lundi 29 novembre 2010

Moi, cinquante ans, rebelle et collabo

Bon, ben voilà, c'est fini. Au moment où la gloire arrivait, c'est fini. Arrimé. Curieux, ma vie est composée de paradoxes. Quand on me disait fini, je n'étais pas fâné. J'ai rebondi. Maintenant que je repars, que je gagne en allant, je suis alité. Je m'en suis allé. Au fait, je me présente : Luc Méribel. Fils de jazzman et écrivain. Je suis génie mondain, suffit de me lire.
J'ai pondu des journaux et des autofictions, comme tout bobo qui se respecte - c'est-à-dire qui se répète. Pendant dix ans on m'a jugé. J'ai tâté de tout : guitare rythmique avec papa, peinture dans des vernissages, télé avec des amis... J'ai rebondi, je suis sorti du gouffre à écrivains étoffés où l'on entendait m'étouffer.
J'ai hurlé : j'arrêtais. On a prêté attention : moribond. Je remuais, on le remarquait. Cette fois, je suis fini. J'ai construit ma carrière en m'opposant, en jouant du sulfureux. Je souffrais de n'être que la racaille des médiatico-salonnards. C'est dur d'être le rebelle des brêles. On bêle à la pelle. On s'emberlificote. J'ai la cote. Je dépote. Touche pas à ma note.
J'ai décidé de lancer un concept novateur du côté de Saint-Germain : l'anti-édition. C'est tout moi, ça. Etre contre alors qu'on est pour ce dont on est contre. On est contre ce dont on est pour - aussi. Enfin, je m'emberlificote les pinceaux. Je suis un mauvais Picasso qui se prend pour un Grand Ecrivain. Mon truc, c'est l'écrivain bourgeois marginal et incompris. On m'a déjà expliqué que c'était un mythe, mais je m'entête. J'ai écumé les salons, j'ai couru les snobinardes, j'ai sacrifié aux provocations pourvu qu'elles soient mondaines.
Je n'ai publié que parce que j'étais un enfant de - rien de scandaleux. C'est le cas des élus. Des publiés. J'ai décidé de haïr ce milieu auteurisé. Mon milieu - interdit. On m'a accusé d'antisémitisme plus divers crimes intellectuels. J'étais content qu'on s'en prenne à moi. La reconnaissance, en somme. On me détestait parce que je publiais mon journal, dans lequel je prétendais transcrire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Enfin, c'était avant, parce que j'ai arrêté, épuisé, ces confessions, et que je ne fais plus que dans l'autofiction.
Toujours la mode du loto, de l'anti, du narcissisme, de l'égotisme, qui ne peut que provenir d'une mentalité de bourgeois bohème riche et haineux. Je suis en colère. Je pense vraiment qu'il convient d'être en colère. Mon truc, c'est l'anarchie. L'anarchie colérique. C'est grâce à cette fable que je fais passer mon individualisme exacerbé et hautain pour un truc politico-religieux. J'ai lancé des pages inoubliables (quoique oubliées) concernant la mystique orthodoxe ou saint Jean. Mon étonnement : qu'on y ait cru. Je suis le mystique des enfants gâtés.
On m'invite sur les plateaux, un animateur pervers et royaliste, qui apprécie mon côté décalé. Du moment que je suis fils de. Je me la pète. Je me la raconte. Je suis suffisant. Impudent et consternant. J'aimerais tellement être pervers, sulfureux, incompris, génial. La vérité, c'est que j'ai du talent, pas tant que, je fructifie grâce à ma naissance, mon statut, mes fréquentations. Parlons-en, de mes fréquentations. On m'a accusé d'extrême-droitisme, d'antisémitisme, et la clique, mais moi, la vérité, je suis salonnard - j'essaye de sortir de mon gotha par la provocation.
Je fréquente le linge du Saint-Faubourg - je me prends pour un artiste polymorphe parce que je vernis en rythme avec papa. Pour moi, depuis l'enfance, l'artiste, c'est le rejeté grand et célèbre, à condition qu'il se meuve dans les beaux quartiers. Je ne comprends pas l'art, car le seul qui me convienne, c'est l'art bobo. L'art sain est voleur. Je suis jusqu'au bout des ongles. Je m'habille bien, moche, chétif, malingre, je relève le menton.
Je n'ai rien compris. Pour rebondir, sentant mordre à l'hameçon, j'ai lancé ma révolution : l'auto-édition - en finir avec l'édition. Pas Gutenberg. Le monde de l'édition. Les bibis de mon milieu ne veulent pas la fin de leur monde, qu'ils ont construit patiemment. Il faut des artistes maudits, des livres bénis, des quartiers friqués. Des beaux salons pour se pavaner. Le reste n'est qu'esbroufe, même les femmes. Je cours les corps, je n'aime pas les gonzesses. Je n'aime rien au fond. Je suis un nihiliste qui aime errer.
Avec mon anti-édition, j'ai eu du succès. Relatif, décisif. Avant, je vendais trois fois rien et j'étais haï. J'avais droit à une publicité invraisemblable parce que je connais du monde dans le monde et que je suis introduit. On me promotionnait au-delà du raisonnable. On me cachetonnait. Moi, artiste, c'est le médiatique. La clique du clinquant. Tant que je scandalie, je continue à faire. C'était mon coup de l'anti-édition : être invité sur les plateaux.
J'en avais assez d'être le tocard des éditeurs. Mes anciens alliés comme Mauvenargues ou Maupertuis. Des ratés, que je hais plus encore que les autres. Mauvenargues se la joue grand seigneur bordelais, anglophile et libéral progressiste. C'est un bâtard dont j'ai démasqué après vingt ans de fréquentation assidue l'imposture caractérisée. Il n'avait qu'à pas me lâcher! Qu'il me lèche. Je préfère. Maupertuis était mon favori. Celui qui m'avait pris sous son aile. Comme il avait l'instinct pour reconnaître les écrivains bobos maudits, il m'a proposé un marché en or : un salaire pendant quinze ans sans vendre de bouquins.
Il suffisait que j'explique que j'étais un grand écrivain et qu'il était mon mécène. Tu parles! Toujours les mêmes conneries. Un jour, il m'a lâché lâchement, préférant Mauvenargues et l'édition à ma pomme. Je me suis retrouvé seul, sans sou ni clou, tous m'ont tourné le dos. Il se sont dit : fini, le temps des conneries. L'étang des adultères. Je déteste les adultes. Je déteste tout le monde. Je déteste le monde. Pour moi, le monde, c'est le monde. Le beau monde. Le mondain. C'est mon monde.
Je suis un enfant de la bulle. Comprenez-moi. Je fréquente les patrons de journaux, les bourgeois qui se piquent d'aider les artistes, les investisseurs. C'est comme ça que j'ai monté mon affaire de l'anti-édition. Je voulais faire un coup, mais comme c'est mon nombril qui m'intéresse, le coup ne pouvait être qu'unique et me concerner exclusivement. D'où l'idée de l'anti-édition. On bosse pour moi, on raconte partout que je fais la nique au milieu de l'édition.
J'ai pondu une méchante autofiction à compte d'antiédition, où pendant sept cents pages je décris Paris fin de règne. Enfin, Paris. Mondain, bobo et show-business. C'est mon fantasme : la fin de l'Occident libéral - le début de l'anarchie. J'ai filé mon originalité : afficher ma haine tout en soignant ceux que je déteste. Je veux bien les vomir par tous les pores, à condition que mes porcs engraissent. Je vilipende le colonialisme à condition que ce soit depuis Saint-Germain.
Normal que j'aie pris position contre le 911. C'était la condition sine qua non pour que mes mécènes promeuvent mon concept génial d'anti-édition. On peut insulter son milieu, pas le trahir. Comment se montrer original sans changer? Comment faire semblant sans blanc? Vous vous imaginez si j'avais rejoint la cohorte des dénonciateurs de complots d'Etats? J'ai signé mon livre en me moquant d'eux. Pas que d'eux. Je me moquais de tout le monde. Surtout des requins de l'édition. Je voulais trouver mon chemin : pas de complots tout en étant contre le système qui me meut.
J'ai réussi mon pari : je suis contre les complotistes du 911 tout en étant contre l'Occident. Je suis pour l'Orient, celui qui n'existe pas sauf dans mon imagination surchauffée. Au début, ça a marché. Mon anti-édition fut mon tour de Phénix. Mes livres se sont enfin vendus. J'ai fait cinq mille exemplaire en six mois quand avant, avec des dizaines de plateaux et des pelles d'articles, je peinais à dépasser la barre des mille. De toute façon, c'est connu, le vraie littérature ne se mesure pas à l'aune des ventes.
On m'a invité partout. Mes ennemis m'ont évité. Les éditeurs m'ont dédicé. Bons perdants. Personne ne dénonçait l'imposture de ma rébellion collaboratrice. J'étais protégé. Ca me changeait de mon exclusion et de mes emmerdes. J'aurais dû me méfier de cette impunité paradisiaque quand j'ai été invité par le matois Noël Châtel. Le boss du groupe de presse Le Fait, qui a soutenu le Président français ultralibéral et qui poursuit dans cette veine grossière.
Je n'ai pu résister à cette reconnaissance : Châtel m'invitait alors que je l'avais allumé dans mon roman. Quelle autofriction! J'étais comblé. Je me voyais enfin important et inévitable. Tout-puissant. Le soir du plateau, j'ai frimé. J'avais invité deux douzaines de groupies qui à chacun de mes beaux maux applaudissaient à tout rompre. Je me croyais vraiment quelqu'un - important et célébré. J'aurais dû me méfier. Depuis gamin, on se moque de moi dans la cour de récré. J'ai cru pendre ma revanche sur les salauds de meneur. Les groupies contre les groupes. J'étais toujours déjà anarchiste? Contre? Ce soir-là, j'étais pour - le groupe - les groupies charmantes me souriaient. Tout me réussissait.
Après les galères et les humiliations cathodiques, je mouchais l'invité sioniste et l'on me présenta comme l'anticolonialiste historique de service. Je n'étais plus l'antisémite contre lequel on sévit. Quand je me remémore la scène, les applaudissements, les vertiges, je revois le sourire fardé de ce Châtel qui devait se féliciter de me tenir dans sa toile. Pensez! il possédait l'écrivain qui résiste au système tout en accréditant la VO du 911. Une mine d'or pour un manipulateur.
Ce Raminagrobis sardonique a toujours excellé dans la manipulation des cercles littéraires médiatiques. Il se présente comme écrivain et il aurait tant aimé l'être, mais la seule chose qu'il ait réussie dans la littérature, c'est d'animer des émissions. Il est très bon pour diriger des magazines de droite car il vient de ce milieu et qu'il est mû par la passion de la propagande. Il peut se montrer très ouvert, voire indépendant, pourvu qu'il agisse pour le compte des plus forts.
Peut-être agissait-il en chasseur de profils? Peut-être se félicitait-il que je sois le fils de, assoiffé de reconnaissance et de haine? En tout cas, il m'avait à la bonne. Les présentations enamourées succédaient aux commentaires dithyrambiques. Pendant l'émission, j'étais devenu le Grand Ecrivain contestataire et marginalisé, enfin reconnu comme le Raphaël de son temps. Je buvais du petit lait. J'ai vendu mon roman comme des petits pains dans les jours qui ont suivi. Trois beaux articles dans la presse parisienne, des commentaires à n'en plus finir sur la Toile, je me voyais comme le roi de la scène.
Ma mère m'a félicité, c'est dire. Mon père était fier de moi. Mon fils et ma femme m'encourageaient. Je recevais des messages d'autres. J'avais d'autant plus célébré Internet que je le voyais comme le serviteur attitré de mon projet d'antiédition. Tout ce qui me sert m'est utile. Le reste, je m'en brosse. Internet, je n'y ai rien compris. J'étais valet des maisons d'édition, à condition de monter le même système élitiste et promotionné, à condition que mesalter égos me considèrent enfin - à ma juste mesure. Mon narcissisme m'a aveuglé. On m'avait mis en garde.
Pourquoi ce soir-là n'ai-je pas calé? Trop d'applaudissements. Une sortie dans le night-club Le Groom, que j'avais pastiché dans mon roman. Les nymphettes qui promotionnent ma mégalomanie ne cessaient de ressasser que j'étais le meilleur, le plus grand, le plus fort. J'y croyais. Moi qui à un moment de ma vie ne sortait jamais sans mon exemplaire de l'Apocalypse, je n'ai pas été fichu de voir ma propre chute dans l'enfer de la Bête! Manipulé par le diable et ses sbires, je n'y ai vu que du feu. Du petit lait. J'étais aveuglé. Le mirage de la célébrité. Le miracle de la renommée.
Et puis, un matin, alors que j'avais plusieurs maîtresses de vingt balais et que les tirages s'envolaient pour l'ancien carbonisé, réveil brutal. On m'a annoncé que j'étais nominé en seconde liste au Prix des libraires. Autant dire : le Graal des Editeurs. La presse annonçait que Châtel le fourbe m'avait parrainé. Je recoupai tout. Mon nuage, l'absence de difficultés. La vie de château. Plus de galères, plus d'intrigues. Les mécènes qui se targuaient de leur juteux investissement. Certains me parlaient d'articles dans les dictionnaires littéraires. J'avais mangé mon pain noir.
Bingo. Le loto m'expliquait ma subite chance de cocu. Car j'étais coucou. Ma femme me trompait avec mon pire ennemi. Châtel m'avait utilisé. J'étais devenu le jouet des éditeurs. On utilisait le faux rebelle de la balle pour une mission inavouable : conforter le milieu littéraire et le système libéral en voie de décomposition. Je m'étais réconcilié avec mes pairs en trahissant mes idéaux. J'étais un renégat. Ce n'est pas cette erreur magistrale qui m'a le plus déstabilisé. Après tout, on peut se tromper, moi j'adore les écrivains qui ont collaboré avec le pétainisme.
Céline, Rebatet, Drieu, Gobineau sont des auteurs de références. Egalement Bloy, qui est mon idole de diariste. Ce qui m'a tué, c'est qu'à ce moment de triomphe social et médiatique - j'étais cuit. Une carotte qui sort d'une cocotte-minute se trouverait en meilleur état. On m'avait manipulé. L'enthousiasme pour mon génie était de la manipulation idéologique. Comble du téléphone arabe : j'avais marché dans le combiné. Renversement de toutes mes valeurs : ce que j'avais défendu était du toc. Du creux. De l'amer. Mon autofiction. De l'amer. Mon antiédition. De l'hiver.
Ma vision du grand artiste maudit et posthume. Du mythe. Rien de valable. Des préjugés. Je suis pris par les préjurés. Soudain, j'ai compris : j'avais raté ma vie d'artiste. Une vie d'autiste. Mon journal n'a servi à rien. Mon esthétique est du vent. Je n'ai rien compris à mon époque, rien compris au 911. Je n'ai rien inventé. Pardon. Je vais me retirer. C'est fini. Je ne serai plus écrivain, j'arrête d'écrire pour la postérité. Désormais, je me reconvertis dans ce que je sais faire : le médiatique. Le clinquant. La provoc'. La voix des sans vocation. Je serai le Gainsbourg de la littérature. Un impostat qui aurait rêvé de créer de l'art majeur, mais qui fait dans le mineur.
Je ne ferai jamais de littérature, l'histoire est entendue. Je me consacrerai à écrire des parodies de littérature, de l'écriture médiatique pourrait-on dire. Je deviendrai célèbre, opulent, respecté. Peut-être glanerai-je quelques prix. Dans les cocktails, on me présentera comme la star des stylistes, mais j'aurai vendu mon âme au diable. Je serai le Faust de l'écriture. Pour de la reconnaissance, j'aurai sacrifié ma postérité et mes chimères. Pour du médiatique, j'aurai vendu mon stylo. J'ai bradé mon histoire pour quelques histoires.
C'est normal, j'ai menti. Je me suis menti. Je me suis vendu comme un petit bourgeois alors que j'étais un bobo. Un fils de. J'ai théorisé avec emphase sur la race sociale des petits bourgeois qui pondait les meilleurs écrivains. J'ai osé théoriser sans honnêteté, comme si le règne de la bourgeoisie avait toujours existé. J'ai paradé alors que ma théorie ne valait pas tripette. J'ai oublié que le mensonge à la télé était le tic des médiatiques. Plein de fois j'ai écrit que la télé n'est pas la vie. C'était pour faire bien. Si j'avais été petit bourgeois, j'aurais appliqué ma rengaine.
Je suis bobo et je dégaine. Un bob est prêt à tout pour épater le chaland. Moi, je cherche à impressionner le téléspectateur. Mon cinéma, ça a été de jouer à la traversée du désert et de façonner la légende. J'ai oublié que dans la réalité, le mensonge est mensonge. Je suis cuit. Quand je passerai devant le Juge suprême, pour prix de mes impostures littéraires, je ne mériterai d'autre châtiment que l'oubli et le mépris. Le pire, faut que j'en profite. C'est plus fou que moi.

