enfant capricieux en répétant à qui voulait l’entendre qu’il n’était pas gros, seulement musclé. C’était vrai qu’en dix ans de dopage médicalisé, il avait réussi à passer du fil de fer au rouleau compresseur de type bionique.
Il se doutait que c’était à cause de ce dopage que ses blessures musculaires s’enchaînaient, en particulier sa terrible blessure au genou contractée il y a huit ans, qui avait bien failli le priver de football définitivement. Maintenant qu’il était un Phénix capable de revenir de tous les enfers comme si de rien n’était, il jouait au cador en testant son statut dans les boîtes de nuit et les soirées beuveries.
Il se frotta le ventre et crut qu’il avait la berlue : d’ordinaire, la personne qui l’accompagnait avait une voix douce et frêle. C’était son vice que de la mater en loucedé quand elle sortait de la douche. Avec le temps, Vanim s’ennuyait des femmes et son hédonisme se portait sur des petits plaisirs comme le voyeurisme. Il avait d’autres distractions sexuelles, mais ce n’était pas le sujet.
Il sursauta, le corps encore tout barbouillé, en constatant que la voix était celle d’un homme. Il y avait quelqu’un dans la chambre d’hôtel. Qui ? Un gangster qui venait le racketter ? Un paparazzi qui voulait lancer un scandale sur ses mœurs dépravées ? Il eut vraiment la frousse. Vanim était en couple. La presse à sensations se frotterait les mains de l’association du scandale sportif et people. Du pain béni pour les oui-ouis. Vanim dans une chambre d’hôtel avec une salope de vingt ans, encore bourré de sa fiesta de la veille, sûr que ça ferait du tirage !
« Vanim ! »
Celui qui le hélait avec tant de candeur et de désinvolture le connaissait. Forcément. Il s’en étonna. Son front accusa deux rides profondes – le signe qu’il était contrarié. Si c’était une connaissance ? Impossible : la sécurité le protégeait, sur ordre personnel de ses amis Présidents, le Président de la République brésilienne et le Président de la Sélection brésilienne.
Avec le jeu des sponsors et l’appui des partenaires financiers, l’ensemble de la délégation fermait les yeux sur ses écarts, parce qu’il était un excellent produit d’appel. Il avait acquis le statut de messie dans l’inconscient brésilien, profondément influencé par la ferveur chrétienne. Dans son inconscient personnel aussi. À force de défier les règles, les normes et les lois, il avait fini par se croire incassable, indestructible, le prototype de l’homme bionique ou du surhomme. Une machine humaine. Le dopage ne l’atteignait pas, ce qui d’ordinaire tuait le renforçait.
« Vanim ! »
Quel importun se permettait de le héler avec cette familiarité ? Un camarade de fête ? Un vague DJ de Rio ? Il se leva d’un bond pour chasser l’intrus avant que la belle de (cette) nuit ne revienne. Christina n’allait pas aimer qu’on la dérange au sortir de la douche. Côté harcèlement médiatique, Vanim en avait connu des vertes et des pas mûres. Au Brésil, chacun de ses clignements de paupières était décortiqué. Au Real, les paparazzis avaient sorti les clichés de partouzes qu’il organisait à son domicile, notamment avec son ami et compère de Sélection, le grand latéral brésilien Antonio Carlito – encore un dopé notoire. C’était surtout au début, à son arrivée au Real, quand il pouvait tout se permettre et qu’on lui passait tout. C’était après l’euphorie de son titre de champion du monde, ses neuf buts, son statut retrouvé de meilleur joueur du monde. Tout lui souriait. Donc il forniquait.
Maintenant, il s’était calmé. Il se contentait de ramener des filles de boîte. Ou de rendre visite à des professionnelles qui avaient intérêt à ne pas déballer les mœurs de leur illustre client. Dans le fond, c’était kif-kif : il avait les moyens de se taper n’importe quelle allumeuse de discothèque. Justement, il était sorti avec Carlito dans la nuit. Christina l’avait allumé.
Vanim ne connaissait pas la fidélité. Dans son milieu, tromper sa femme n’était pas un crime. Les footballeurs de valeur agissaient de la sorte, mais aussi les entraîneurs, les arbitres, les présidents, et la foule des opportunistes qu’on nommait les officiels et qui le plus souvent étaient des pistonnés de première.
Vanim sortit du lit. Il tomba nez à nez avec un petit homme râblé, qui mâchait du chewing-gum. Il n’eut pas l’air surpris ou intimidé : il ne s’agissait ni d’une erreur, ni d’une (mauvaise) surprise. Il y avait anguille sous roches.
« Qu’est-ce que vous me voulez ? »
Chaque révélation impliquait son lot de trahisons. Les paparazzis avaient leurs taupes. Au Real, il avait engagé un détective pour découvrir qui l’avait balancé, après que Carlito et d’autres collègues lui aient juré leurs grands dieux qu’ils n’étaient pour rien dans la traînée de boue médiatique. Vanim cultivait son image d’homme charismatique, pieux, généreux, toujours prêt à donner un coup de main aux enfants, aux pauvres, au Tiers-monde, à soutenir des programmes d’alphabétisation ou de scolarisation, à jouer des matchs de charité pour l’Afrique, à rencontrer le pape…
Et là, subitement, il passait pour un footballeur débile, qui trompait sa femme avec des call-girls, dans des orgies du plus mauvais effet. Comment allaient réagir ses sponsors ? Pour l’instant, il attendait, mais de tels requins suivaient le cours de sa renommée avec consumérisme et cynisme. Ils le lâcheraient au premier cas d’avanie. Raison pour laquelle il était contraint de réaliser une grande Coupe du monde ; et notamment de battre le record du nombre de buts en phase finale de la Coupe du monde, son épreuve fétiche. Il avait inscrit douze réalisations en deux participations. Le record se montait à quatorze unités, l’œuvre d’un Argentin mythique du nom d’Armando, dans les années 80. Il lui fallait impérativement inscrire encore trois buts pour passer à la postérité.
Les détectives lui avaient rapporté les noms des chiens qui le pistaient. C’était une faction du Real, composée autour du capitaine historique, le taiseux Alexis. Alexis était un jaloux compulsif, qui voulait se débarrasser de Vanim pour tirer la couverture à lui. Il détestait qu’on lui vole la vedette. Il était le produit chéri de Mansillas, l’enfant du pays, la star locale. Vanim inscrivait trop de buts. Alexis comptait sur le réseau franquiste installé à l’intérieur du club, des milliardaires fascistes qui se tenaient en retrait de la présidence et disposaient de toute latitude pour manœuvrer le club dans leur logique de manipulateurs tourmentés.
C’était eux, les vrais dirigeants et ils avaient les moyes d’embobiner les clubs des supporters. Notamment en colportant des rumeurs complaisantes. C’est ainsi que Vanim était dénoncé comme un dépravé et un mercenaire sans âme, alors qu’Alexis passait pour un modèle de professionnalisme et d’abnégation, qui vivait pour l’amour de son maillot et pour des valeurs désuètes. Qui était au courant qu’Alexis trompait sa femme avec des présentatrices de télévision ?
Vanim n’avait pas été étonné de découvrir l’ampleur de la trahison : depuis qu’il avait atterri dans ce club fasciste et friqué, il n’avait qu’une envie : partir. Seulement, c’était le club le plus riche du monde, le plus offrant, celui qui lui versait un salaire mirobolant. Il partirait bientôt. Il remettait sa résolution à demain. La nomination d’un nouvel entraîneur avant la Coupe du monde 2006 avait signé sa condamnation. Un certain Capillo, un Italien caractériel et dictatorial. Couplée à l’arrivée d’un manager véreux et raciste, l’ancienne vedette locale, le Serbe Machajic. En haut lieu, c’était le signe qu’on ne voulait plus de lui. On était prêt à tout, y compris à ébruiter ses fredaines, pourtant banales.
« Qu’est-ce que vous me voulez ? »
Vanim avait pris ses responsabilités en interpellant son interlocuteur. Il avait le don physiologique pour cacher sa peur, comme quand il se présentait face à un gardien. Les journalistes s’extasiaient devant tant de sang-froid. En fait, il avait le sang chaud, mais il cachait sa nature profonde derrière les sourires et la nonchalance. C’est exactement ce qu’il fit en apostrophant l’homme : avec bonhomie et fantaisie. Tout était jeu, tout était amusement.
Vanim avait l’habitude des délégations, composées d’une faune de supporters, dont certains servaient de messagers pour les commanditaires, des gros bonnets aux intentions peu reluisantes. Le drame ? Les caïds n’étaient pas des barons d’organisations criminelles. C’étaient des affairistes en col blanc, des patrons reconnus, dont la crapulerie se dissimulait avantageusement derrière le masque de la respectabilité. Celle que confère le système.
Sûr qu’il n’avait jamais vu cet homme. Sûr que ce n’était pas un soigneur. Ou un médecin. Une pastille pour son programme de remise en forme ? Il aurait été prévenu et aurait su à quoi s’attendre.
« Je ne vous connais pas ! »
Quand Vanim s’énervait, il pouvait devenir très violent et il avait bien l’intention d’user de sa force pour chasser l’importun.
« Attends, ne t’énerve pas : je suis ici pour palabrer ! »
L’homme s’exprimait en brésilien avec un accent qui dénotait une origine hispanisante, probablement sud-américaine. Il avait la tête d’un Blanc des classes moyennes et n’avait pas vraiment d’âge.
« Je ne veux plus vous voir. Je suis occupé ! »
En criant, Vanim espérait se consacrer au retour de la belle Christina. Demain, il ne la reverrait plus et devrait se contenter d’elle en souvenir.
« C’est de Christina que tu parles ? »
Comment il la connaissait, ce drôle ? Vanim se sentit piégé. Il se retourna et découvrit la belle en petite tenue, manifestement pas gênée de se montrer quasiment nue devant un inconnu. Elle arborait un sourire énigmatique.
« Qu’est-ce que c’est que ce merdier ? »
Christina baissa le visage.
« Je vais t’expliquer… »
Vanim tapa du pied sur le sol, comme les purs sangs et les enfants gâtés.
« Pas besoin de photos. J’ai compris ! »
Une bande de maîtres chanteurs venait lui extorquer son fric.
« Vous n’auriez jamais dû frapper à cette porte. Je suis sous contrat avec Panthera. Je travaille avec la Fédération ! Jamais avec vous ! »
L’homme sourit.
« Tu me prends pour un autre ! Je sais qui tu es. Christina aussi ! »
Vanim se mordilla la lèvre et comprit la menace à peine voilée. Christina était toujours là, sans aucune pudeur.
« Maintenant, tu as le choix : soit tu me vires ; soit tu m’écoutes… »
Vanim s’assit sur le lit et soupira, dépassé par les événements.
« Je vois que tu deviens raisonnable…
- Pas le choix : j’ai été piégé par une pute !
- Allez, pas de vulgarité entre nous ! Sois beau joueur. C’est comme quand tu perds un match…
- C’est quoi le problème ?
