vendredi 19 février 2010

Laisse saure

« J’accueille… Alain Méribel ! »
Le présentateur éructe. Claude Delacampagne anime le talk-show le plus médiatique de France. On se presse pour faire l’émission, avec ou sans promo. Alain Méribel arrive sous les vivas du public. Quelques invités sont assis sur des tabourets autour d’un bar en cercle, dans un décor d’Empire romain kitsch, entre néons décadents et colonnes en cartons-pâtes.
Un vaillant comédien se prétend l’ami indéfectible du Sénégal. Sur les plateaux il est Sénégalais de cœur ! Sans identité, il a la carte du monde. Le mondialiste choc est tiers-mondiste chic. Lui, c’est les paillettes. Au Sénégal, personne n’agite devant l’agité. Qu’importe l’agitateur, l’agitation l’emporte. L’important est de coller l’étiquette : africanophile. Afrocinéma. Le discours doré, la voix éraillée, l’œil pétillant : l’acteur chiale ses anecdotes sur le vaillant peuple du Sénégal. Tel est Étienne Chouard : fausses oppositions, différences factices. Inviter sur un plateau un Sénégalais blanc sioniste ashkénaze, fallait y penser !
Claude Delacampagne présente l’échalas comme philosophe poète. De haut vol ? Sa spécialité, les étincelles. Le communautarisme communicatif, son dada. Il distille le venin de son monarchisme néo-maurassien sous des fadaises de tolérance. C’est un pervers qui vient de la publicité et qui promeut le libertarisme branché pour mieux colporter son message de changement aristocratique et mondain. Il est méchant plus que bête. Il a invité Alain Méribel. Un sacré coco. Un faux communiste. Info com’ : l’alternationaliste trouve branché le postmarxisme. Le boxeur snob et select a perdu la tête en ralliant la case nazie.
Alain Méribel est ravi. Qu’il dérange, ça l’arrange. Avant, il posait en séducteur. La quarantaine, l’emploi de dragueur sonne minable. Alain a embrassé la carrière d’écrivain. Embarrassant : Alain joue les Céline. Emballant : le séducteur se réclamait de Casanova. L’écrivain cachetonne les sulfureux mythiques. La marginalité le fascine. Il est subversif plus qu’écrivain. Il est intelligent plus qu’intellectuel. Il a le cou gracile, le poing facile. Il a giflé un lettreux de la came. Une tête à claques qui l’utilisait. Méribel n’aime pas les miteux. Il a insulté la chroniqueuse de la place. Méribel n’aime pas les mal baisées. On le craint. On a peur. Le fer est fier. Le manche effraie les effets. Le faux écrivain, fou dragouilleur. Le rebelle de cénacles parisiens. Le résistant bobo. Il n’est pas colère contre le milieu. Il est en rébellion parce que le show-business l’a décentré. Avant, il faisait un peu de mode, beaucoup d’esbroufe. Tant qu’on bouffe. Il kiffe la télé – quand il passe. Ce soir, il comble. Il est comblé. Admis aux émissions, il est grand.
Sa référence, c’est la caméra. Sa préférence, c’est l’audience. Le magnum télévisuel. Le médium cathartique. Méribel a la rage d’être tricard. Alain est le snobinard qui dénonce. Engagement revendiqué : Méribel est en faveur de l’élite populiste. C’est un contestataire constatataire. Pour compenser, il dépense. Il mouline. Il remue son ring. Dring : il n’a peur de personne. Plus on le conteste, plus il teste. Il est baraqué. Il casse la baraque. Il case la barrique. Face aux lopettes télévisuelles, Barakuda a les moyens de malmener. Contre la raison, il sort les raisons de saison. Contre la démocratie, il expose Staline. C’est tendance, l’immode désuète. Il est majeur d’être mineur !
« Alain Méribel, vous connaissez les autres invités ? »
Le catcheur s’est assis avec robustesse. Vérité de la virilité. Vêtu en sapeur réac, costard anthracite et chemise marine, il minaude. Il signe. Non, il ne connaît personne. Il n’appartient pas au star business. C’est vrai ? C’est faux. Il n’a jamais entendu parler de Chouard du Sénégal ? Il n’a jamais vu un spectacle du guignol d’à côté – le comique le plus populaire de France ? Éric Maupin présente la même carrure et le même ego que Méribel. Il est sympa, il a un côté beauf désarmant. Il a des épaules de bœuf. Il est tellement cool qu’il vote pour la droite financière, tendance ultralibéralisme décomplexé. Il a assuré, il réclame sa part. marché logique. Il arbore un sourire taquin, il tourne des adaptations dans les théâtres. C’est la retraite parvenue de l’humour vaudeville, le millionnaire qui beurre Molière et Labiche.
« Alain Méribel, vous avez écrit un essai qui critique le consumérisme et qui s’intitule Désert du désir !
- C’est cela, oui…
- Vous expliquez en gros que le désir mène à la pornographie et que le désir ne vaut que s’il est incomplet et tu… »
Méribel prend un air inspiré. Maupin le coupe avec enthousiasme.
« C’est le problème du slow. Dans un pays qui a supprimé les rencontres, la faillite de la danse d’amour est la faillite de la rencontre ! Comment tu fais pour rencontrer quelqu’un quand y’a plus de slows ? »
Méribel écume. Depuis son aura de rat rongé, Maupin cumule les sottises. Méribel recadre le débat. Il n’a pas de temps à perdre. Il ne passe pas à la télévision, lui.