samedi 30 octobre 2010

Sali mata

Salimata ferme la porte. Salimata, son prénom. Le monde l'appelle Beba. Son surnom. Défoncée. Le frangin l'a sobriquetée gosses. Pape parti, mère partie. Pape vadrouille. Mère voyage. Père pâti. Le drame. Elle encaisse, elle digère mal. Elle ne gère - pas. Son père a abandonné. Il s'est assassiné. Un major d'Etat, un major d'homme, un patron d'âme. En Mauritanie, génocide de 1989, on ne plaisantait pas avec les Négros. La millefa s'est réfugiée en France. Depuis le drame. L'enfer. Elle déteste. La liberté est péché. N'importe quoi. Pas le choix. Salie Beba est triste.

Alors elle a plaqué les études, elle a lancé les sorties, le sexe et les drogues. Officiellement, elle sert, femme célibâtarde, foyer, africaine. Sa mère ne lui parle plus. Elle vit l'instabilité. Salimata s'en fout. La trahison s'enfuit. Ils fuirent en France pour améliorer le niveau de vie. Assurer la vue. Le frère faisait l'étudiant. La fille préparait le mariage. Assure le minimum. Les filles sont mères. Salimata est amère. Elle s'est laissé presser. La mère est sortie. Le frère est vidangé. Raison pour que Salimata tripe. Ego s'étripe.

Elle a plaqué le bahut. Elle s'est lancé un défi. Les gars de banlieue. Elle attend un Blanc plus tard, parce que c'est dominant. Elle collectionne. Elle papillonne. Elle fanfaronne. Son frère se fâche. Son frère est un violent? Salimata enrage son monde, sa famille, son frangin. Elle réussit. Le Zorro des blocs débloque. Il sort son flingue, il guette les dragueurs drogués. Il rôde rogue. Un homme, une femme, lui, pas de photo. Il emporte. Les femmes portent. Ce n'est pas pareil. Elles enrôlent en saintes.

Le frangin a tué son école. Niveau intégration, c'est le top. La nymphe; le psychopathe. Il braque, il vend. Il passe pour dur, le cinglé qui flingue pour peu et qui écoule pour beaucoup. Salimata attend son régulier. Plusieurs à la fois? Obsédée du cul, pas salope. Nympho réglo. Elle espère une histoire. La vie, trois mois. Elle en a marre des sans lendemain. De sa réputation. Pour une fille facile. Son frère rentre, il lui en veut. Elle vole.