- Simple : je suis l’archange de la bonne nouvelle !
- Rien que ça ?
- Je suis venu t’annoncer un but. Avoue que c’est un chouette événement ! »
Vanim n’avait besoin que de deux buts pour égaler le Record. L’assurance d’un but signifiait qu’il parviendrait à cet objectif, d’autant qu’il comptait bien aller le plus loin possible et que l’équipe du Brésil, le champion du monde sortant, avait le onze de rêve pour l’emporter encore une fois.
« Quel match ?
- Le Ghana…
- Vous travaillez pour qui ?
- Alors ça, c’est la question-piège. Mettons que ce soit pour une équipe de parieurs asiatiques. T’as pas besoin de savoir !
- Moi, je suis sous contrat avec Panthera et la Sélection. Je suis un grand joueur !
- On connaît la rengaine, Vanim. C’est parce que tu es un grand joueur qu’on t’a contacté. Y’a pire, comme dilemme : nous, on t’a offert une femme pour la nuit, on te propose un but contre le Ghana et un millions de dollars, payés comptant de manière professionnelle, où tu veux, quand tu veux ! Y’a vraiment plus crade... D’habitude, on demande pas aux joueurs de marquer des buts. On les paye pour qu’ils en laissent passer ! »
Vanim se gratta la tête. Il n’avait pas l’habitude de ce genre de contrat. Bien sûr, il avait déjà été confronté à de la corruption. Il fermait les yeux et évitait de savoir qui tirait les ficelles. Trop dangereux de découvrir la vérité. D’ordinaire, comme il jouait dans les clubs les plus huppés, les affaires de corruption l’arrangeaient. On ne le dérangeait jamais.
Cette fois, on l’avait contacté directement. Il eut la certitude que le dopage et la corruption étaient mêlés. Il était tellement fort, tellement doué, doté de qualités physiques si exceptionnelles qu’il n’avait jamais été confronté à la corruption. On ne l’approchait jamais parce qu’il était au-dessus du lot. C’était certain qu’il se dopait à mort. Il se dopait tellement qu’il avait fini par ne plus accorder de confiance au sport de haut niveau, à sa moralité, son intégrité et au dépassement de soi.
Il faisait la fête à mort, il courait les gonzesses à mort, il se dopait à mort. Toujours à fond. Les meilleurs produits. Génétiques et indétectables. Les meilleurs médecins. La pointe de la connaissance. On ne l’avait jamais contacté parce qu’on l’achetait avec le dopage. Il en était à sa quatrième Coupe du monde. Il était usé par toutes ces blessures, en particulier la grave blessure au genou. Elles avaient changé sa manière de jouer. Elles avaient fait de lui un athlète moins résistant, moins endurant, plus intermittent.
Il avait gagné en technique et en mental, il avait perdu en endurance et en gestion des efforts. C’était la raison pour laquelle on venait l’acheter : on estimait qu’il était en bout de course, parce qu’on achète ceux qui sont en état de faiblesse. Malgré les soins et les spécialistes, sa condition s’était dégradée depuis deux ans. Deux ans de galères, de pépins variés, de diverses anicroches. Il avait pris du bide, il buvait de la bière, du champagne. D’autres substances pendant les fêtes.
Il n’arrivait plus à récupérer aussi facilement. Il était arrivé à la Coupe du monde encore blessé. Il ne devait sa sélection qu’à son statut et à ses relations au sein de la Fédération. Pas question de toucher à une star aussi lucrative. De nombreux coéquipiers le regardaient de travers. Il ne pensait qu’à s’amuser, en particulier à sortir et à danser. C’était au moment le plus critique qu’on venait le rencontrer. L’intimider. L’amadouer. Pour le moment, l’offre était encore attractive, mais qui sait ce qu’on lui demanderait d’ici quelques années ? Quels services ? Quels sévices ?
Il se jura de quitter le Real en revenant de la Coupe du monde et de ne jamais entrer dans des combines qui le perdraient. Au pire, s’il n’avait plus les moyens de continuer en Europe, il repartirait au Brésil, où il jouissait encore d’une excellente popularité et où il pourrait se ménager en attendant la prochaine Coupe du monde.
Il se surprit à accepter l’offre, parce qu’il n’avait pas le choix. Être le meilleur buteur de toutes les Coupes du monde – ou ne pas être. S’il refusait, il perdrait – un but. Peut-être qu’il perdrait sa place. Le soigneur n’était pas envoyé de la part de parieurs étrangers. Probablement les mandataires étaient-ils des proches ? La Fédération ou des huiles de l’Organisation Mondiale du Football ? Ceux qui décident des carrières et des destins. Il lui fallait ruser s’il voulait s’en tirer par le haut. C’était exactement le raisonnement que ses corrupteurs avaient osé : s’il parlait, des scandales l’achèveraient et entacheraient sa crédibilité. C’était ce qui s’était produit avec Armando, convaincu de cocaïnomanie et de dopage pour avoir refusé les règles du jeu.
Alors, qu’on le paye tranquillement pour inscrire un malheureux but… Il saurait faire.
« Comment on met le but ? »
Vanim avait toujours suivi son instinct. Dans ce milieu de requins, il n’avait qu’à s’y fier. C’est ce que lui répétait sa tendre mère et il préférait écouter ses conseils plutôt que ceux de ses agents ou de ses amis, qui avaient tous intérêt à profiter de la poule aux œufs d’or. A l’heure actuelle, son instinct lui commandait d’accepter. Il accepterait. Sans se poser de questions superflues. Sa force avait toujours consisté à éviter les questions.
« Tu le mets au fond. T’as l’instinct. Les défenseurs savent comment truquer. Ça ne sera pas explicite : ils laisseront juste un peu d’espace. Tu le sentiras. On te contacte parce qu’on sait qu’avec toi, on a la garantie qu’elle est dans les filets : t’es le meilleur ! »
Christina cligna des yeux à cette remarque. Vanim en ressentit de l’orgueil. Il était touché dans sa fierté de champion par la corruption. La remarque lui fit le plus grand bien. Si une pute le regardait avec les yeux de Chimène, c’était qu’il n’était pas encore fini. Il allait recouvrir une partie de son optimisme. Il allait entrer dans la légende d’une manière éclatante : après tout, ce scénario le contraignait encore plus à les planter, ces fichus buts.
C’était sa force, son moteur et sa spécialité. La raison pour laquelle depuis plus de quinze ans, les meilleurs clubs, les plus pointus recruteurs se poussaient au portillon : Vanim possédait plus que quiconque la faculté d’affoler les statistiques et les compteurs. En plus du sens du but, ce qu’il y avait d’exceptionnel chez lui, c’est qu’il avait le panache, cette alliance miraculeuse entre la technique et la vitesse, qui lui permettait d’être toujours là au bon moment. Dans les moments décisifs, Vanim répondait présent.
« Parfait, je vous laisse en paix ! »
Vanim se gratta le nez. L’homme s’était éclipsé. Christina s’empressa de laisser tomber sa soubrette.
« On peut recommencer, hein, si tu veux ? »
Vanim ne s’offusqua pas de coucher avec la femme qui l’avait piégé quelques minutes auparavant. Cette femme, c’était quoi ? Une pute ? Il avait l’habitude des putes. Lui gagnait tellement de fric qu’il ne recourait pas aux services des donzelles des rues. Il avait accès aux plus inabordables. Des fois, il baisait des putes gratos, juste parce qu’il était Vanim et qu’on lui faisait plaisir.
Toutes ces femmes qui étaient à côté des joueurs, séduites par le charme des meilleurs ! Vanim n’était pas dupe du cirque : s’il avait été balayeur, il n’aurait jamais pu aborder la moitié du dixième des femmes qu’il avait allongées dans son lit. Il en profitait, de la dolce vita, au point qu’il avait fini par ne plus suivre les conseils de diététique et par ressembler à un bidendum gonflé à la bière. La silhouette d’un sportif longiligne ? Pourquoi aurait-il consenti à tant de sacrifices pour un spectacle qui n’était plus du sport depuis un bail ?
Il était comme tous les footballeurs, de sa génération et des suivantes : ils se dopaient tellement que leur vie serait courte. Leur carrière également. On avait beau leur répéter que le dopage était bon pour leur forme, ils évitaient soigneusement de se poser trop de questions. Ils ne pensaient qu’à la fête et aux femmes. C’était le même plan pour les autres stars de la Sélection, les Vaniminho, Folinho, Lula et autres noms déjà légendaires.
Trop vite ? Trop pressés ? Trop pressurisés ? Aujourd’hui, dans le foot, on était star en peu d’exploits. La recette ? Simple comme une obole : se donner une réputation de dévots issus des ghettos, de proches du peuple, voire de chérubins, alors qu’on n’en avait rien à cirer, des grandes causes mondiales. Les crampons étaient le viatique pour amasser le plus de thune dans le laps de temps le plus court possible.
Vanim n’était pas le seul à avoir constaté que les dopants de la nouvelle génération, les produits qui travaillaient sur la génétique et sur l’ADN, étaient aussi propres qu’épuisants. Pendant les premières années, quand le champion s’ébattait dans la prime jeunesse, sa forme tenait du prodige. Il était fin, musclé, tonique. Puis d’un coup, après vingt-cinq piges, il forcissait, il grossissait, il s’empâtait. Il perdait la plupart de ses qualités.
Comment expliquer cette soudaine transformation sans en inférer que les produits boostaient pendant un temps, et qu’ensuite, comme un moteur surchauffé, le corps n’arrivait plus à suivre ? C’est alors que la presse ne faisait plus son beurre gras du prodige tant admiré quelques mois auparavant. On se mettait à le critiquer, on expliquait ses contre-performances par son mode de vie, alors qu’il avait toujours vécu de la même manière.
On se gardait bien de dire la vérité : de soulever la question du dopage. Les journalistes sportifs étaient d’une redoutable mauvaise foi et n’avaient rien de journalistes. Leur but n’était pas de dire la vérité, mais de relayer la propagande favorable au monde du sport. On nageait dans une dérive complète, si bien que Vanim était finalement comme les autres : il ne pensait qu’à profiter. Sauf qu’il était meilleur que les autres. Qu’il avait révolutionné son sport.
Par son style. Pas seulement : les produits dopants l’avaient transformé en un homme bionique. Vanim n’était pas au-dessus des grands joueurs des générations précédentes. Quand il était arrivé en Europe, à dix-sept ans, au PSV, il courait déjà très vite. Il avait le plus beau jeu de jambes du monde, il était encore mince, presque maigre. Grâce aux médecins du PSV, qui travaillaient en symbiose avec les Brésiliens, il avait pris quinze kilos de muscles en trois ans. On suspectait parfois l’usage d’anabolisants, mais Vanim pouvait rire : il avait suivi un régime non détectable.