« Le désir est tué par la pornographie qui se présente comme le désir intégral et triomphant. Le triomphe du désir signe la mort du désir !
- Alors Alain, vous avez une théorie très personnelle qui s’appuie sur une expérience approfondie du sujet. Vous revendiquez pas moins de sept cents conquêtes…
- Je ne suis pas dans le prétentieux mondain. Ce ne sont pas des conquêtes de séduction. C’est de la drague. Je suis dragueur de rue. J’étais, puisque j’ai raccroché.
- Avoue le truc : tu les as baisées, les salopes ! »
Le public ovationne aux éclats. Chaque intervention de Maupin est hilarante puisque Maupin est le comique en vague. Méribel se renfrogne. Il n’est pas contre la vulgarité, il est contre la diversion. Chouard concurrence ses plates-bandes. Méribel trépigne. Il ne va pas se laisser démonter par un toquard de la vanne. Attends, l’extrême communiste monte au créneau. Il fait front. Il prend le business dans la gueule. Chouard l’ouvre ?
« Je me demande si ça ne commence pas à déraper…
- Alain fait de la sociologie de terrain !
- Je ne suis pas un petit branleur mondain qui perd son temps dans l’éloge du Tiers-monde. Les opprimés comprendront le message !
- Ca veut dire quoi, ça ?
- Ca veut dire que j’aime pas la démagogie… »
Jusqu’à cette prise de bec, Delacampage avait laissé dire. Il aime la virulence. C’est bon pour l’audience. C’est bon pour le moral. Il cultive les invités de la discorde. Cette fois, il est dépassé. Chouard est vraiment remonté. Méribel joue vraiment pour le KO.
« Je suis pas la baltringue qui sort de l’hôtel particulier, tu vois… Je vis en Afrique, on me respecte, c’est pas un type à moitié parano qui va me dicter ce que je pense de la situation…
- Le ringard n’est pas monté sur Paris pour entendre des discours légers. Le secoué, il réfléchit dans le réel. Il vient du peuple. Il pense dans l’analyse de la société ! »
Silence sur le plateau. Maupin ne plaisante plus. La tension monte. Le public se tait.
« Les rencontres sont tellement rares que les mecs s’arrangent entre eux faute de potentialités féminines ! Pourtant, les dames sont de plus en plus belles avec le développement du sport et les progrès de la diététique. On ne se rend pas bien compte de l’évolution de la société, mais la pornographie signe la fin du dialogue !
- Encore de l’homophobie…
- Je peux parler ?
- Pas pour déverser un discours de préjugés…
- Quels préjugés ? Je peux savoir ?
- Au Sénégal, tu sors des énormités pareilles, les gens te rient au nez ou te cassent la gueule, c’est selon…
- Il ferait beau voir que l’on me menace. Je suis un Gaulois qui n’a pas peur des chocs !
- Pas besoin d’aller au Sénégal... Je peux te dire que si tu me chauffes, je vais t’en retourner une en direct, je préfère m’arrêter là… »
Chouard n’a pas le temps de finir. Il a provoqué. Méribel n’attendait que ça. Maupin sentait monter l’orage. Il s’intercale. Delacampagne calme le jeu. Méribel furieux a l’intention de passer à l’action. Il est frustré de l’uppercut. Il percute. Chouard l’a énervé. Chouard est en larve. Il n’a pas l’habitude de la baston. Il a braillé pour invectiver. D’ordinaire, quand il s’échauffe, on le calme ; on le craint. Méribel déteste les sionistes. Il hait le socialo. Ce sont ces gauchistes de droite qui l’ont éjecté. On n’aime pas les auteurs. Les vrais sont subversifs. Méribel est subversif. Méribel est écrivain. Il roule des mécaniques. Delacampage flippe. Si on lui coupait son différé ?
« Je vais te niquer ta race de bâtard, fils de pute !
- Devant la télé ?
- Au lieu de te cacher derrière tes potes, affronte-moi en bonhomme !
- Les gras, on calme le jeu. C’est de la télé. C’est un débat. Vous pétez les plombs, là… »
Maupin en a marre. Tant que c’est du virtuel, ça amuse. Quand ça devient réel, on ne rigole plus. Niveau caniveau, c’est fini, la déconne avec des cannés qui en viennent aux mains. La maquilleuse et la productrice ont accouru. On crie, on s’agite.
« C’est bientôt fini ? »
Delacampagne s’assied sur son présentoir. Il se recoiffe. Il bichonne sa coupe de vieux branché dans le rang. Les cheveux ras, les idées courtes. L’incident est out. Chouard frise la crise cordiale. Méribel a satisfait son effet. Il a montré. Qui est qui ? Il est vrai. Il est juste. Il est beau. Il a maté la tapette. Le public sait. Pas besoin d’insister. Il ne sera pas rejeté. Le monde s’est déballonné. Chouard rêve. Pour changer de ton, Delacampagne appelle les suivantes : une métisse qui tourne des films. Une strip-teaseuse des télés réalité qui s’est vendue au X grand public. Montrer son sexe est interdit ? Le cul vend. No problemo. Delacampage est heureux : les gonzesses frétillent, il n’a pas perdu son temps. Il a transformé son coup. Il fanfaronne. Il attire l’attirail. La rhétorique brille. La quincaillerie détonne. Les beautés respectent. On est drôle. On est tendance. C’est Chouard qui danse ?