Elle nargue, grande femme. En retard? S'en fout. Elle a chapardé une bouteille au stock. Une histoire à la louche. Cinquante bouteilles épurent malt. Si la mère arraisonne, elle assaisonne. Les condés déraisonnent : Salimata est conciliante. Elle se sert. Une bouteille, le frangin fermera sa gueule. Il beuglera. Elle a l'habitude. Le putois se bourre la gueule. Elle en cachette. Loucedé. Elle bouffe du gingembre. Si chéri déboule, elle brossera les dents. Il fait faux bond. Elle court à la réserve. Elle décapsule. Elle tise. Glou-glou goulot. En sauvage. Sans manière. Depuis qu'elle a plaqué le pays, elle tient répute. Rien ne l'effraye. Son frère passe, elle prélasse. Elle mort les gencives.

Personne n'aboulera. Elle guette son baby. Tismé. Kiss me. Tissé. Elle allume la télé. Lichette. Elle en a marre. Jeux de mains, jeux sans lendemain. Elle a choisi le bad numéro. La télé à fond, elle charge les idées. Sourde oseille. Elle vermeille. Le sky monte. Salimata dans l'enfer. Elle erre. Elle ire. Sonnerie. Elle lève. Non. Elle out. Un pote à Bibi, Beba n'ouvrira. Bibine. Ras le cul des topos. Qui vous draguent à base de barres. Elle espérera : ils n'ont qu'à pointer.

Elle ferme les yeux. Indécise, son artère. La lampe est verte. En HLM, on ne crache pas. On débarque. On progresse. Salimita est caisse. Attachée à la bouteille. On comprend rien, on banque. Beba se lève. Titube. Le copain ne sonne pas. Comme ça, c'est court. C'est pressant. Oppressant. Un Perse? Présent? Qui oppresse à présent?

C'est Hélène, la tissemé. L'officielle. Les deux sont arrachés. Pape fume. Hélène baise. Beba biaise la poire. Coup de verrou. La bise.

"Mais t'es complètement caisse! J'y crois pas!"

Hélène la mijaurée. La barrée. La paumée. Elle laine. Qui descend, moins. Hélène camée aux mecs. Elle carbure aux becs. Beba la ferme, rien, Hélène est avec Pape parce qu'il deale, en caïd. Catastrophe. Caïdoscope.

"Bon, je vais attendre dans sa chambre!

- Noël…"

Un Camerounais squatte. Il erre sans toit. Il deale parfois, il chante pantois. Beba l'a teste, mode import. Dès qu'un pote à Pape incruste, il faut goûter. Sans notes, elle perd le fil. Le temps file. Elle est mal. Hélène a couru dans la chambre. En ce moment, c'est la guerre avec Pape. Encore trois mois, une qui ne reviendra plus. Beba sait.

Elle est seule. Elle sale. Elle est saoule. Elle reprend sa bouteille. Noël boit la bobine. Elle piaffe. Elle pioche dans sa zone. Elle descend cul sec. Cul sexe. La chiasse. Elle a bu le quart d'un coup. Les paillassons. Les roseaux. Les rivières. Les lionnes. La mère. Pape. Défoncée. Fonceda. Arrachée. Out. Givrée. Le pays d'Eonville est enneigé. Baratin.

La télé gazouille. Beba gerbe les voix tonitruantes. Les truands. L'être vous ment. Pire que Pape. Pape est un mal à rien. Malaria. Un bandit. Il bondit comme la hyène qui craint le chien. Beba a la force. La farce. En force. Elle calcule son goulot. Elle vise juste. En mode poivrot. Si Hélène mate, elle tombe. Beba est affalée. Elle aimerait crever. La roue carrée. Elle est à bout. Elle overdose. Elle fouille sa poche. Pioche. Bonne. Il reste mieux qu'une barrette; une boulette. Une pastille. Un Mickey extasie. Le miracle déprimé. Le comprimé. Le pire devient le meilleur.

Une lichée de sky. De la nicotine. Pure eau. Facile. Beba bout debout. Le litron d'eau de vie : rigolade. De la tarte. Un citron, une gaze. Beba ne sent plus rien. Sales courbatures. Le boy peut venir, elle défie. Pape peut débouler, elle le tronche. Elle n'est plus de la femme, elle est de la déesse. Elle ressemble à Marilyn Monroe. Son modèle. Son idole. Elle ne reconnaît plus personne qui sonne. Tchi walou wallon. Soulagement. Elle n'est pas remise. Elle veut vider bouteille. Soir ce, c'est virée. Etre virée. A viré. Babord. Une boîte, un hôte, l'hôtel. Dodo et zoo. Elle arrache l'alcool. Mauvaise musulmane. C'est sale femme. Elle a flamme. Elle éteint les passants. Elle allume les lampadaires. Elle est cambrée jusqu'à la moelle.

Pape snif, le gus gobe. Le jobard dure, au coeur d'artiste chaud. Artichaut, c'est Noël. Le Père ordure. C'est un ordre : crève la bavure. Un tchatcheur niais. Beba a mal au ventre - estomac. Elle est siphonnée. On la traitera de malade. Elle hait Noël. Il est distant, distrait, pathétique. Elle boite. Il boit. Il abat. Elle ébat. Lui se tanne. C'est un poivrot.

Elle veut sa chambre. Elle titube. Elle cuve. Succube. Elle se dresse comme un I. Ca tourne. Whisky, gentil. Adoré. Le couloir tangue. Beba passe la cuisine. Le lit. Au trot, dodo. Repos. Elle pousse la porte. Elle avait peur : tomber sur Hélène. Noël. Perdu. Ca remue dans la pièce. Haut le coeur. Avec le cacheton, elle traîne les yeux revolver. Elle rote. La bouche devant la main. Bêta Beba baba au rhum. La frite d'Afrique. Le fric choque. Chic à frites. Bad trip. Une fouine, réflexe.

La nuit, elle allume. Lumière. Fin de partie. Noël luit noir dans l'obscur. Hélène nue dans l'impur. Enfin, presque. Serviette. Qu'est-ce qu'elle fout? Beba éclate de rire. Elle fonce, Hélène défonce. La salope. Elle découche. Elle cache son jeu. Si Pape chope, elle est mal. Il cogne sale. Noël peut crever. Dans une poubelle, un terrain vague, une caisse.

"Excuse, Hélène…"

Noël suave la face. La farce. Pas de face à face. S'ils savaient. Beba chiffe. La vengeance est un plat en côte. Montagne. Parole de Céfran. Pape joue les boss, il assume. Noël venge. Pape a nique la pineco, Noël tire la go. Hélène hait son père. Vérité défoncée. Hélène joue sa mijaurée. Hélène est une chienne. Une garce. Une enragée. Tout pour kène Pape. En beauté. Pape gaffe son gang. Hélène allume le bang. Conditions d'embauche : dealer en black.

Noël dealer, Noël Black. Hélène est reine du coup de rein. Rien. Bientôt, sa beauté virera. Les rakias raquent. Pape braque. Beba trac. Tu fais dans ton frac? Beba sue, sait, sent. Le destin des faciles est dur. Tu vieillis vite. Le sexe ramone la jeunesse dorée. Dardé de dessein, le sein vous ramène. Le malsain vous démène.