On lui avait expliqué que sa santé ne risquait rien et que cette génération de produits dopants influait sur le code génétique. En gros, on le transformait en Superman. Ce n’était pas pour lui déplaire. Il avait commencé à déchanter quelques années plus tard, après la campagne 1998 de France, lorsqu’il avait constaté que sa forme étincelante et ses exploits insatiables avaient trouvé leur limite. Une terrible maladie l’avait frappé : malaises inexpliqués et surtout genou brisé. En vrac. En vrille. Trois ans de perdu.
Il était revenu en forme divine pour la Coupe du monde suivante, en 2002, après quatre ans de vaches maigres. La Coupe du monde 2002 : éclaboussée de toute sa classe, neuf buts inscrits, record dans cette compétition pour les trente dernières années. Qui soupçonnait que c’était le dopage, et pas n’importe lequel, le dopage avant-gardiste, qui expliquait son retour en forme insoupçonné ? Tous. Tous les journalistes. Tous les officiels. Tous les cols blancs. Tous les becs de la haute. Tous savaient, tous se taisaient. Tous protégeaient le secret évident et inavouable. Vanim avait cassé la baraque. Vanim avait joué comme un crack. Boum. Hue.
En haut lieu, on cherchait de l’aide. On craignait qu’il ne parle. Il avait tellement souffert ! Tant d’années de galères ! L’enfer après le paradis. On lui avait glissé un coup de pouce pour qu’il revienne en forme au bon moment. Désormais qu’il était une légende, parce qu’il était revenu au plus haut niveau après ses graves blessures, il en avait marre. Il était blasé.
Peut-être, mais surtout totalement désabusé par les coulisses du football. Il en profitait. Il était inutile de respecter des règles qui ne servaient qu’à amuser la galerie. Le fond, c’était le profit et le plaisir.
« Tu viens : j’ai encore envie... »
Christina accepta de bonne grâce. Le marché était simple : Vanim avait accepté l’offre de corruption. Christina couchait avec lui. C’était ainsi que la transaction s’établissait. Le succès phénoménal de Vanim auprès des femmes était totalement disproportionné. Sans ses millions, son aura, ses titres, Vanim n’aurait été qu’un pauvre ladre flanqué d’une grosse mulâtresse sans un sou et perclus de boutons. Heureusement que le football était le sport-roi du Brésil ! Toutes les filles étaient folles du meilleur buteur. Meilleur joueur ?
Vanim sourit. Ne plus penser – à rien. Ne plus penser – au foot. Ne plus penser – aux règles. Depuis qu’il avait rejoint le Real, il profitait du temps. Il réalisait encore des exploits, mais il se moquait depuis belle lurette du foot. Il prenait l’argent et il buvait la bière en compagnie de belles rombières. Il s’allongea sur le lit et sentit sa bedaine remplie de champagne. Depuis quinze jours, elle se réduisait à vue d’entraînements. Sans doute qu’il serait prêt à temps, mais il avait abandonné l’espoir de retrouver sa condition d’antan, son coup de rein dévastateur et ses illusions dévastées.
Le dopage, la corruption, son sport n’était vraiment qu’un ramassis de merde et d’infamie. Il ne restait qu’à profiter du système. Il n’attendait qu’une chose : prendre sa retraite et profiter de ses millions. Peut-être qu’une vacherie de maladie se déclarerait après, dans la vraie vie, mais il ne réalisait pas. Mourir ne le dérangeait pas, vu qu’il n’avait jamais vécu.

Quart de finale France-Brésil.

Vanim est aux anges. Il a perdu dix kilos et il a marqué trois buts. Il est tellement musclé qu’il souffre d’hypermusculation et que son embonpoint le sert. Il est recordman du nombre de buts inscrits en Coupe du monde. Il a réussi son pari. Il est aux anges. Depuis tout petit, il ne rêve que de disputer la Coupe du monde et d’enfiler les buts. Eh bien, Vanim ne s’était pas contenté de planter. Il était devenu le plus grand buteur de tous les temps. Le meilleur joueur de sa génération, ce qui n’était pas un mince exploit. D’ordinaire, les meilleurs se recrutaient dans les rangs des meneurs de jeu.
Avec Nascimento ou Armando, Vanim tenait deux fameux exemples en Amérique du Sud. Nascimento avait mal tourné. Imbu de sa personne, il ne cessait de distribuer les avis sentencieux et déphasés. À force de dribbler, Armando avait fini dans la défonce, cocaïne, alcool et pépés. Vanim avait trouvé le chemin de l’entre-deux. Il profitait du système. S’amuser ne l’avait pas tant désavantagé. Sa carrière parlait pour lui.
Et tant pis pour ceux qui auraient aimé qu’il arbore une image lisse. Vanim était rentré sur la pelouse de ce quart de finale plein d’espoir. Le Brésil était le champion du monde en titre. La France comptait dans ses rangs Drazy, le meilleur meneur de jeu de sa génération et le meilleur Français, une légende vivante pour les bobos antiracistes.
Vanim le comptait parmi ses amis. Amis de club, amis de foot, c’est-à-dire qu’il avait bien compris le manège du Français : Drazy faisait comme si Vanim était son copain pour mieux se valoriser et entrer dans la cour des grands. Résultat garanti : Drazy était le chouchou de l’OMF et des médias, qui lui préféraient son image lisse et conformiste aux écarts de Vanim. En 1998, la France avait battu en finale et sur son sol le Brésil par 2 buts à 0. Vanim avait très mal vécu cet épisode et n’avait cessé depuis de se demander si ce match n’avait pas été acheté. La France qui gagnait en France… Drazy qui plantait deux buts en finale…
Drazy était un bon joueur, qui ne perdait pas le ballon au milieu de terrain. Il n’avait pas le sens du but, il ne savait pas dribbler. C’était un joueur surcoté, le chouchou des médias et du système. En plus, il était d’origine algérienne et il était kabyle : il avait tout pour servir de caution au racisme occidental et incarner le Rebeu de service. Un Arabe kabyle, un musulman réformé, un bon joueur déformé : la fortune de Drazy avait coïncidé avec le début des malheurs de Vanim, ses malaises, ses blessures à répétition, ses genoux en compote.
On l’avait cru perdu pour le foot et il était rené de ses cendres, tel le Phénix des sportifs. Il avait gagné la Coupe du monde 2002 et avait réussi l’exploit de revenir au plus haut niveau, en signant un contrat pharaonique avec le Real. Alors, le reste, les rumeurs et les ragots, il s’en balançait. Peut-être qu’il était trop souvent blessé, peut-être qu’il levait trop le coude, peut-être que le Real allait suspendre son contrat, mais il avait réussi le principal : prouver qu’il était le meilleur.
Tout simplement. Vanim avait été heureux de planter comme convenu un but contre le Ghana. Christina avait disparu depuis son unique apparition. Elle ne devait plus se trouver sur les lieux de son crime. Elle avait peut-être quitté le pays ? Rejoint les siens ? Elle se disait italienne. Pourquoi pas ? Christina était la reine d’une nuit. Vanim était le roi de la nuit. L’empereur des buts. Il avait foncé comme à son habitude. Sans réfléchir, il avait dribblé le gardien et planté dans le but vide.
Un but magnifique. Un but caractéristique de son style : félin, puissant et roué. Un démarrage ravageur, une accélération supersonique, un passement de jambes en action dont il avait le secret. Il n’avait pas songé à la prédiction de l’homme. Le soigneur lui avait promis un but. Vanim avait obtenu un but. C’était étrange. Dans le fil de sa course foudroyante et époustouflante, il aurait juré avoir marqué un but naturel. Ce n’est qu’en regardant le ralenti après match qu’il s’était aperçu de l’évidence : les défenseurs le marquaient avec bonhomie.
Quand il avait accéléré, ils lui avaient laissé la fraction de secondes qui ne se rattrape pas. Il avait rigolé un bon coup en visionnant la scène : personne n’était au courant. Il avait marqué un but authentique, un but qui réclamait dextérité et adresse. Ses marques de fabrique. On l’avait peut-être aidé, mais il avait eu besoin de tout son mérite pour inscrire cette perle historique. L’affaire était close.
Personne ne semblait au courant dans la délégation. Son influence sur le groupe n’était plus aussi incontestable. Auparavant, elle était irréfutable. Vanim avait le statut d’un dieu. Maintenant, on lui faisait sentir que ses écarts allaient trop loin et risquaient de mettre en péril l’équilibre collectif. Il n’était plus aussi indiscutable. Auparavant, son génie individuel servait le groupe. Maintenant, il desservait le collectif. Le groupe. Le groupe expliquait tout. Et son contraire. La mauvaise foi expliquait tout.
Vanim était entré plein de foi et de joie dans le match contre la France. Il comptait prendre sa revanche. Il en était pour ses frais depuis plus d’une heure. Durant la première mi-temps insipide, il n’avait touché que des bribes de ballon. Jusqu’à présent, les trucages avaient toujours été en sa faveur. C’étaient des adjuvants, non des renversements.
Le seul précédent défavorable, il l’avait évacué de sa mémoire. C’était la finale contre la France. Comme si le match était joué depuis toujours. 1998. La France avait gagné sur son sol. C’était inscrit. Les officiels nageaient dans le bonheur heureux, surtout les officiels de l’OMF. Ces véreux, incapables de taper dans un ballon, faisaient croire qu’ils étaient passés à côté d’une carrière de footballeur. En ce jour de deuil, ils ne cessaient d’applaudir, comme si leur plan avait été respecté, en tout cas leurs attentes.
Et là, Vanim vit revenir dans une rengaine circulaire toute sa carrière. La France, la fille fidèle du trucage ? Des arrangements ? Toujours la France. Il avait beaucoup fermé les yeux. Trop. Il avait oublié 1998. Acheté. Les Français prévus pour la gagne. Il n’avait pas voulu voir qu’il était revenu avec le bon vouloir des décideurs de la Fédération brésilienne et de l’OMF en 2002. Tous avaient peur qu’il déballe, le dopage, la raison de ses blessures à répétition, son absence de presque quatre ans.
Vanim se tenait dans le rond central et ne voyait pas le ballon. On s’était bien foutu de sa gueule. Il aurait peut-être mieux valu qu’il ne réussisse pas dans le foot, qu’il ne soit pas doté de son talent prodigieux et de ses capacités physiques invraisemblables. Il aurait été plus heureux. Son génie était une malédiction. Sa vie de plaisirs commença à lui peser. Il aurait aimé redevenir le petit garçon naïf et candide qu’il n’avait jamais cessé d’aspirer.
La seconde mi-temps battait son plein. C’est-à-dire qu’il ne se passait rien. Les Français dominaient sans jouer et sans se créer d’occasions. Les Brésiliens ne jouaient pas. Les techniciens hors pair étaient invisibles au milieu de terrain. Personne ne bougeait. Les Français obtinrent un coup franc aux vingt mètres, légèrement décalé par rapport à la surface de réparation. Drazy s’avança. Drazy réussissait depuis le début du match tous ses contrôles et tous ses dribbles. Il disputait le match de sa vie avec un acharnement qui indiquait sans doute qu’il était au summum de sa carrière. On voulait que ce match soit son chef-d’œuvre. Pourtant, il manquait la passion que seule la vie confère. L’artifice laissait un goût d’inachevé. D’ordinaire, les grands joueurs faisaient la différence. Drazy faisait ce qu’il pouvait : il brillait et il épatait la galerie.
Vanim avait besoin de quelques ballons devant le but pour révéler sa classe, accélérer et tenter une frappe inattendue. Drazy avait besoin de tripoter la balle. Le coup franc lui donnait l’occasion de confirmer sa carrière de faux semblants. Vanim se sentait en forme. Il attendait le dernier quart d’heure pour se montrer, quand ses adversaires exténués le laisseraient profiter d’une erreur de distraction.
Drazy était en sueur malgré les produits. Sans doute les mêmes que Vanim. Les joueurs ne parlaient jamais de dopage entre eux. Durant la saison, Drazy n’avait quasiment pas joué en club, suite à un accord tacite avec les dirigeants du Real, qui étaient de mèche avec l’OMF. On voulait que Drazy réussisse sa dernière Coupe du monde. Les grands joueurs manquaient cruellement.
Vanim jouissait de la vue idéale pour observer le coup de franc depuis sa position dans le rond central, légèrement décalé par rapport à son équipe, au cas où un ballon lui arriverait opportunément. Drazy se pencha pour tirer. Les défenseurs brésiliens sautillaient au marquage des joueurs français. Tout à coup, Vanim eut l’impression d’un flottement, comme si la défense laissait les attaquants libres de leurs initiatives. Il n’eut pas le temps d’approfondir son intuition dévorante. Qu’il aurait aimé disposer d’une petite commande afin de revenir en arrière et de bloquer le temps ! Tout s’enchaîna très vite.
Drazy frappa de manière convenue. Vanim aperçut le latéral gauche Antonio Carlito qui refaisait ses lacets, accroupi. Antonio Carlito était le meilleur latéral de tous les temps – ou peu s’en fallait. Frappe de balle supersonique, technique brésilienne, vitesse, endurance… Il avait tout pour plaire et pour réussir. A vingt mètres de ses buts, Carlito refaisait ses lacets ! En plein danger défensif. Faute professionnelle impossible pour un défenseur de son niveau.
Carlito était au marquage du seul attaquant de l’équipe de France, un benêt qui se prenait tellement au sérieux qu’il en fallait beaucoup aux journalistes qui l’interviewaient pour ne pas rigoler sous cape devant sa bêtise. Le dadais se nommait Henri Roland. Un grand Antillais qui courait très vite, de ce fait star dans son club d’Angleterre. Parfait, le plan du Noir qui court vite en Occident. C’était un bon footballeur et un bon attaquant, certainement pas le prodige que l’on présentait dans la presse pour faire croire que l’équipe de France comptait une star de plus, à part Drazy.
Sans télécommande, Vanim plongea dans le temps de l’instant. Les millièmes défilèrent. La scène surjouée était hallucinante d’évidence. L’équipe de France jouait avec un seul attaquant et misait sur l’exceptionnelle puissance de son milieu pour enfoncer les équipes adverses. N’importe quel défenseur amateur de seconde zone savait pertinemment que l’on marquait son attaquant lors d’un coup franc aux vingt mètres, qui plus est un coup franc excentré.
Vanim eut l’impression que l’action ne sortirait jamais de sa mémoire. Meurtri. Il se sentait meurtri. Le débile Roland n’eut pas besoin de se forcer pour inscrire un plat du pied magistral sous la barre. Il était seul et sans marquage. Les autres défenseurs n’avaient pas bronché. Carlito ne s’était pas relevé. Il baissait la tête. Roland libre avait fusillé à bout portant le gardien. Les Français exultaient. Vanim regarda le banc de touche. Les entraîneurs et l’encadrement semblaient dépités. Ils ne bougeaient pas.
Les joueurs étaient ailleurs. En particulier les milieux offensifs et les attaquants. Vanim sentit monter la colère. Pourquoi jouait-il encore au foot ? Parce qu’il prenait au sérieux ce sport ? Il avait bien tort. On l’avait acheté contre le Ghana et c’était un peu une forme de réciprocité et de justice cruelle : on s’était bien gardé de lui signaler que le match suivant serait acheté en sa défaveur et qu’il serait ainsi manipulé et défavorisé. Il avait battu le record des buteurs et il était éliminé. Deux trucages majeurs. Alors qu’on ne vienne plus jamais lui casser les couilles avec l’hygiène de vie ou la morale sportive !
Vanim se promit de demander des comptes à son pote Carlito. Pourquoi avait-il accepté pareille transaction ? Pourquoi les autres joueurs dormaient comme des zombies sous tranquillisants ? Vanim eut envie de quitter le terrain. Ceux qui truquaient les matchs s’étaient bien foutus de sa gueule. Drazy exultait. Sûr que ce fumier, agressif, arrogant et faussement modeste, était dans le coup. Il travaillait avec de grosses multinationales et il tenait plus que jamais à son image de marque.
Vanim pria pour que la France ne gagne pas la Coupe du monde. Ces athlètes incomparables s’étaient mis à la mode italienne et avaient progressé au point de rejoindre leurs modèles. On murmurait que les Français avaient gagné en sens tactique en jouant dans les grands clubs italiens. C’était vrai. Mais ce n’était pas l’essentiel de la vérité. La vérité, c’était que les Français se dopaient à mort et qu’ils avaient un potentiel physique encore plus important que celui du Brésil. Ils étaient moins techniques mais ô combien plus physiques.
Les Français ne valaient pas les Brésiliens, mais ils comblaient leurs lacunes dans le jeu avec leur puissance et leur endurance. Manifestement. Pas seulement. Ils avaient aussi quelques moyens de truquer. Pour leur compte ? Eux aussi n’étaient que des pantins. Vanim n’avait jamais suspecté à quel point le dopage était le jumeau du trucage. Avec le tandem complémentaire dopage/trucage, on cernait mieux les arcanes du football, sa longue dérive vers le spectacle du sport. En Allemagne, il était impossible qu’une équipe non européenne gagne la Coupe. Les instances internationales étaient racistes à mort et ne tenaient pas à ce que la suprématie de l’Occident soit remise en question dans le football.
Il était impossible de jouer au plus haut niveau sans se doper. Pas davantage de jouer au plus haut niveau sans truquer. Dépité, il regarda l’immense panneau vidéo qui indiquait au-dessus du stade le nombre de minutes disputées. Restait un peu plus d’un quart d’heure. Les dés étaient jetés. Les dés étaient pipés. De rage, il se jeta comme un mort de faim sur un ballon qui passait à sa portée. Voilà longtemps qu’il n’avait pas manifesté une telle hargne sur un terrain !
Le milieu de terrain français vola sous le choc. L’arbitre ne siffla pas. Vanim contrôla la balle et se lança dans une chevauchée dont il avait le secret. Il dribbla deux joueurs instantanément, grâce à son pouvoir d’accélération foudroyant. Il se retrouva ensuite confronté à un mur devant le but. Il était aux trente mètres. Il n’avait jamais réfléchi. S’il réfléchissait, il perdait son merveilleux pouvoir de perforation et de percussion.
Il passa en force face à Vaniera, le meilleur milieu au monde quand il était en pleine possession de ses moyens (avec le temps, il était de plus en plus blessé, sans doute la conséquence du dopage). Vaniera tomba et Vanim s’apprêta à décocher une frappe. On l’avait cassé. Il se retourna pour protester. C’était Comte, le vaillant défenseur français, qui avait tenté un tacle désespéré.
Coup franc théâtral. L’arbitre siffla instantanément. Comte était connu pour son jeu rugueux et sa puissance hors catégorie. C’était une masse, un défenseur de très haut niveau, un des meilleurs de sa génération. Un Antillais comme Roland. Bien entendu, on n’en parlait jamais, mais il courait les filles et se permettait toutes les largesses avec ses millions. Comme il n’était pas aussi bête que Roland, les médias français l’avaient installé à la place du grand sage africain décérébré pour montrer qu’ils promouvaient l’intégration des Noirs.
Coup de théâtre supplémentaire : l’arbitre expulsa Comte. Tacle par derrière. D’un coup, Vanim se reprit à y croire. Comte râla, furieux de cette expulsion. À trente-cinq ans sonnés, il ne voulait pas quitter la Coupe et l’équipe de France sur cette fausse note. Rien à faire. Vanim s’approcha du ballon. Vaniminho voulait absolument tirer. Vanim se secoua péniblement, encore essoufflé de son sprint de malade. Drazy vint le relever, pour jouer les grands seigneurs et maintenir sa cote au firmament de la morale médiatique.
Vanim aurait bien tiré le coup franc. Carlito ne s’était pas approché. Il était resté dans son coin, le visage placide et l’air de ne pas y croire. Vaniminho fit son numéro. C’était un spécialiste des coups francs. Il se prenait pour un génie du foot, alors que n’importe quel entraîneur savait bien qu’il était un Drazy : pas décisif pour un sou. C’était un très bon, pas un grand. Vanim avait révolutionné son sport. Vaniminho ne faisait que recopier. D’ailleurs, il avait repris sous un diminutif affectueux le nom de Vanim et il s’échinait péniblement à reproduire ses passements de jambes estampillés Brasil. Vanim riait de la contrefaçon, qui était au fond le plus bel hommage involontaire qu’on pouvait lui adresser : Vanim était le seul à réussir les passements de jambes lancé à toute vitesse. Vaniminho les enchaînait à l’arrêt.
Comme Drazy le faux funambule. Vraie marionnette. Seul Vanim détenait le monopole du passement de jambes en pleine course. Vaniminho s’était penché sur le ballon pour lui parler. L’artiste du ballon poète et bohème. Il expédia l’occasion unique à cinq mètres au-dessus de la transversale. Le gardien n’avait pas esquissé le moindre geste. Si c’était pour tirer de la sorte, Vaniminho, qui réalisait une Coupe du monde exécrable, pouvait rester à la maison. Faire la fête.
Il se donnait des airs de danseur de samba, comme si la vie était un éternel amusement. Vanim secoua la tête. Son incapable de coéquipier avait gâché la seule occasion de rejoindre au score les Français. Déjà Drazy faisait de grands signes pour réorganiser la défense. Il s’agissait de tenir les dernières minutes. En dix minutes, les Brésiliens montrèrent qu’ils avaient envie de quitter le match sur la pointe des pieds. Quand l’arbitre siffla la fin, tous se congratulèrent. Vaniminho faisait toujours son cinéma, comme s’il n’avait pas compris que sans résultats, son show s’étiolait et se ridiculisait.
Sans doute pour montrer qu’il avait de hautes valeurs, y compris dans la défaite, voilà qu’il congratulait chaudement Roland, alors qu’il le connaissait à peine. Vaniminho se moquait éperdument de la défaite. Il n’était pas le seul. Lula le meneur de jeu vedette de l’AC Malines échangeait son maillot avec un remplaçant français. Le show, toujours le show. Même le plus froid. Même indigeste. The show must go on. Seul contre tous, contrairement à ses exubérants coéquipiers, dont le fair-play dépassait l’esprit du jeu, Vanim quitta le terrain. Sans saluer personne, la mine défaite et les poings serrés. Il aurait bien cassé la gueule à Drazy pour le prix de sa forfaiture.