vendredi 17 septembre 2010

Les jacasseries intimes

J'ai toujours été un salaud de nihiliste, et je m'en flatte. Je suis un nihiliste, un nihiliste, un nihiliste! Personne ne veut me croire. J'ai tout essayé : les partouzes, les Japonaises de dix-huit ans, les monographies avec des dessinateurs revendiquant les mêmes inclinations sexuelles que moi (ah, la divine technique du bondage!). Prêt à tout, je me suis dernièrement lancé dans l'apologie du président néoconservateur (tout à fait dégénéré soit dit en passant) G.W. Bush... Même cette provoc' ne marche pas! Tout le monde continue à me prendre pour ce que je suis : un éditeur influent de la vénérable maison des Éditions de France, un critique de l'Aurore des livres, un spécialiste de la psychanalyse...
On me prend pour ce que je ne suis pas : une tronche, une bête de concours, un intello. J'ai la tête (farcie) de l'emploi. Bien que j'en sois fier, je ne suis qu'
accessoirement un esprit. En réalité, je suis un amoraliste doté de dons intellectuels lui permettant de faire illusion. Na! Le fond de ma personne est engagé dans l'exercice du plaisir. Les petits hédonistes comme Onfray qui professent l'hédonisme égalitariste ne savent pas que l'on ne peut éprouver du plaisir qu'en dominant les autres et en les détruisant. La reconnaissance de mes pratiques s'appuie sur la charpente du réel : dans un réel pervers, il convient de se comporter en pervers.
Dans un réel cruel, comportons-nous en cruels. Le
must de mes amis séducteurs : faire semblant - profiter est la vertu par excellence. Je profite de mon statut social et de mes connaissances pour draguer. Le plus important : qu'elles soient jeunes et jolies; puis c'est encore mieux si elles sont Asiatiques - de préférence Japonaises. La culture nippone m'enchante, mélange de cruauté et de raffinement, à l'instar des mœurs raffinées de la cour impériale.
Je m'étais lancé jeune dans la publication de journaux intimes et autres confidences mi-mondaines mi-intellectualistes sur le nihilisme et la psychanalyse. Comme j'avais fréquenté (et je continuais) des hommes fameux - par leur intelligence ou leur pouvoir, j'ajoutais des notes les décrivant. Saint Simon sauce sushi. Malgré tous mes efforts, je continuais à demeurer quelqu'un d'anodin et, pis encore, de respecté. On ne me détestait pas. Bien que j'eusse exhibé des ribambelles navrantes de jeunettes à couettes, l'on s'entêtait à classer mes penchants sur le compte d'un attrait bien excusable pour le sexe.
A ma grande honte, je dus endurer les compliments : j'étais une personne
très intelligente et très séduisante. Un élégant. On ne m'avait pas compris : je rêvais d'être incompris. Il faut dire que dans les milieux intellos-mondains que je fréquentais, on raffolait de spécimens comme moi, jouant du paradoxe et de la subversion. On s'y ennuie tellement que l'on se montre reconnaissant de croiser n'importe quel original un peu digne d'intérêt.
Avec mes titres de gloire, on devait estimer que l'intelligence appuyée explique jusqu'aux plus excentriques bizarreries du comportement. Pour épicer le tout, je crus bon de lancer que j'allais me suicider d'un moment à l'autre, en digne disciple des nihilistes, dont un certain Hégésias, un cyrénaïque que tout le monde a oublié alors que je lui trouvais des trésors de profondeur. Enfin! Allait-on m'agonir d'insultes ou me témoigner la commisération la plus charitable?
Du tout. Les mondains sont tissés d'un hybride d'égoïstes vaniteux et de cyniques revenus de rien. Personne ne s'intéressa à mes histoires de suicide et personne ne s'étonna vraiment de me revoir. Je crus bon de me sauver au Japon pour supporter mes quarante ans. J'avais laissé entendre que j'allais encore une fois en finir, mélangeant la distanciation avec la morbidité. Je revins de Tokyo en contrefaisant le dandy exténué et goguenard.
Dans le monde, on louait mon élégance. En particulier chez les intellos qui ne sont pas habitués aux poses vestimentaires et qui feignent de mépriser les dragueurs. A défaut d'être le Grand Écrivain auquel j'aspirais, j'étais le familier des grands écrivains. En particulier d'un ermite roumain qui avait pour caractéristique d'être misanthrope mondain. Lui qui se flattait de ne côtoyer que sa femme et son chien voyait défiler dans son modeste studio le gratin de l'intelligentsia parisienne. J'étais aussi l'ami d'une franche crapule, un philosophe alcoolique et pédophile, la réplique à n'en pas douter d'un sophiste.
En tant que psychologue, j'avais toujours été persuadé qu'il fallait être un monstre pour être un écrivain de valeur. En considérant cet ami, je redoublais de conviction. Malheureusement, mes inclinations à la monstruosité demeuraient cantonnées dans de la pure affectation. Je n'étais pas un monstre et je n'étais pas un nihiliste. J'étais un grand bourgeois mondain et paumé, qui passe son mal du siècle dans les plaisirs. Malgré ma condamnation de la morale, je détestais tellement les pratiques comme la pédophilie que je ne pouvais que les suggérer.
Je suivais par estime un romancier qui comme moi commettait avec régularité des journaux intimes. Je le tenais pour le grand écrivain que je n'étais pas et le défendais contre l'ostracisme moraliste dont il était la victime dans les journaux parce qu'il avait avoué ses penchants pour les très jeunes filles (voire les très jeunes garçons). Saint-Germain le tenait en haute estime. Si quant à moi je l'estimais autant, c'était parce que je n'avais jamais fréquenté ce descendant de Russe blanc) ailleurs que dans des salons.
L'aurais-je croisé dans un bordel de Manille que je me serais évanoui. C'est piteux, quand on se présente comme une canaille. Petite frappe, j'étais faute fripée - de frappe. Maintenant que j'ai passé la soixantaine, je me suis habitué à moi-même. J'ai compris que je ne serais jamais qu'un homme très intelligent et très dépravé. Un rigolo. Je ne me suis jamais marié et je n'ai jamais consenti au crime suprême : faire des enfants. J'ai trop d'occupations littéraires pour perdre mon temps dans les couches et l'éducation.
J'ai passé mes vingt dernières années à poser - nihiliste. Ce n'est pas facile parce que personne ne me prend au sérieux. J'ai la furieuse envie d'avouer que je suis un cave mais quand je vois les romanciers qui assomment de subversion et de marivaudage, je me dis que je suis quelqu'un de bien. Je finirai en bigot. Après avoir travesti mes prouesses de Casanova, d'aristo dragueur, de Don Juan
postrévolutionnaire et démocratique, voilà que je joue les bad boys dans les magazines.
Je me fais photographier avec un blouson, des santiags et un flingue. Une casquette camoufle mes cheveux désenchantés. Mes lunettes noires m'ont rangé dans la catégorie du
playboy réactionnaire. Je me fous de ma réputation. Un nihiliste ne s'embarrasse pas de rumeurs. Il me manque quelque chose. Pas une réputation. Sentiment d'échec. J'aurais aimé mourir en ayant écrit quelque chose de valeur.
Je sais que ce n'est pas le cas. Du coup, j'erre comme les orphelins et les parricides. J'aurai passé ma vie à voyager et à mentir. Au seuil de mon passage terrestre, un souvenir lancinant vient me chatouiller. J'ai trente ans et j'écris en devenir. On me promet monts et merveilles. Des chaires universitaires ou des postes d'éditeur. J'ai percé dans l'édition. Mes affaires ne se sont pas arrangées pour autant. Comme je traîne une réputation de coureur agrémentée d'une renommée de psy déjanté, les femmes raffolent de ma compagnie. Je n'ai aucune peine à faire chavirer les cœurs.
Je cultive déjà ce penchant pour les Asiatiques. Je sors avec une Eurasienne - un modèle de mijaurée : une bonne élève, qui fait semblant de ne pas voir qu'elle a du succès plus à cause de sa plastique que de ses idées. Elle croit qu'elle va faire sa vie avec moi. Je sais déjà qu'elle est une énième bluette que je coucherai plus sûrement dans mes journaux intimes que dans son lit de princesse étudiante.
Moi qui passe pour une bête de sexe, je répète ici ou là sur le mode de la confidence que ma régulière singulière est autant une fête pour les yeux qu'un désastre pour le sexe. Je lis beaucoup Weininger en ce temps-là - les persifleurs viennois. J'ai toujours eu besoin de trouver des correspondances historiques à mes fantasmagories. Avec mon Eurasienne, j'aurais pu procréer. Par la suite, je n'ai jamais eu le choix. J'ai fréquenté les Asiatiques - que des délurées et des hystériques. Ces nymphettes acceptaient ma présence à condition qu'elle soit intermittente et occasionnelle. Aucune n'aurait accepté de me suivre dans un délire de mariage. Le mari n'était pas dans leurs lubies d'ado immature et encanaillée.
Avec moi, elles paradaient en compagnie d'un mondain affublé du prestige intellectuel. Comme j'accordais une importance inconsidérée à ma mise, elles étaient ravies de conjuguer l'intellect avec le
charme. Les jeunes femmes prétendent d'autant plus qu'elles n'accordent aucune considération pour le physique qu'elles sont obnubilées par ce critère. Je ne saurais les désapprouver tout à fait : sans quoi je n'aurais pas obtenu mon succès.
Maintenant que je contemple ma décrépitude, le spectacle qui me désole le plus n'est pas de constater que je perds la mémoire (que j'avais prodigieuse) ou que je suis moins agile lors des parties d'échec (où j'exhibais naguère mon excellence tactique). Non, ce qui me consterne le plus reste mon vieillissement. Les rides se sont additionnées, mon corps donne de plus en plus souvent des signes de lassitude, j'ai mal à un genou. Pour rester jeune, je me cache derrière mes lunettes, mais l'artifice n'y fait rien. On ne peut rien contre la mort (d'une manière générale, les considérations désenchantées et sarcastiques sur la mort constituent une de mes antiennes favorites).
Je continue sur mon nom à attirer dans mes filets certaines créatures. La jeunesse féminine reste mon échappatoire. Plus le temps passe, plus mon cynisme croît. D'aucuns insinuent que je serais sinistre. Je pense que c'est de la lucidité. Je ne me suiciderai plus. Je n'ai pas eu ce courage et puis, je me suis habitué à moi-même. La dernière fois, un grand éditeur qui se prend pour un grand romancier (une projection de mon cas?) persiflait que j'étais arrivé au bout de mes fredaines et que j'allais me ranger.
Ma dernière trouvaille est d'avoir décrété que le plaisir sexuel est au fond illusoire - et que les femmes détestent faire l'amour. J'ajoute que je l'ai toujours su (ou pressenti). Cette confidence me classe (autant qu'elle me glace) dans le rayon des hommes impitoyables et cruels. Tout ce dont je rêve. Tout ce que je ne suis pas. Cet éditeur important qui sirote son champagne avec moi se prend pour la réincarnation de Choderlos. Il a perdu sa vie à courir en partouzes. Pas n'importe quelle orgie : les mondaines, où accourent les courtisanes qui se prennent pour des écrivaines (la dernière syllabe est sans nul doute amplement méritée).
Comme mon éditeur se prend pour le Casanova de son siècle, il essaye (tant bien que mal) de dissocier son écriture et sa vie. Il laisse entendre avec des regards de fripon
select qu'il est un dépravé qui écrit des choses légères et subtiles. Le pauvre n'ayant rien compris à sa vie, il ne faut pas s'étonner qu'il prenne la littérature pour ce qu'elle n'est pas - une chose pure et irréelle, qui se distingue absolument des expériences.
Quant à moi, je me suis toujours flatté d'écrire ce que je vivais. Mes journaux intimes sont le reflet de ma personnalité. J'ai peut-être exagéré, mais je suis tel que j'écris. La littérature ne fait qu'un avec ma vie. C'est ma rengaine esthétique : écrire authentique signifie que l'on écrit comme l'on vit. Mon ami éditeur (pas celui qui m'édite, car je m'en charge moi-même) est un menteur qui croit qu'on n'intrigue pas en littérature. Je suis persuadé du contraire. Surtout à notre époque. Jadis (un mot qui m'enchante), on écrivait des choses imaginaires pour faire réel. Désormais, c'est l'inverse qui est vrai : on écrit des choses réelles pour faire imaginaire. Renversement de toutes les valeurs?

jeudi 12 août 2010

Râpe française

« Pourquoi les femmes m’aiment autant ? »
Question des plus pertinentes. Son nom : Alain Méribel, il se fait appeler One Flow. D’origine sénégalaise, son expression, c’est le rap. Il tourne un featuring. Il joue l’invité. Ça tombe bien, il est le special guest d’un rappeur underground d’Eonville, la cité lorraine. Coin rap, tendance afro. One Flow chante l’Afrique. Il prise le Galséné. Il méprise la France. Il se veut tellement à la pointe de l’avant-garde qu’il refuse la télé. Bonne pioche, on ne l’y invite pas. Mépris mutuel. Lui a sorti un album. Il joue la star absolute.
Il est venu jouer l’air du bled. L’air du rap sénégalais. Les rappeurs africains sont ensorcelés par les States. Ça leur donne un point commun avec les Céfrans. Alain tient par-dessus tout à être présenté comme Sénégalais. Il a poussé à Evry, maintenant il évolue au Sénégal. Il a percé dans le rap à la mode chez les jeunes de Dakar. Il faut chanter avec des mimiques de star US, représenter l’Afrique d’apparat et arborer les paroles de la prétention. L’outrance, grandiloquence.
One Flow intervient sur le clip d’un poto du tiéquar, un certain Flag Or Net. Nom de naissance : Laurent Mauséus. Pur titi d’Eonville, le complice (parents maliens) après plusieurs saisons de zonzon pour trafic de beuh revient en force. Tel était le deal : il ne balançait pas, on banquait la prod à la sortie. Il flambe. Il clip. La classe. Pour l’occasion, il a sorti mannequins et cabriolets. En toute inconscience. En toute insouciance. One Flow est calmé. Des rappeurs de la Cour Paname sont venus admirer la débauche d’oseille. Pige de luxe. La réputation de One Flow, c’est le blow made in pays. Il vit sans le sou, mais dès qu’il sort, il flambe. Il traîne les soirs et il s’arrange pour susciter la jalousie. Boîtes, bagnoles, gos : les jaloux pavoisent sur sa tenue flambeur. Cette occasion, il est en démo pour vingt secondes. L’underground est le must.
Son eldorado, c’est une bande en vadrouille, des plans avec des beautés, des cabriolets en laisse et des bouteilles en pagne. Sa phrase qui clashe, c’est : « Pourquoi les femmes m’aiment autant ? ». Question qui claque. Il a construit son flow autour de cette charade trop de la balle. Pourquoi je suis si fringant ? Pourquoi je suis si mauvais perdant ? On pourrait enquiller les rimes à l’infini. One flow tient le casting de choc. Marque de respect. Il kiffe. On lui a réservé une superbe panthère comme partenaire de scène. Il fait dans la bête de, il soigne sa répute de, il glisse sous les images de, un cuir sur le torse, mocassins aux pieds.
Dans le script, il est le tombeur fou. Les meufs sont accrocs à sa puissance mâle. Il évolue en dragouilleur choc, sauf qu’il n’a pas de temps à perdre. Il s’est pointé avec son grand frère et il est attendu chez son oncle. Un immigré discret. Motus et bouche courue. Les allers-retours ne sont pas des parties de plaisir. One Flow s’est entraîné à étaler la dégaine la plus arrogante. Comme les big brothers d’Amérique. Ça sonne creux. Tics de toc. D’habitude, il est genre réservé. En tournage, il surjoue. Ça y est, il a fini son numéro. Il a chanté en play-back. Il a frimé à mort. Le tocard millionnaire smicarde à sa sortie ciné. Que du virtuel. Des images satinées, du mensonge calibré. Les rappeurs sont des mythos flambeurs. Flag lui tombe dans les bras.
« Trop fort, t’as trop assuré. C’est dans la boîte, on est parés ! »
Fidèle à son passé, Flag est fonceda complet. Il a abusé d’un gros spliff. Il se prend pour un toaster jamaïcain. One Flow a partagé le solo avec un chanteur sénégalais de dance hall, un certain One Blow. Au pays, ils font dans tous les styles. Du plus roots au plus US. Lui, One Flow, il se prétend de tous les langages. Il revendique son anti-impérialisme et sa négritude. Sans blague. Cent rires. Il oscille entre rap et Jah-maica. Marque de fabrique. La morale de ces types, c’est l’authenticité. One Flow revendique.
Authentique n’est pas simple. C’est bling bling : l’argent est la valeur number one. Sûr de soi est la règle d’or. Flag a un credo : rapper tel qu’il est. Naturel. Frimer et niquer. Arsenic. Art sonique. Apparence. On se maque du reste. Marque du best. Mark of the beast. On nargue en narguilé. On tire larigot. L’art y go. Yunno ? Les mauvaises langues décrivent les rappeurs en capitalistes frustrés. Eux se tirent du marasme de leur banlieue. La vie de star est idéale à condition qu’on ne soit pas trop – reconnu. On tolère les amis, on gère les connaissances. Critère underground.
En direct, One Flow passe en premier. Au mix, après Flag Or Net : le phare en premier, ses convives suivent. Ils racontent à leur sauce qu’ils sont les boss – les rois de l’impro. Ils fourbissent leurs anecdotes. Les rappeurs célèbres sont mille fois moins bons qu’eux. Un jour, sur scène, une de ces stars de l’imposture s’est fait démasquer devant le public. Flag prétend être le meilleur improvisateur de France. Avec One Flow, ça passe, car One Flow est Sénégalais. Entre alterartistes de banlieue, on se renvoie les compliments pour ramollir les tensions. Les egos sont de sortie. Les trips aussi. Ils appartiennent à des collectifs que seuls les initiés connaissent. Dans ce milieu, la reconnaissance passe par la discrétion. On est d’autant plus fort que l’élitisme implique la retenue.
On frime d’autant plus qu’on vit caché. Flag décline une séquence où il met en valeur la sape. C’est sa marotte : dans ce milieu pourri de codes, on ne se fringue pas par hasard. Les conventions sont plus qu’importantes. One Flow s’irrite des quolibets de l’oncle : sa dégaine imite les chanteurs américains – la défonce, le fric, les femmes… Pas de quoi être fier d’incarner le frustré. One Flow n’a rien répondu. Il glisse entre les gouttes. Il s’oppose à sa famille. Il se coupe du monde. Il vit en autiste : la seule valeur, c’est le monde du rap.
Tiens, Discount qui s’avance. Lui, c’est le prod. Comme il a lancé le seul rappeur d’Eonville qui ait percé, un métis sénégalais du surnom de Miki la Peste, il passe pour une légende urbaine. Avec un peu de flouze, il est celui qui a réussi. C’est l’exemple du quartier. Dans les discothèques, les jeunettes lui sautent dessus. Flag l’a embauché direct. En gage de qualité. Dégage le karité. Flag juge au feeling – charisme. C’est son critère – de choix.
« Excuse, man, faudrait reprendre la scène où t’arrives avec Barbie dans le club…Ta dégaine est calibrée, mais ton yes ! sonne trop mou… »
Pas d’embrouille, One Flow s’exécute. Discount connaît la chanson. One Flow a repris l’interjection de la clique des Jamaïcains. One Flow est envoûté par tout milieu de flambe. Dance hall : on y met en valeur l’argot des immigrés aux States, le sabir des Noirs de Jamaïque. Un mythe. Chez les banlieusards du blow, on ne dit pas boîte de nuit, mais – club. Ça sonne plus english. Barbie : la poupée zunienne qui sert de modèle à One Flow. Dans la vie, peu importe qu’ils ne se calculent pas. La top sort d’une agence, le top descend du Sud. One Flow pose en gangsta afro. Sa tirade ego trip : il l’a blindée de paroles salaces et emportées. Il rêve de faire des portées à la musique. Barbie aurait trop raison de tomber pour sa gueule : il est le best. Le prince des lascars, le roi des blédards. Il en impose. Il s’impose. Il dépose. Qui repose ? Tout à l’heure, il mangera son tiep en millefa, cousin parmi les autres. Sous les néons, il est exposé. Explosé. Il trône en devanture. Authentique. C’est son hic. Technologie. Sa voix jacte dans une baffle.
« Si je croise ta musique, je lui fais une portée ! »
Ça sonne impertinent. Il a bossé des tonnes pour trouver son style. Le goût des autres. Tout à l’heure, le test fini, la fine équipe se claquemurera en appart. La vie de banlieusard. F-5. Les lascars sont des pharaons de nuit. Papillons de vie. Si elle n’a pas filé vers son train-train, One Flow trinquera avec Barbie. Il déclame polygame. Au pays, il a l’épouse plus la fille, mais c’est meilleur de courir les rakias avec un titre marital en poche. One Flow traîne la timbale. La martingale. La gale. Plus que jamais authentique. Épique. Sardonique. Réplique.