Vaniminho était dans le coup. Qui n’était pas dans le coup ? Marcello, l’attaquant colossal de l’Inter de Malines ? Lula le petit saint de l’AC ? Tous achetés, d’une manière ou d’un autre ! Tous mercenaires du spectacle. Il fallait accepter l’évidence incontournable. Son coéquipier du Real Drazy était un traître. Ses coéquipiers de sélection étaient des traîtres. Il eut mal en réalisant que son ami Carlito était un traître. Il aurait bien défoncé une porte pour calmer ses nerfs.
Rentrer au Brésil et jouer pour s’amuser. C’était préférable à déjouer pour s’emmurer. Peut-être était-ce la raison pour laquelle son prédécesseur parmi les mythes brésiliens, l’immense attaquant Rogerio, avait tout plaqué une fois la Coupe du monde remportée en 1994 ? 1994, une éternité. Une autre époque. Vanim jouait déjà en Sélection. Les observateurs annonçaient que Rogerio allait monnayer ses titres dans les clubs fortunés d’Europe. Au lieu de quoi il s’était dépêché de quitter le prestigieux F.C. Santadona et de rejoindre le Brésil.
Son championnat de moindre valeur, ses pépètes pépères. On pouvait jouer sans trop recourir à des produits et l’on pouvait préparer la Coupe du monde sans inquiétude. Vanim acquiesça. C’est ce qu’il allait faire à son tour. Le destin lui sourirait sans doute plus la prochaine fois. La Coupe du monde serait organisée en Afrique. C’était pour la bonne image du foot qu’on organisait la Coupe en Afrique, mais les officiels n’avaient aucune intention qu’un pays africain emporte la compétition.
La Coupe se jouerait en Afrique du sud, là où précisément les Blancs et les Noirs incarnaient le triomphe de l’anticolonialisme postcolonialiste. Propagande du football comme vitrine de l’Occident. Le Brésil remporterait la compétition sur le continent méprisé. Aucune équipe africaine n’avait le niveau pour tirer son épingle du jeu. Enfin... Il y avait de grandes équipes potentielles en Afrique. Mais elles étaient si désorganisées, en proie à de telles dissensions politiques et stratégiques qu’il n’était pas possible de gagner quand l’encadrement partait à la dérive.
Ce match, Vanim ne le perdit pas. Depuis un moment, on lui reprochait son comportement mercenaire, d’encaisser les chèques sans l’amour du maillot, mais cette fois plus que jamais, c’était fini. Le foot professionnel lui avait livré son vrai visage. Il avait fallu plus de quinze ans de professionnalisme pour intégrer que la vérité était atroce quand on s’échinait à ne pas en cerner le reflet.

Centre de musculations du Real de Mansillas, deux mois après la Coupe du monde.

Vanim est officiellement blessé et s’entraîne pour revenir. En fait, l’entraîneur du Real a été nommé en juin par la direction du club pour virer Vanim et faire partir les cadres, dont Antonio Carlito. Un Italien au doux nom de Capillo, un coach à poigne et à prestige, qui se veut rugueux et intransigeant. Le Real veut bâtir une nouvelle équipe, plus jeune, et faire déguerpir les contrats des vieilles stars, onéreux et inutiles.
C’est vrai qu’avec son comportement de diva, sa désinvolture et son entêtement proche de la surdité, Vanim ne fait rien pour rentrer en grâce. Dans les petits papiers des dirigeants du Real. Les dirigeants du foot ne choient rien tant que les lèche-culs, les disciplinés et les zélés. Vanim ne rentre pas dans la catégorie. S’il n’est pas du genre rebelle, il ne vit pas comme un sportif. Il profite, il parasite, un fantôme, qui se fout de ce qu’il devrait aduler.
Vanim s’entraîne avec le préparateur physique du Real, un vieux moustachu surnommé Pépé. Pépé a le bon sens des Espagnols qui ne se posent pas trop de questions et qui se contentent de faire le travail qu’on leur demande. Vanim ne fiche rien et Pépé s’en fiche bien. Non seulement Vanim ne travaille pas pour revenir dans de bonnes conditions, mais il passe son temps à courir les filles et à faire la fête.
Il ne dit rien dans les médias. Les rumeurs autour de son départ ne le concernent pas. Il est soulagé. Partir. Une délivrance et une porte de sortie. Que le Real se débrouille sans lui. Il n’en fera pas sa croix. Il n’en a jamais fait sa bannière. C’est un club de racistes et de magouilleurs, où le fric coule miraculeusement à flots, selon la logique de l’ultralibéralisme : les circuits du blanchiment en col blanc.
Vanim a compris que le foot en Europe était fini pour lui. Du spectacle payant pour joueurs ultradopés. Il n’a plus la santé pour assumer et assurer. Qui dit fric dit trucage. Il n’en parle pas. La seule personne avec laquelle il veut discuter depuis le match perdu contre la France, c’est son ami Carlito. Il n’a jamais eu confiance dans les joueurs de foot. La plupart se donnent une image aux antipodes de ce qu’ils sont. Drazy en est l’illustration paroxystique.
Bizarre, bizarre, Carlito qui se détourne et ne répond plus depuis la fin de la Coupe... Carlito connaît pourtant l’adresse de Vanim le compatriote. Il a divorcé quand Vanim est arrivé au Real il y a quatre saisons. Depuis, ils ont enchaîné les parties fines avec les belles femmes de Mansillas, des professionnelles et des spécialistes exclusives des joueurs de football. Vanim ne se rend plus compte de la réalité. Il fête. Une immense piscine lui sert à inviter des centaines de convives dans sa villa de luxe. Une fontaine à bière trône dans le jardin, tandis que les employés rangent chaque matin des dizaines de bouteilles de champagne. Tel un roi, Vanim est entouré en permanence d’une cour des miracles people, avec fans, parasites, courtisans, journalistes, bimbos sincères.
Pépé s’approche. Il vadrouillait. Il ne sert à rien. Vu le contexte, il n’en rajoute pas. Vanim sue. Avec une nonchalance qui lui est propre, le Brésilien est en train de soulever des poids pour muscler sa jambe gauche. Il subit des contractures à répétition depuis la Coupe du monde. La presse montre du doigt son hygiène de vie. Pépé sourit : « Tiens, l’artiste ! »
C’est un mot de la standardiste du club. Carlito veut absolument lui parler.
« C’est ton pote qui a besoin de boire un verre avec toi ! »
Pépé n’est apparemment pas au courant de la situation de Carlito et de son mutisme. De toute façon, il ne fera aucune histoire. Il tient à couler des jours tranquilles. Carlito se plaint d’une mystérieuse pubalgie qui l’empêche de jouer depuis plusieurs semaines. La presse affirme que Carlito ne veut plus courir.
Si Carlito veut parler à Vanim, c’est sans doute qu’il a des choses importantes à lui confier, en corrélation avec la nouvelle affaire qui défraye la chronique en Espagne. Vaniminho de retour de la Coupe du monde n’a rien trouvé de mieux que de festoyer pendant une semaine avec son compère de la Sélection l’attaquant Marcello. Marcello est l’attaquant brésilien type, chargé à bloc, élevé aux hormones, un géant doté d’une mobilité extraordinaire pour son double décimètre et son quintal de poids.
Les deux amis ont bu, dansé et invité de multiples filles pour des orgies dans la villa de rêve de Vaniminho, non loin de la plage de Santadonna. Avec sa tête de mutant et ses dents de lapin, Vaniminho est le petit Gizmo dont le standing et la réputation autorisent toutes les conquêtes. La méforme persistante des deux joueurs depuis le retour de la Coupe du monde s’explique. Les deux phénomènes font d’habitude les beaux jours de leur club. Ils sont devenus transparents. Vanim n’a pas manqué de rapprocher l’affaire Vaniminho et l’appel de Carlito.
Il annonce à Pépé qu’il va faire un tour. Si les dirigeants ne sont pas enchantés par cette fantaisie, Vanim s’en moque. De toute manière, il veut rentrer au pays et ses dirigeants veulent se débarrasser de lui. Pépé ne le dissuade pas de vaquer à ses occupations. Il voit pour l’une des dernières fois l’attaquant brésilien. Les deux hommes se sont toujours bien entendus. Pourquoi se disputer pour des broutilles ? Vanim est un grand garçon et n’a pas besoin de rappels à l’ordre. De toute façon, Pépé sait que le mot d’ordre actuel est de sceller le départ des vétérans du Real. Drazy est parti. En retraite. Vanim doit suivre. Carlito aussi.
Sur le parking du complexe sportif, Vanim ferme le coffre de sa limousine. Il a la vie d’un rentier. Il entretient une dizaine de voitures dans son garage et il loue les services d’un chauffeur pour le déposer partout où il le souhaite. Ainsi il peut venir à l’entraînement et se reposer. La vie de château. On susurre que Vanim veut jouer les aristocrates et qu’il se comporte en parvenu. Les mauvaises langues ont raté un épisode. Vanim entend seulement sortir et boire – autant qu’il l’entend. Vanim n’est plus un joueur, c’est un patron, c’est un multimillionnaire, c’est un excessif.
Vanim arrive en cinq minutes chrono chez Carlito, qui habite juste à côté de Vanim. Un quartier cossu, construit en priorité pour les joueurs du Real. Le chauffeur attend son patron. Il connaît la destination. Côté faste et munificence, Carlito a visé moins cossu que le fantasque Vanim : pas de villa avec piscine, pas de fontaine à bière, pas de garage pharaonique, pas de piscine, de salles de musculation ou de saunas.
Juste une maison spacieuse. Juste le confortable. La discrétion avant tout. Carlito le célibataire n’est pas chez lui. En transit. Vanim marche avec une nonchalance qui frise l’affectation. Il est partout chez lui. Il entre sans sonner. Vanim aime bien les surprises, montrer de la décontraction. Il tombe sur le majordome, qui se fend la poire : c’est un Brésilien, il a le sens de la blague et de la répartie. Il fait signe que Carlito est dans le jardin.
Carlito a construit une maisonnette retirée de sa villa, munie de tous les équipements informatiques et technologiques. De cette manière, il peut se reposer en regardant des films, son occupation préférée, en jouant à des jeux vidéo, son autre occupation préférée. Quand il ne fait ni l’un, ni l’autre, il téléphone. Des appels à sa famille au Brésil. Le pays lui manque. Il était marié avec un mannequin qui l’a quitté. Il la trompait. Depuis, il vit seul et il s’ennuie.