mercredi 21 juillet 2010

Le Lord de l'or

Le baron David de Mauséus s’apprête à quitter sa berline. Il conduit son véhicule. Pas de chauffeur, pas de strass. Mauséus est banquier en vue des places. De la place. Il navigue entre Paris et Londres. On le voit peu. Il ne sort pas. Il a dirigé la banque Mauséus comme un ténébreux. Vampire : la discrétion, ça paye. Dans trois mois, retraite. Pour l’occasion, il a rendez-vous dans un restaurant huppé (son moule) avec le correspondant célèbre à Londres d’un grand journal français.
Le journaliste : un spécialiste des milieux financiers. Un obligé qui organise son éloge. Un affidé de l’hagiographie. Tant mieux. Mauséus ne se déplacerait pas pour des négatifs. Il appartient au cénacle. Il a peu de pouvoir, il vit caché, friqué. Le restaurant : l’enseigne des Lords, la politique, les renseignements, la finance. C’est cher, couru, cosy. On y donne dans l’atmosphère british. L’empire vous invite à sa table. Le quidam réserve des mois à l’avance. Notre baron a ses aises. Trente ans qu’il fréquente. Il s’exprime dans un anglais saumonné.
David a œuvré pendant un demi siècle. Sa saga est familiale : les Mauséus sont banquiers de pères en fils depuis trois siècles. Chez les financiers, c’est inégalé. En unité financière, un siècle vaut un millénaire. Les Mauséus ont été les banquiers du roi d’Angleterre depuis le dix-huitième siècle. Au dix-neuvième, ils se sont enrichis grâce à l’Empire britannique. Depuis, plusieurs branches dirigent des succursales en Europe. Les plus importants étaient les Londoniens. Ils dénouaient les stratégies au plus haut niveau. Ce qui rapporte, ce ne sont pas les transactions particulières ou les investissements, ce sont les fusions-acquisitions.
Quand les Mauséus de Londres se sont scindés entre la maison-mère et Jacob, le baron-trader qui ne respecte rien, la branche anglaise a implosé. La plus puissante pousse. Le fleuron de la dynastie. Les Italiens sont installés en Suisse ; les Français vivotent du côté de Saint-Germain ; les Londoniens sont des piliers qui pillent Londres. Le baron David était considéré comme un Parisien, le genre qui brûle les millions, qui réalise quelques affaires, qui n’ira jamais au-delà de son influence.
Les Mauséus de Paris sont des viveurs, des flambeurs, des mondains. Jamais ils n’ont été pris au sérieux. Ils font des histoires. Ceux qui faisaient l’histoire, c’étaient les Londoniens. David n’était pas un vivoteur. Il a profité du conflit fratricide entre les Londoniens pour s’emparer de la vénérable maison-mère. David a développé les stratégies entre Londres et Paris. Le Frenchie a réussi dans l’Univers grenouillophobe. Citez la City. David n’est pas de ces exilés à Londres qui opèrent des manœuvres auxquelles ils ne comprennent rien. Certains planent au-dessus du monde. Ils touchent des millions en quelques clics. Ils occupent des postes en vue.
Ce sont des comparses. Des complices. Ils ne dirigent rien. Ils pigent pour des enseignes. David ne traite pas pour les autres. Il laboure en son nom. Il trône sur le toit du monde. Les concurrents, il bichonne. Il est leur haltère écho. Mieux, leur mentor. Les Mauséus sont les banquiers de la reine. Ils n’ont pas de disgrâces. David descend de sa voiture. Il l’a garée comme un gant. Il n’est pas de ces aristos incapables de pisser dans une éprouvette. Il est indépendant. Il est simple. Il part en retraite. Il vivra dans un hôtel particulier, il voyagera vers Londres et distillera des conseils aux successeurs.
Il a réussi son objectif : le conflit avec Jacob signifiait la chute de la maison, fondée sur la complémentarité du lignage. Les autres familles ont perdu la main, reprises par les étrangers. Les Mauséus se sont passés la main. Ils se sont mariés entre eux. De la discrétion, ils ont fait leur règle. Dors. David est un Mauséus. On ne le voit jamais, on ne connaît pas ses relations, on ne l’a jamais photographié au bras de sa femme. Ses trois enfants sont casés chez des confrères. David a accompli sa mission.
Il a mis fin au conflit interne. Il s’est réconcilié avec Jacob. Désormais, la branche londonienne travaille avec la succession parisienne. C’est de la synergie. Jacob a réintégré le giron. Les risques conviennent à son caractère fonceur et frondeur. David a eu affaire au rebelle des Mauséus. Jacob ne voulait pas détruire, juste quitter ses gonds. Ne plus en rester aux sempiternels principes, se lancer dans les paradis fiscaux. Les niches. David a décelé le potentiel. Un banquier comme on en fait deux par siècle. Jacob dirige la principale union bancaire, l’Inter Division, un nom inconnu qui regroupe les grandes enseignes de la place. Avec les alliances et les croisements, 70 % du marché. Jacob a fait du boulot. À partir de ses paradis, il a paradé. Il a lancé des investissements en Amérique du sud. David a suivi le matadore. Son bronze.
Ceux qui avaient parié sur la maison divisée en sont pour leurs frais. La famille est plus complémentaire, plus diversifiée. Elle est présente dans les investissements opaques, blanchir la drogue ou graisser des armes. Des commerces pas assez utilisés auparavant. Dans l’institutionnel, les trafics poussent à la touche. Avec les méthodes de Jacob, le faîte est fait. David fana de réussite, c’est son dada. Ce soir, il livrera ses banalités prodigieuses. Pas de souci. L’alchimiste de la plume en fera des perles. Demain, on apprendra. On chuchotera. On se taira. La référence tire sa révérence. Officiellement. Aussi raffiné que discret. De la cuisse de Jupiter. Il est le maître de l’ombre.
David mesure sa puissance aux louanges qu’il reçoit. Il n’a rien commandité. On lui rend hommage. On martèle qu’il est le meilleur. On juge qu’il est le plus beau. On convoque les journalistes les plus renommés. On murmure qu’il est une légende. On le loue, on le congratule, on l’applaudit. Golfeur émérite, financier extraordinaire, il mérite sa retraite. Il mérite de la partie. Il mérite de l’Empire. Il est simple, généreux, bon, serviable, bien élevé, bien né. Il est apatride. Il est de l’élite la plus pure : les agents changent. Il est du bon côté : son association dédiée à la Shoah. David a quand même un défaut : il va mourir. Il n’a pas réussi à éviter la mort. C’est son échec mat.
Avec ses cinquante printemps d’omniprésence dans la ouate de la banque, il a appris à naviguer à vue, entre amoralisme et pouvoir. Il a fermé les yeux. Il a accepté. Il a payé. À côté de son cousin, il fait dans la figuration. Jacob pilote l’Inter Division. David est l’héritier. Il est sous la coupe de Jacob. Il a sauvé les meubles. On le tient pour le patriarche, le réconciliateur, le diplomate. Il est dans la nasse. Pas dans la masse. Il est exténué. Il a peur d’après la mort. Il philosophe avec piquant, il plaisante de moins en moins.
Il part avant l’avanie. La City prend l’eau. Bientôt elle déménagera. Bientôt elle jouera des coudes. La City fermera. La City migrera. David est un dinosaure. Il sera de la génération qui n’a pas transmis. Sodome et Gomorrhe flanche. David s’épanche ? Le défilé défile. David n’a pas le profil. Les héros défient les zéros. Prochaine destination : l’Empire mute. Chinoiserie ? La Compagnie réforme ? David marginalisé. Il ne nourrit plus d’illusions. Le plus dur n’est pas d’être écarté, le plus dur est d’être loué. L’acteur. Le boss laisse des bosses. Le boss roule sa bosse. David contusionné. David commotionné. David aurait préféré balayer. Son sacerdoce : prince du néant. Le dernier moricaud. Après lui, le déluge. Bing Bang. Ding dong. Le gong. La retraite sonne la fuite.
Il passera pour le couard. Le traître. L’égoïste. Le failli. Le raté. L’hypocrite. Le coupable. On déteste le symbole. A ce qu'on répand, les Mauséus sont usuriers, juifs, sionistes, diaboliques. David a été incapable de rentrer dans l’histoire. Faire face. Blaguer. Pas d’histoires. Sans blanc. Trouver des portes. L’enfer, c’est les hôtes. David est un autre. Ce soir il rince. Il régale. Il égale. Il oublie. Il déjoue son rôle. Le baron plein de ronds. Le parvenu n’est pas roturier. Il invite. Le restaurant s’ébroue. Le Tout-Londres se retourne discrètement. Le journaliste se lève solennellement. David a soigné son topo. Singé sa sotie. Plus dure sera la chute.

lundi 14 juin 2010

Par tous les porcs

Il est énorme. Balèze. Il pèse. Le mastaf tutoie les cent cinquante kilos. Le chambreur frise la tonne. Impossible de le retourner sous l’heure. C’est un poids. Dans une société déphasée, notre jovial n’est pas un cas salivant à l’idée d’engloutir le fric des frites ; un tyroïdard qui prendrait son pied à chaque kilo de pollution ; un boulimique suivant une cure de désintoxication aux crèmes et pâtisseries. Notre héros est journaliste sportif. Plus précisément, puisqu’il ne faut pas trop rire sous peine de discrimination, Luc Méribel est spécialiste de football.
Après de brillantes années au quotidien sportif La Victoire, Luc a tellement bien réussi qu’il est passé indépendant. Il intervient dans les télévisions, notamment le câble. Il écume les mags de foot où il délivre sa science tactique-larigot. Il consulte. Ça rapporte. Le paquet. Jackpot. Il a fondé son site. Internet tendance. Il a posé ses valises sur la Toile. La révolution en marche. Subventionné par des sites à paris, il monnaye son avis d’expert, on le réclame les soirs de matches, il est rémunéré pour ses pronostics, les paris en ligne. Bref, Luc a le vent en pompe. Son créneau, c’est les vannes, conjuguées à la proximité avec les joueurs. On le saoule avec ces deux qualités. Il encaisse. Il aimerait qu’on l’admire pour son sens tactique vu qu’il est passé à côté d’une carrière à cause de son poids – et qu’il compense par l’analyse.
Pas un mot. On préfère qu’il charrie ou papote. De temps à autre il se lâche. Il buzze en cassant du joueur. C’est rare, les champions hurlent à chaque critique. Luc cultive sa démago un tantinet titi. Il traîne sa réputation de drôle. Il appartient à la bande des rebelles, ces journalistes qui sortent du circuit par leur verbe gros. Jamais un mot sur les dérives – dopage ou trucage. Sinon, c’est la porte. Luc est une grande gueule, pas un kamikaze. Ces sujets, c’est suicide. Il n’a pas l’âme d’un martyr. Il veut bien constater, déranger, mais à l’intérieur du système. Pas en franc-tireur. Son truc, c’est la déconne franchouillarde, accessible au beauf.
En tête de lard, il est copain comme cochon avec le journaliste le plus mythique de la profession. Noël Châtel est un métisse congolais spécialiste du foot sud-américain. Il travaille de manière discontinue. Il s’est fait renvoyer de toutes les grandes chaînes de télévision. Il est considéré comme le meilleur. C’est l’as qui ajoute à son excellence la confirmation du milieu pro. Il est capital de disposer de l’amitié de Noël. Noël est considéré comme un caractériel. Il refuse l’autorité, il travaille comme il l’entend. Noël et Luc se sont connus sur les plateaux. Le courant est passé.
Ils se voient en dehors du travail. Ils sont amis. Ils sont haltères ego. Les deux compères, qui aiment autant boire un verre que refaire le match du haut de leur excellence, se sont assis dans un bistro derrière les studios de leur câblée. Une sportive qui a été lancée par l’omnipotente firme La Victoire. Luc a gardé des liens. On rappelle l’ancien de la boutique qui a bien tourné. On se souvient du truculent commentateur qui a son avis sur chaque question et qui connaît ses sujets foot.
Luc et Noël sont attablés au comptoir, la serveuse les a reconnus. Noël adore les femmes. Il est marié, il tient à sa réputation de coureur de jupons. Il veille sur ses deux marottes : les nénettes et les maillots. Il est collectionneur dans l’âne. Tendance compulsive, version maniaque.
« Luc, tu as entendu l’histoire de Vanim ? »
Luc lève les yeux au ciel. Qui n’est pas au courant de cette affaire aussi privée que sordide ? Des stars de l’équipe de France avaient recours aux services d’une jeune prostituée nommée Rachida. Depuis, elle se pavane dans les mags people. Elle montre ses longues jambes et sa poitrine refaite. Luc salive. Il est obsédé par le cul. Comme il est un célèbre obèse qui baise la téloche, il peut se permettre certaines incartades avec les nénettes. On lui passe tout. Il ne dit rien, il se réfugie derrière la vie personnelle, il n’en pense pas moins. Ce serait lui, il aurait fait pareil que Vanim, la vedette de l’équipe de France.
Un dragster qui joue ailier droit et qui fume toutes les moquettes d’Europe. Vanim a actionné ses réseaux de call-girls, via des intermédiaires du monde de la nuit. Grâce à Vanim et à d’autres collègues internationaux, Rachida a accédé à la célébrité. Enfin, la célébrité – douteuse. Vaut-il mieux être anonyme ou catin notoire ?
« Sûr que je la connais !
- Tu enquêtes pour moi sur elle ? »
Noël ne change pas : il joue toujours au mac, au boss, celui qui prend les initiatives. Luc se replie sur lui. Il déploie son quadruple menton. Il n’aime pas les histoires de mœurs. Casse-gueule.
« Je ne sais pas si j’ai le temps…
- Tu piges pas ! C’est le scoop du siècle ! Rachida est envoyée par l’équipementier Kumpo pour torpiller la concurrence… »
Luc écarquille des pupilles. Noël est le spécialiste des scoops. Luc ne veut vraiment pas se mouiller. Kumpo pourrait briser sa carrière. C’est un équipementier brésilien qui travaille en Chine et qui casse les contrats des stars pour grapiller des parts de marché au grand rival – Edel, partenaire de l’équipe de France et du football depuis la Seconde guerre mondiale. Ces types sont des institutionnels. Gare aux enquêtes qui vous laissent sur le pré.
« Edel aurait laissé faire ?
- L’équipe de France dérange. Ils peuvent gagner la prochaine Coupe du monde. En s’attaquant à son meilleur joueur, on la déstabilise…
- Moi, j’ai toujours estimé que c’était des conneries. Tout le monde se défoule avec des putes dans ce milieu… »
Noël affiche un sourire en coin. Du style : moi, je ne paye pas les filles. Noël a beau être gentil, il n’est pas international. Il ne court pas aux quatre coins de la planète pour jouer tous les trois jours. Les footeux, Luc respecte, son insolence est de façade. Il chambre, mais le fond est OK. S’il était comme eux, il ferait comme eux. Certain que le courant passe à cause de cette connivence. Noël ignore-t-il que cette Rachida siliconée était entretenue par des bars à footeux, genre clubs VIP où ne rentrent que les golden boys ? Dans les potins, on murmure que Rachida ne se monnayait pas qu’à Vanim, qu’elle était l’égérie de la plupart des internationaux.
Rachida aurait été l’escort girl de l’attaquant de l’équipe de France, un certain Titi Bravo. Ça tombe bien, Luc passe pour l’interlocuteur de Titi. Titi ne blaire pas les journalistes, à l’exception de Luc. Du coup, Luc réalise la plupart des interviews de Titi. L’enquête, c’est une manière de protéger l’équipe de France des ragots. Si Luc fouille, les rumeurs seront enterrées sous le caustique. Luc travaillera en sous-marin pour Edel en enfonçant Kumpo.
Luc s’est levé. Il a accepté. Il a pris un taxi et il s’est rendu dans un grand hôtel. Titi loue une suite à l’année dans un palace. Les footeux sont fascinants. Ils gagnent tellement de blé qu’ils craquent comme les milliardaires. Maintenant ce sont les sportifs qui régalent.
Officiellement, Titi est marié à une starlette du cinoche anglais, mais il ne se prive pas de quelques écarts extraconjugaux. Il reçoit les poules dans sa suite. Luc court retrouver Rachida. Il n’aime pas brûler toutes ses cartes, y compris auprès des collègues comme Châtel. Il était au courant pour Rachida. La poule est hébergée chez Titi. L’impunité de la célébrité. Pas étonnant qu’elle collectionne les clients internationaux : elle est dans la place. Dans le palace. Si ça se trouve, elle a déjà dédommagé des intermédiaires, comme certains frères à Titi, qui jouent aux impresarios et aux vedettes. Ils ne seraient pas jaloux de l’aura du frangin ? L’argent de l’agent.
La famille, c’est la famille. Luc n’est pas jaloux. Il a sa part de gâteau. L’oreille de l’oseille. Il aurait préféré peser quelques ballons en moins, mais journaliste sportif, c’est pas mal. Surtout à son niveau médiatique. S’il ne jouit pas de la notoriété d’un Titi, Luc passe à la télé. Label bleu. Luc ne crache pas sur les fines parties. Son bide et son menton ne le rendent pas suspect d’érotomanie. Il traîne une réputation de gros plein de soupe, pas d’accroc au sexe.
S’il veut continuer à interviewer l’équipe de France, il n’a pas le choix. Il doit jouer son jeu. Quand il arrive au palace, on lui indique la suite à Titi. La connivence : le péché qui perdra les milieux du luxe. Craché caché, Luc ne dérangera pas le grand homme, qui est absent. Titi évolue dans un club anglais et débarque un week-end par mois, en avion. Toujours la première classe. Pour un international, les escales sont monnaie courante. Il saute dans un vol direction New-York pour une séance shopping avec sa compagne. Du moment qu’il effectue ses entraînements et qu’il claque ses buts…
Luc ne se tâte pas la tête. Il suit son programme. Il jongle carte sur table : si Rachida joue les foot-girls, elle doit étendre sa gamme aux copains. Luc est favorable à l’hédonisme. Du sexe et une bouteille, on grimpe au septième ciel. À l’entrée, on lui a indiqué les ascenseurs. Luc est public. L’enquête finira au paillasson à condition que Rachida accouche. Luc a les moyens. Les footeux apprécient quand on vit comme eux. Sinon, vous restez l’intrus. Luc est des leurs. Des leurres ?
Il connaît les ficelles, jamais sortir la vérité. La vérité, c’est que Rachida n’est pas la call-girl du milieu. Les footeux qui pèsent leur oseille, qui voyagent et qui ont des besoins sexuels en corrélation avec le dopage (génétique), ont recours à la facilité. Par ici le talbin. Les courtisanes pullulent dans cet entourage où l’on croule sous le pognon et où l’on manque de neurones. Un gaillard de vingt-trois balais qui refuse une bombe à billets, vous en connaissez des tonnes ? Alors – dans le foot ? Avec sa tête de beauf attardé et sa dentition de chameau amoché, Vanim n’a pas les dispositions pour refuser. Il a trop ramé. Maintenant, il encaisse. Ses caprices sont des ordres.
Il est trop riche, trop stressé, trop speed. Sa femme, il ne la voit jamais. Il paye sa baraque et son train de vie. Elle assure son marketing. Elle est une conseillère d’enfer. Les footeux vivent avec des profiteuses. Elles sont craquantes, sexy, capricieuses, sottes... C’est rond, le ballon. Quand il rentre à la maison, dans la campagne parisienne, Luc ressent de la griserie. Il joue sur les deux tableaux : il profite des miettes du festin sans faire la cuisine. Il ne se dope pas à mort. Il ne boude pas les amuse-gueules. Rachida est plus qu’une distraction. Un amuse-sexe. Avec ses obus siliconés et ses mèches blondes, elle est plus qu’une farce. Une garce qui agace.
Pour la galerie, pour Noël, Luc pondra une exclu de la mort. Rachida en mode intime (audience assurée) se confiera dans un décor sombre, comme si elle vivait dans la cave de l’hôtel. Luc singera le reporter courageux, muni de ses questions impertinentes. Les spectateurs ramasseront du toc, Luc passera pour l’expert hors normes, le type qui vous réalise les exploits. Vous rêvez d’une interview impossible, appelez Luc Méribel. Un rebelle des médias, ça ne court pas les télés ! Son plan est ficelé, emballé, pesé. Qui se doutera qu’avant le canevas, Rachida et Luc ont fricoté – que le scénario est bidonné ? Luc s’en fout. Lui aussi n’est qu’un pion qui joue le jeu tant qu’on ne le vire pas de l’échiquier.
La porte s’ouvre. C’est Rachida dans la suite... Luc a préparé son topo. Il est dans le tempo. Pour une pute, un ventripotent, c’est du pain béni. Problème : un mec est à la porte. Un Rach. Le minet sourit sans fard. Luc est obligé de rompre la glace.
« Je suis venu pour une interview…
- Vous voulez m’interviewer ?
- Moi, ce serait plutôt Rachida… »
Le gaillard explose de rire, l’air de ne pas y toucher.
« Rachida, c’est moi… »
Bombe atomique, explosion nucléaire. Cette tuile, Luc n’avait pas programmé. Rien à faire, les travelos et les trans, c’est sans commentaire. Sur ce chapitre, ça coince. Rachida est plus qu’une pute : un travelo ! Pour Luc, les footeux à traves, c’étaient des Brésiliens. Quelques gélules et pilules, les fêtards de Rio ne se contentaient plus de nénettes. Adrénaline, catégorie plus rare. L’option qui tue. Apparemment, Luc n’était pas au secret : les Français sont aussi des Brésiliens.
Il commence à se faire vieux, Luc. Son disque raye. Il avait prévu d’enterrer l’affaire après une bonne sauterie. Il repartirait dans ses paris d’émissions ; là, il est démoralisé. Il n’est plus le gentil journaliste qui assure, il est le has pine. Rachida, c’est Rachid. Ce n’est pas pour lui. Pas de son temps. Quand il pense que les internationaux de l’équipe de France en sont à se taper des travelos pour modérer leur adrénaline, pas étonnant que le foot soit en crise. Lui qui ne se pose pas de questions, il en vient à se demander s’il n’est pas tombé dans un traquenard. Qu’est-ce qu’il va raconter, maintenant ? S’il couvre, il est découvert. Piégé, pigé ?
Bonne pioche : et si c’était Edel, le grand manitou ? Si Kumpo n’était que l’alibi de la farce ? Le dindon de la force ? Et si Châtel travaillait en loucedé pour Edel ? En tout cas, il fait leur jeu, le fric lance. Luc est coincé. C’est pour ça qu’il enterre les affaires quand elles sortent : trop risqué. Là encore, il ne pipera rien. Il va demander à Rachid de se faire belle, de poser à Rachida qui chavire les cœurs d’artichoux. Jamais il n’expliquera le fin mot. Les maux ont faim. Rachid s’est arrangé pour dévoiler une partie de la vérité. Luc n’est pas omniscient, il est malin. Habile. Il louvoie. Il convoie. La vérité brisée en mil, il convient de ne pas recoller les morts, sot. Le coup du puzzle en déconfiture, c’est bon pour les gosses. Lui est un adulte qui adule. Il nourrit sa famille, il entretient sa réputation, il ment. Il se sent bain.