Pour sa défense, Carlito était jeune. Il ne pensait qu’à se défoncer. Carlito avait eu deux enfants avec son mannequin. Ce n’est pas rien. Elle vit maintenant avec eux en Italie. Il paye une pension. Il a toujours du mal à se remettre de cet échec sentimental. Il regrette son attitude. Il déprime. Il a tenu le coup dans ses performances sportives parce que c’est un battant, mais dès qu’il a fini de jouer, il a envie de pleurer. Il a essayé de se changer les idées avec Vanim, mais la fête a ses limites. Les femmes ont leur limite. Carlito est moins gamin que Vanim et aimerait bien avoir une vie d’adulte.
Quand Vanim arrive, Carlito est au téléphone. En apercevant Vanim, il raccroche.
Carlito laissera un grand vide en partant du Real. Bien plus que Vanim, que l’on traite comme un mercenaire. Carlito est un leader né, qui dirige depuis son arrivée le vestiaire. Deux joueurs mènent l’équipe. Le capitaine historique, l’enfant de Mansillas, Alexis – et Carlito. Carlito était très proche de l’ancien président du Real, le richissime Saint, dont l’origine de la fortune est vaguement imputée à ses options dans le BTP. Bizarrement, on ne pose jamais la question qui dérange. Saint est trop puissant te ce qui tombe à merveille, c’est qu’il aime ses joueurs brésiliens.
Enfin, il les aime comme un patron, c’est-à-dire qu’il a pris la mesure du formidable effet médiatique des Brésiliens. De l’incroyable retombée de fric surtout. Un Brésilien dans le football, c’est la manne assurée. C’est le pactole. C’est le jackpot. Alors Saint a fait venir Vanim et il aimerait qu’une colonie de clones débarque. Carlito était déjà là. Carlito était le Brésilien égaré au pays du franquisme, des traditions et de la vieille Europe. Alexis n’a rien à voir avec ce business. Le style d’Alexis sur un terrain, c’est l’abnégation et l’opportunisme. Aux antipodes de Vanim, qui se signale par ses exploits et ses qualités hors normes. Alexis se sacrifie, Vanim en profite. Autant dire qu’Alexis est excédé par Vanim, alors qu’il s’est toujours senti proche de Carlito, qui est un joueur dans ses cordes.
Alexis est l’enfant naturel des dirigeants historiques du club, ceux qui restent en place pendant les changements, ceux qui s’occupent de la boutique, des franquistes qui se taisent et qui se contentent de jouer aux aristocrates fortunés dans leurs réunions de clubs huppés et mondains. Alexis est leur représentant sur le terrain, parce qu’il est né à Mansillas et qu’il représente l’âme du club. L’âne du coin ? Il est rancunier, autoritaire, fidèle et obtus. Il déteste ce qui lui est supérieur et qu’il ne comprend pas; il adore ce qui lui est égal. Il aime plus le Real que le ballon.
Alexis jalouse Vanim. Comme Vanim, il joue attaquant. Il aurait rêvé d’être Vanim. Pas de le côtoyer. C’est un poids trop lourd à porter que de ne pas être celui qu’on aurait aimé. Un fardeau. Une corvée. C’est trop dur de jouer avec quelqu’un qui vous dépasse des pieds et de la tête. Surtout des pieds. C’est trop dur d’être la star locale et de se rendre compte qu’on est finalement une petite starlette. C’est trop dur de toucher sa limite. Surtout quand on croit être illimité. Quand on vous loue à longueur de journées.
Depuis l’arrivée de Vanim, les performances d’Alexis pâtissent de la classe du Brésilien. Alexis est moins fort que Vanim. Plus lent, moins efficace. Moins génial. C’est un bon joueur qui joue dans le club le plus médiatique du monde. Vanim est le plus grand attaquant de tous les temps. Du coup, Alexis a joué un grand rôle dans l’éviction cette année de Vanim. Il pousse depuis quatre ans, depuis l’arrivée de Vanim, pour que le Brésilien fasse ses valises et cesse de lui voler la vedette. Les plans de reconstruction passent par lui. Il coche les noms de ceux qui vont rester et de ceux qui vont encadrer les nouvelles recrues. Il travaille en collaboration avec le directeur sportif, Machajic, un frimeur et un magouilleur, ancien joueur du club.
Alexis collabore et délègue pour conserver son influence. Il a toujours joué ainsi et il ne supporte pas les joueurs comme Vanim, qui jouent par exploits et par fulgurances. Alexis est un tordu qui excelle dans les combines. C’est un arriviste qui exploite dans la mesure où il est exploité. Au vu de sa personnalité et de ses états de service, c’est un choix sans surprise. Il est le seul ancien à avoir encore voix au chapitre.
Vanim s’assoit sur le tabouret que lui désigne Carlito. Carlito sert un jus de fruit à son ami. Son visage devient grave.
« Toi aussi, t’es blessé ? »
Vanim rit.
« Ça pourrait être plus grave. De toute manière, je ne rejouerai plus ici. Je compte faire mes valises… »
Carlito hoche la tête.
« Moi, ils m’autorisent à rester jusqu’à la fin de la saison, le temps de trouver mon remplaçant. Toi, ils ont déjà fait venir un autre attaquant. »
Carlito fait référence au Néerlandais van Netolooy. Il n’a pas l’air de condamner. Il accepte cette mentalité, dans laquelle les joueurs sont des robots et sont remplacés quand ils ont fait leur temps. Vanim a fait son temps. Carlito a fait son temps.
« Van Netolooy est largement en dessous de toi. Les supporters ne sont pas dupes. Mais t’es trop blessé ! Et t’es pas le pote d’Alexis ! »
Vanim hausse les épaules. Ne pas être le pote d’Alexis signifie que l’on est fâché avec les dirigeants historiques du Real. Tant que Vanim avait le soutien du bon président Saint, il n’avait rien à craindre des foucades d’Alexis, de son orgueil de cheval de course blessé et de sa mesquinerie légendaire. Trop tard. Vanim veut quitter le Real, ses intrigues et son fric. Il ne s’est pas déplacé jusque chez Carlito pour échanger des propos convenus sur le fric qui désagrège le foot ou sur sa mauvaise étoile passagère. Il veut entrer dans le vif du sujet. Quand il a la mine des mauvais jours, qu’il réfléchit, son front se plisse d’une barre. C’est le signe qu’il est contrarié et comme il est très têtu, qu’il ne cèdera pas.
« Bon, dis-moi : pourquoi tu m’as appelé ? »
Carlito tourne la tête. C’est la première fois qu’il affronte Vanim. Il est blême. Blafard. On jurerait qu’il souffre d’un cancer en phase terminale.
« T’as entendu parler de l’affaire Vaniminho ? »
Vanim sourit. Si les gens pensent que Vaniminho est son ami, lui n’aime pas du tout ce jeune rival qui essaye de copier le maître. Drazy s’affiche avec lui pour jouer les grands joueurs. Vaniminho le recopie outrancièrement et personne ne dit rien.
« Que veux-tu que je te dise ?
– Déjà, que le dopage est de pire en pire ! »
Vanim est soufflé. Les joueurs ne parlent jamais de dopage. C’est un sujet tabou. Qu’est-ce qui arrive à Carlito ? Où veut-il en venir ?
« Moi, je tenais le coup grâce aux anabolisants. Vaniminho s’est dopé avec les nouveaux produits. Les bidules génétiques, les choses invisibles, les pastilles propres. Résultat : depuis six mois, il fait tout le temps la fête et il est tout le temps blessé. Maintenant, il va décliner. Il est fini ! »
Vanim se gratte le crâne, qu’il ne rase plus depuis une quinzaine. Pourquoi Carlito lui parle de ce sujet ? Le déballage le gêne. Lui aussi a eu recours aux nouveaux dopants depuis sa grave blessure. Carlito a triplé de volume au niveau des cuisses. Mais Carlito est suivi par les docteurs italiens depuis le début de sa carrière : il s’est économisé, il a sélectionné les dopants et il s’est dopé sur la durée. Vaniminho s’est cramé en abusant des produits miracles sur le court terme. Les nouvelles générations sont incapables de penser au-delà de la saison qui vient. Ce que dit Carlito est juste, mais ne s’applique pas qu’au cas Vaniminho.
Vanim se sent le premier concerné par la remarque de Carlito, frappée au coin du bon sens. Comme son jumeau affadi, Vanim festoie depuis 2002. Depuis qu’il a recours aux dopants génétiques. Au début, ses performances ont connu un spectaculaire progrès. Il est revenu à son niveau. Les docteurs lui ont expliqué que sans les dopants génétiques, sa carrière professionnelle était finie. Les toubibs ne lui ont pas menti.
Pendant deux ans. Depuis deux piges, il est souvent blessé et souvent en méforme. Les nouveaux produits, les nouveaux produits... Ce sont des cachets blancs et bleus, qui agissent sur le métabolisme et qui changent le corps. Ils sont sensés agir pour le bien du sportif et lui permettre de tenir sans délabrer sa santé. Ils sont plus sains que les anciens produits. Plus efficaces. Le dopage génétique. Indétectables aux tests antidopage. Que des avantages.
Et si c’était du pipeau ? Vanim balaye son inquiétude naissante par un sourire insouciant. Il ira faire la fête ce soir pour oublier son nuage de soucis. Le dopage, il a l’habitude de faire avec et il n’a jamais eu le choix. C’est soit se doper, soit briser le rêve. Sa carrière. Son mode de vie n’a pas de prix. Pas question de casser le sortilège, de quitter l’enchantement. L’entraînement. L’enchaînement.
« Bon, on oublie Vaniminho ?
- Son scandale est lié à une affaire que je connais bien…
- Je t’écoute !
- La Coupe du monde… Tu jouais la Coupe du monde ? »
La question serait saugrenue si Carlito n’avait éclaté en sanglots. Il se reprend, visiblement chargé d’une tonne d’émotion.
« Je suis désolé. La Coupe du monde était truquée, Vanim ! »
Vanim sursaute. La révélation-choc de Carlos lui rappelle ce qu’il s’efforce d’oublier et qu’il ne sait que trop. On a acheté Brésil-Ghana. On a acheté la Coupe. On a acheté les femmes. On a acheté la vie. Il décide au feeling de balancer la vérité.
« Je sais. Un type est venu avant le Ghana...
- Et toi, tu me sors cette info !
- Je sais que c’est grave. Mais il m’a demandé de jouer. D’inscrire un but ! Moi, je n’ai pas réfléchi ! C’était une proposition naturelle. Je déteste les prises de tête.
- Et tu as inscrit un but, hein ? Un but vachement important ! Un super passement de jambes au bout de la course.
- Tu sais, je n’ai pas eu besoin de lui pour le planter…
- C’est ce que tu crois. Ils t’ont donné combien ?
- Un million d’euros…
- T’as eu des nouvelles de ton million ?
- En fait, je m’en cire les pompes. Je te dis, le but, c’est moi qui l’ai inscrit ! Je préférais juste éviter les emmerdes.
- Je vais t’ouvrir les yeux : nous sommes des vieux dans ce monde de gosses qui jouent à la console et qui sortent en boîte pour se taper des mannequins sous coco. Tant que nous avons eu le niveau pour assurer, jamais nous n’avons été dérangés. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Regard autour de toi. La fortune de Drazy est différente de la tienne. Aux entraînements, Drazy est moins pointu. Drazy est plus lent. Mais il est le Brésilien d’Europe soutenu par les multinationales et les dirigeants de la FIFA. Drazy truque depuis longtemps. C’est un secret de Polichinelle. La star de la magouille est à fond impliquée dans les coups tordus. C’est son fond de commerce. Nous, on a été purs à côté ; on a joué le jeu avec quelques aveuglements. On s’est juste dopés. Faut croire que notre cote a baissé avec le temps. Après la trentaine, c’est le déclin, Vanim ! T’as trente piges, j’en ai trente-quatre. Moi aussi, quand je dormais à l’hôtel, un type s’est pointé. Moi, il ne m’a pas acheté pour inscrire un but ; il m’a acheté pour en laisser passer un… »
Sans savoir pourquoi, Vanim était pâle. Il revivait la scène du but, Roland qui criait sa plénitude, et c’était pour lui comme si la Terre s’arrêtait de tourner. Sa désinvolture n’était que du cinéma. Ce jour-là, le ressort s’était cassé. Le foot était pourri de l’intérieur.
« Le gars m’a demandé de laisser passer un coup franc. Il m’a décrit avec une grande précision la scène et le moment, après la mi-temps. Je devais laisser libre de tout marquage Roland…
- Il était dans le coup ?
- Je ne pense pas. Tu le connais, il est tellement beubeu, celui-là, qu’il a vraiment cru qu’il avait réussi le crack du siècle ! Il a joué son jeu et je l’ai laissé marquer. Il a dû penser qu’il était trop fort. »
Carlito ne put s’empêcher de rire.
« Crétin ! Un vrai abruti, ce Roland !
- Et Drazy ?
- Faut se méfie-toi du lascar. C’est une autre pointure. Il est protégé en haut lieu, avec ses contrats de pub et les officiels de l’OMF qui ne jurent que par lui. Il était au courant. Ma main à couper. Cette année, il ne joue plus. L’année dernière, il ne jouait déjà plus beaucoup... On l’a protégé pour la Coupe ! C’était une opération marketing, montée par ceux qui ont organisé le tournoi ! »
Vanim réfléchit. Quelque chose clochait encore. Le champion du monde, ce n’était pas Drazy, à sa connaissance. C’était les Italiens qui avaient emporté la Coupe contre la France en finale, sans aucun bon joueur en plus. Que des dopés, des truqueurs et des frimeurs sans cervelle, avec leur coupe gominée et leurs mimiques de mafiosi repentis. Vu les scandales qui secouaient le championnat d’Italie, certain qu’ils trempaient dans les histoires depuis le début de leur carrière.
« Drazy n’a pas gagné, à ce que je sache !
- Ah bon ? Tu m’en apprends une bonne ! Comment te dire ? Il fallait que cette année l’Italie rafle la Coupe. Ils ont gagné sans aucun panache, avec des joueurs très moyens ! C’est de l’ordre de l’improbable, non ?
- C’est vrai…
- Ne tournons pas autour du pot cent sept ans. La France devait aller en demi, le finaliste devait être européen et s’incliner contre l’Italie en finale. Tu n’as pas remarqué ? Quand la Coupe a lieu en Europe, impossible que le Brésil gagne. Les statisticiens attribuent l’exception au hasard ou à des conditions climatiques. Tu parles ! Le hasard a bon dos. Les officiels de la FIFA veulent simplement que l’Europe appartienne aux Européens. Regarde nos dirigeants : ce sont des fachos de première, des partisans de la domination des Blancs. Certains ont été nazis pendant leur jeunesse. Pas seulement chez les Européens. Au Brésil aussi ! Tu les imagines accepter que des mulâtres comme nous soulèvent la Coupe sur leur sol ? Pourtant, si tu réfléchis, on était les meilleurs ! Jamais on avait une équipe de ce calibre ! Vaniminho, Rogerio, Lula, Marcello, nous, les autres, t’as vu la constellation ? »
Il se gratta le crâne, qu’il rasait à blanc, un hommage à la coupe que Vanim avait lancée à son arrivée en Europe – accession quasi instantanée à la gloire.
« Drazy a été enfumé plus profond que nous. Les décideurs l’ont utilisé jusqu’en finale. Ils l’ont vendu plus loin que nous. Faut croire que cette année, les amis de Berlutti avaient les coudées franches… Moi, j’ai brûlé ma carrière en quarts. Tu te rends compte, le carnage ? Je me suis vendu quand ils m’ont acheté ! Je n’ai pas eu le choix… Vraiment pas… »
Carlito se prit la tête entre les mains. Un gros coup d’angoisse.
« Le type m’a trop taquiné. J’ai protesté. Tu me connais : je ne suis pas un tendre. Il m’a rigolé au nez. Il m’a expliqué qu’il briserait ma carrière si je ne le suivais pas. Toi, tu crois que tu les as eus parce qu’ils t’ont acheté un but, mais ils ont acheté aussi ce jour-là ton consentement pour la défaite contre la France. Ils t’ont bien eu, Vanim…
- J’en ai rien à foutre ! Tu m’entends ? Rien à battre ! Je rentre au pays. Et si l’on me casse les couilles, je raccroche les crampons. Je n’ai rien à prouver ! Rien à perdre ! »
Vanim, qui ne s’énervait jamais, surtout pour des histoires de ballon pas rond, venait de cogner sur le rebord de la petite table en bois où Carlito posait ses manettes et ses télécommandes. Carlito ne fit pas attention à cet accès d’irascibilité. Il était ailleurs depuis un moment. Il n’attendait que le moment où il lâcherait le morceau. Celui qu’il avait en travers de la gorge.
« Ils m’ont demandé de laisser filer Rolland sur un coup franc… »
Vanim ne lui laissa pas le temps d’expliquer. C’était limpide. Il avait compris. Il sentait tellement le foot qu’il avait saisi en direct la scène. Il ne pourrait jamais oublier sa prémonition. Malgré tous ses efforts pour zapper et passer à autre chose.
« Dis voir, Vaniminho et Marcello…
- Pareils ! Ils ont fait pareils. Ils ont été achetés. Ils sont dans le coup ! Ils prennent le pèze et ils se taisent. Un match acheté, ce n’est pas un scandale. Ça fait partie du cours de la vie. Ils sont plus blasés. Ils appartiennent à la génération Playstation. Le scandale Vaniminho, ça rime à quoi, à ton avis ?
- Vaniminho aime trop les putes ?
- Nous, on est encore des puristes par rapport à ces Robocops de surface. Marcello, il s’en fout de planter. Il veut palper. Marcello ou Vaniminho, c’est des crétins formatés et clonés. Quand j’ai accepté l’offre, le gars m’a demandé de confirmer. A qui ? À Marcello. Dans sa chambre, ils jouaient à la console. Avec qui ? Avec Vaniminho. Ils refaisaient la Coupe virtuelle. Pour eux, c’était la vraie. La Terre aurait pu s’arrêter de tourner, ils s’en tamponnaient le coquillard ! Ces mecs sont tellement corrompus qu’ils crèveraient en paix devant leur console ! Des légumes débiles, ma parole ! »
Vanim s’esclaffa. Lui se sautait des meufs gratos. Eux jouaient dans le virtuel gratos. Chacun ses occupations. Lui nageait dans la décadence. Les cadets flirtaient avec le virtuel.
- Pourquoi tu déballes la purée ? Et si je balance à mon tour ?
- Marcello était le contact dans la Sélection pour confirmer les matchs. Après… »
Vanim n’eut pas besoin d’un dessin : Marcello et Vaniminho appartenaient à la génération des vingt-cinq ans. Vanim et Carlito appartenaient à une génération plus terre à terre. Ils préféraient sortir que de jouer aux vidéos.
« Tu t’imagines ? Toi, à fond, et lui payé pour se vendre. C’est une pute, ce type ! Sauf que la pute se fait baiser. Lui, il te baise ! »
Vanim éclata de rire. Les putes, il connaissait. C’était sa tasse de thé. Il ne les payait quasiment jamais et ne s’occupait jamais de savoir qui faisait le chèque.
« Contre la France, personne n’a joué. Tu te demandes pourquoi ? Vaniminho est rentré de la Coupe aussi zen qu’il était venu. Il jurait qu’il rêvait de gagner la Coupe. Qu’est-ce qu’il avait en tête ? La fiesta et la samba, parce qu’il s’en cogne de gagner un match. Si les supporters devinaient ce qu’il a dans le crâne, ils ne viendraient plus au stade. Maintenant qu’il a réussi, c’est une star mondiale. Il t’a repompé le patronyme et le coup de bluff a marché ! »
Vanim se montra rassuré sur un seul point : il avait reniflé ces histoires de triche et de manipulation. Il avait vu Carlito remettre ses lacets. ses coéquipiers ne pas jouer. Maintenant, il intégrait les détails. Il bénéficiait du témoignage de Carlito. Et il se tenait aux premières loges pour jauger.
« J’ai qu’une hâte, c’est de tout dégager !
- D’ci tu peux dégager. Tu ne feras plus rien au Real. Le Real est cuit : ils achèteront des mercenaires. C’est un club de milliardaires sans vie. Derrière, c’est rien que du vent. Des paillettes. Par contre, reste en Europe ! C’est simple : tu peux pas t’arrêter comme ça…
- Le pays me manque. J’ai envie de profiter et de jouer tranquille. La pression me gave. En plus, j’ai fait le tour de la question. J’ai tout gagné. Qu’est-ce que je peux avoir de plus ?
- Je dois te le dire en quelle langue ? Oublie le Real, oublie les fachos qui ne veulent plus de ta face de mulâtre ! C’est pas grave. Tu as tout gagné. Tu as le plus beau talent depuis trente ans. Depuis Armando, au moins ! L’AC Malines te veut ! »
Carlito avala sa salive. Vanim s’étonna : Carlito était au courant d’une transaction qui le concernait et qui lui était inconnue. L’AC Malines ! C’était le club de ses rêves. Avant le Real, il avait évolué à l’Inter de Malines, le faux club rival jumeau, mais son idéal était de jouer sous les couleurs de l’AC. C’était le plus grand club d’Italie et l’un des grands du Monde. Il s’étonna de sa chance. On l’annonçait fini, bon pour la poubelle, jeté par le Real… Et c’était l’AC qui le contactait ? Changer de maillot dans ces conditions, pour un déclassement aussi prestigieux, il acquiesçait à la déchéance !
Vanim oublia bien vite son enthousiasme d’enfant courtisé. Un détail clochait. Le principal clochait. Comment Carlito était-il au courant d’une affaire qui lui était étrangère? Comment pouvait-il passer de la confession du truqueur repenti à une prévision qui tenait plus de l’avertissement que du conseil ? Le joueur s’était-il reconverti dans le métier d’agent ? Carlito était-il un émissaire ?
« Tu travailles pour qui, Carlito? »
Carlito se mit à monter la voix.
« Ne juge pas, Vanim. J’ai une bonne raison de collaborer. Je peux pas détailler. On bien rigolé, on a passé de bons moments. Maintenant, tu ne me parles plus si tu me juges. Je fais pas le mac par plaisir. Je fais la pute sur ordre !
- Qui t’emploie ?
- T’attends que je déballe ? Que je passe à table ? Je te parle franco, parce qu’on se connaît. Ceux qui tiennent le foot ne sont pas ceux que tu imagines. Ceux qui tiennent le foot tiennent le monde. Ils ont le pouvoir de me faire agir comme ils l’entendent. Ils ont le pouvoir de te faire agir comme ils l’entendent. Dans le foot, les footeux sont des privilégiés. On les paye comme des esclaves. Cousus d’or. Privilégiés. Leur corps pèse des millions. Tu raques si tu craques. Vendre sa santé au diable vaut son pesant d’or. Mieux vaut footballeur qu’ouvrier ? Mieux vaut être libre qu’esclave ! Milliardaires esclaves, nous sommes toujours des esclaves ! »
Vanim se sentit mal à l’aise. Il n’avait pas l’habitude des revendications. La politique le mettait mal à l’aise. Il n’était pas esclave. Il eut envie d’appeler Isabella, sa call-girl préférée sur Mansillas. Elle massait et sur commande proposait des parties fines avec champagne et sauna.
« Les gens qui voulaient que je lace mes godasses contre la France veulent que tu joues en Europe. Encore deux ans. À l’AC Malines… Y’a pire comme supplice, non ?
- Berlutti est un ami. »
Vanim avait l’air satisfait. Il s’entendait avec tous les dirigeants des grands clubs. Les grands patrons lui tapaient dans le dos. C’était le cas de Saint. C’était le cas de Berlutti. Le président faisait de la politique à partir de sa fortune. Il avait amassé des milliards en développant un empire des médias partout dans le monde.
Bronzé, souriant, charmant, c’était un homme tout-puissant, à la réputation sulfureuse. On murmurait qu’il tenait ses milliards du trafic de drogue. L’organigramme de l’AC était à son image : à sa tête, des mafieux, corrompus, menteurs, voleurs… Influents. Ombrageux. Vicieux. Bilieux. À chaque scandale, trucage, arbitrage ou dopage, l’AC était hors du coup. Les autres clubs tombaient. Personne ne contestait les millions de Berlutti dans le milieu du football. Les euros étaient les bienvenus.
L’argent de la drogue était blanchi dans les transferts et les arrangements. La richesse des grands d’Europe n’était pas un mystère. L’AC, le Real ? Propriétés de la haute. La vielle aristocratie européenne. Son alliée la grande bourgeoisie des affaires. En alliés et renforts, les oligarques russes, les princes du désert, les investisseurs américains, tous ceux qui avaient intérêt à faire rêver les foules et à les payer avec du vent.
Déclic. Qui poussait Carlito à rester ? En tout cas, c’était une transaction entre le Real et l’AC. Peut-être que Berlutti avait appuyé sur la commande, en sous-traitant la négociation à son directeur général, son fidèle Galli ? Peut-être qu’avant son départ, Saint son grand supporter avait dégotté le moyen de sauver les apparences pour toutes les parties ? Un accord agréait tout le monde. Il faudrait ajouter les dirigeants de l’OMF et quelques pontes de la Sélection.
En tout cas, le trucage comprenait le transfert de Vanim. Du Real à l’AC. Etait-ce une récompense ? Plutôt la nécessité. On avait encore besoin de la star Vanim en Europe. De son nom. De prestige. L’AC n’était pas seulement sous la botte des truqueurs. L’AC avait bâti un centre d’entraînement futuriste. La presse sportive expliquait pompeusement que c’était à cause des infrastructures dernier cri que l’AC obtenait ses résultats mirobolants d’année en année.
En réalité, c’était le dopage et le trucage. Vanim avait été acheté depuis fort loin. Le million n’était qu’un appât primaire. En fait, Berlutti l’avait acheté depuis longtemps. Le transfert était conclu depuis l’offre de corruption. Qu’ils étaient subtils : maintenant que Vanim avait accepté leur trucage, ils allaient le transformer en produit d’appel. D’ici deux ans, ils le recycleraient en vétéran de retour dans son pays, le pays du football et des jolies femmes à moitié nues.
« Faut signer avec qui ?
- tu te rends compte de ta situation ? Tu te tais, tu acceptes l’offre, et tu auras un excellent contrat. Te plains pas. Un grand club qui veut encore d’un trentenaire souvent blessé et peu motivé, c’est un petit miracle en soi. T’as même les moyens de te refaire une santé et de montrer que t’es pas fini. Réfléchis, au lieu de rêver ! Si tu refuses, ils vont te casser. Tu retrouveras plus de club. Les pires rumeurs circuleront sur ton compte et tu seras bon pour la décharge ! On balancer à la presse des photos de tes orgies ! Tu deviendras le nouveau footballeur à scandales dont les gazettes à soufre ont besoin. Qu’est-ce qu’ils ont fait à Armando, à ton avis ? »
Pour répondre, Vanim alluma une cigarette. C’était un secret de polichinelle dans le milieu. Vanim, comme des douzaines d’internationaux, grillait des clopes. Il avait commencé par fumer quelques blondes dans les boîtes de nuit. D’année en année, sa consommation ne cessait d’augmenter. Il avait stabilisé à quinze clopes par jour. Fumer lui apportait le privilège de la liberté. Tant qu’on était un sportif anonyme, on s’astreignait à une discipline de fer. Quand on fumait, c’est qu’on avait le droit.
Vanim s’autorisait tous les caprices. La toute-puissance résumait le champion. La proposition de l’AC ne se refusait pas, s’il voulait demeurer une star. S’il voulait éviter les scandales et les ragots. De toute manière, il avait décidé de profiter de ses passe-droits. Au Real, il chantait plus faux que Vaniminho. C’était dire. À l’AC, les dirigeants ne profiteraient pas de lui. On verrait qui tenait qui. Qui était le marionnettiste et qui était le plaisantin.
« J’accepte ! »
Carlito en réponse alluma un cigare. Il fumait moins mais il aimait se donner une contenance. Le cigare, c’était gagné : Carlito personnifiait jusqu’à la caricature l’émissaire trouble. Après sa performance, il avait mérité la frime du mafieux. Carlito avait donné bien plus que le match contre la France. Il était l’émissaire d’intérêts qui le dépassaient. Carlito allait quitter le Real en fin d’année.
Peut-être que son statut de titulaire s’était monnayé à cette occasion ? Peut-être qu’on lui avait promis un dernier contrat juteux, dans un paradis pour footballeur comme la Turquie ou le Golfe ? Avec des millions par mois, le temps qu’il ne puisse plus courir ne comptait pas. Il s’achèterait une conduite et se reconvertirait en entraîneur. On l’intègrerait à la Sélection.
Peut-être qu’on lui avait promis la place de sélectionneur d’une équipe d’Amérique du sud ? Peut-être qu’on lui avait offert un haut poste à l’OMF ? Carlito en lunettes de soleil bouleverserait l’austérité des hiérarques et des hauts fonctionnaires mondiaux. Vanim souffla sa fine bouffée de nicotine. Il se trouva très malin, très perspicace. Une haute opinion de lui-même l’envahit.
« Franchement, qui sont tes contacts ? »
Carlito s’agaça.
« Ma parole, tu insistes ? Ce sont des compatriotes… »
Vanim n’était pas en manque d’intuition. Sûr que l’agent de Carlito était dans le coup. Les dirigeants du Real ? Carlito était leur interlocuteur attitré. Ultime déclic, flash qui crépite. Il appelait ces instants de divination ses visions. Alexis était l’interlocuteur privilégié de Carlito. Alexis trempait dans la transaction. Si on ne voulait plus de Vanim au Real, il participait à un plan de relance haut de gamme. L’AC se vanterait de l’avoir relancé. De lui avoir fait confiance. D’être le club spécial pour les grands joueurs en fin de carrière. Le grand club désintéressé. S’il échouait, l’AC passerait pour un club philanthropique, amoureux du beau jeu et des grands noms passés. Il serait expédié au Brésil. L’incident serait enrobé sous une fine couche de pommade.
Alexis le traître… Lui aussi servait de courroie de transmission. Vanim valait moins que des lèche-bottes comme Drazy ou Alexis. Quand Alexis jouait au ballon, il pensait en termes de combines, de stratégies, de calculs. En fait, ce n’était pas un joueur de football. C’était un truqueur. Vanim aussi. Sauf qu’il ne s’en était jamais rendu compte et que sa naïveté lui avait permis de tenir. On l’avait protégé parce qu’il était le meilleur. On gérait sa fin de carrière parce qu’il était le meilleur. L’affaire était entendue : Vanim était à la botte des marionnettistes qui décidaient du sort du football. Du destin des joueurs. Qu’il était jouissif d’intervenir en coulisses, derrière le rideau, là où se faisaient et se défaisaient les carrières ! Que les supporters étaient naïfs de soutenir le hasard ou la bonne étoile de leurs champions !
« On dit demain ? »
Vanim écrasa son mégot. Il eut envie de bière. Carlito ne buvait pas. Il se contint. Il eut envie d’une femme. N’importe laquelle, pourvu qu’il s’amuse. Comme il était pressé, il improvisa une réponse qui raccourcisse l’entrevue. Dans le fond, il n’était pas concerné.
« Dis-leur d’appeler mon agent ! »
Il se leva. Une subite envie de baiser le prit à la gorge. Il ne pouvait pas attendre. Danser. Boire. Son chauffeur l’attendait. Il alluma une cigarette. Parfois, les pulsions étaient à peine contrôlables. Et si c’était le dopage ? Il ne se posait jamais ce genre de questions. C’était sa force. Le but de sa vie.
Il monta à l’arrière de la limousine et transmit au chauffeur blasé l’adresse d’une masseuse. Il était le prince de la ville, l’expert des bonnes adresses et des moindres recoins. Malgré l’habitude, le chauffeur devait halluciner de la conduite de son jeune et illustre employeur. Quelle piètre image des footballeurs gardait-il dans sa tête ?
Vanim consignait quelques bouteilles dans le frigo qu’il avait installé sous le siège arrière. Il se servit une bière. Son chauffeur avait pour consigne de ne pas discuter, sauf situation d’urgence. Vanim aurait pu se taper une pute devant lui sans qu’il n’y trouve rien à redire. Il avala la bière en deux gorgées et en déboucha une suivante. Il était déjà ivre. Il oublia Carlito. Il oublia les magouilles. Il allait jouer à l’AC. Il allait quitter le Real.
Il était soulagé. Son horizon enfin se débouchait. La porte s’ouvrit. Le déclic du goulot lui rappela la sortie nocturne. Le train-train. Une dizaine de convives l’accompagneraient ; il choisirait la plus belle fille ; il danserait comme un Brésilien ; il fumerait ; boirait. Puis il rentrerait décuiter.