mardi 27 avril 2010

La vieillesse éternelle

Dans la salle à manger, trois blangos. Un jeune à crâne rasé. Les acclimatées vérifient le tiep façon capitaine. Un tismé arabe, le monde jure qu’il est blanc. Ils portent le même costume. Un trois pièces sénégalais. C’est musulman. Les rakias fument au-dessus du riz. On mange la même sauce. On cultive le même culte. L’exotique, superficie.
Dans la cuisine, un tonique échalas. Un beau Sénégalais. Mamour, sous-nom maternel. Prénom confidentiel : Lamine. La mine à phare chauffe le four à blanc. L’alchimiste remplit sa mission : le Boss a confié sa tâche à shit. La recette : fondre deux saves d’import Maroc et les mélanger avec la pâte Sénégal. La patrie vous sourit. C’est ainsi qu’on oublie. Lamine exulte. La confiance dore. Au Sénégal, il est mort. On le mord. Renié, il renaît. En France pour études, il jackpote son danger. À la fenêtre, un drapeau de dictateur africain cache la vue. Garde à vous. Un salaud – tortionnaire. Un assassin. Un criminel. Tant mieux. D’où sort-on ce raté ? Pas d’apologétique. Pas d’idéologique. Le but : filer la surveillance. Les condés des tours infiltrent.
Quand on trafique, méfiance. On se fie au défi. On flirte avec la parano. Dans la salle de bain, la lumière brille. La sista Comba a filé avec une compatriote. Elle fuit le trafic maison. Ça ne lui plaît pas. Elle cache les histoires à la mère mais elle regrette l’époque où le Boss était un petit des tontons. Le père est mort, il se croit tout permis.
C’est dans la chambre du Boss que ça se passe. Pape, on dit Mous, personne ne sait pourquoi. Le Boss gaze. Ça en jette, les spliffs. La pièce est tellement enfumée que les murs fument. Le Boss n’est pas seul. Il n’est jamais lâché. Deux collaborateurs planent sur le lit double matelas. L’Arabe sort de la banlieue d’Eonville. Il est en permission militaire. Il vaque à son service. Il tape à l’enfer. Il gobe des ecstas à langueur de nuit. Il draine dans les boîtes. L’autre est du Cameroun. Le natté dead inspire plus qu’il ne deale. Le rappeur représente. C’est râpé question carrière. Il toaste derrière les entrées, entre deux squares. Il traîne à la MJC. C’est un mythique de l’underground mytho.
Pape est tondu des tendus. Il guette un arrivage. Pas came, shit ou rabla. De la camelote. Du biz. Pape est un malin. Il bricole dans les vêtements. Des associés lui rabattent les occases. L’équipe du casse d’occase braque des dépôts, entrepôts en camionnettes. Ils sillonnent la région, là où la qualité est qualifiée. Ils braquent les baraques. Ils blindent le fourgon. Mission accomplie, Pape fourgue aux revendeurs. Les marges plus que larges. Ça paye double shit, moins craignos que la dope. La police s’éveille. Faut veiller les douaniers. À part les sheriffs, c’est la belle vie du vice.
Pape fiance la France. Sans travailler, on a la trouvaille. Sa réputation de bang du gang, Pape est adulé dans le quartier. Il gaze à la gazelle et sertit en serviteurs. Le drôle renverse les rôles. Les Blancs des barres l’assistent, Merco ou Golf, moyennant quelques services. Pape n’est pas avare. On tait pour lui. Un Noir anar, c’est plus que bien vu. T’es culte en moins de deux. Tu lâches les pires crasses, t’es absous des sous. Si tu défies la loi, tu es héros. Tes valeurs de voleur en pièces. Pape n’est pas Robin des tours. Le céréalier engrange un max de blé, flambe les soirées afro. Il circule en bande, on craint son respect, sa réfutation est réputée, personne ne refuse l’entrée, il prend des bouteilles, il paye comptant, c’est un joli cœur, il repart blindé, il est quelqu’un.
« Pape, c’est pour toi ! »
L’officielle joue la standardiste. Karima est la cop’s. En plus des cinq maîtresses du moment. Chef de ghetto, les nénettes tombent. Karima est trop fière pour voir clair. Elle se réveillera quand elle maturera. Pape ouvre la porte. Un rabatteur de douze ans est à la porte. Il s’appelle Mouloud, c’est une graine de délinquant ; un bon à rien que plus personne ne veut – ni les centres d’accueil, ni les prisons, ni les collèges. Le gamin graine de violent, turbulent, pagailleur. Il est sorti du système la haine haute. Il pige pour les piégeurs. Ses parents sont parés.
« Ils sont en bas… »
Mouloud est hors contrôle, sauf pour les cadors. Le respect, c’est la crainte. Pape sourit : ils, c’est son bras droit et l’équipe. Le blé est de sortie. Il entend la voix d’Alain Méribel, que tout le monde prend pour son frère. Il n’a ni frère, ni ami. Il profite. Il profile. Il se moque. Alain traîne avec lui ; point bourre. Ils fument ensemble, ils taffent ensemble. Rien à battre du reste. Alain est un gadjo, un orphelin de la rue depuis ses quinze ans, un taulard qui a usé les familles d’accueil. Un Sans Dealer Fixe. Il crèche chez Pape. Il tourne à l’héro. Pape profite de sa pomme. Il lui file sa camelote, l’autre est son bras droit.
« Le casino attend en bas… »
Alain a dû fumer un spliff trop serré, il a les yeux explosés. Alain est un foncedé chronique. Surtout ne pas poser de questions ni manifester d’inquiétude. La bande dispose d’un local dans une cave discrète du coin. Un lascar utilise la propriété inutilisée des darons. On entasse les fringues, on les fourgue ni vu ni connu. Les schmitts sont déphasés. Ils traquent le marcassin, pas le mocassin.
« J’ai débouché le champ’ ! »
Pape cultive sa légende. Il est Africain. Il est insouciant. Il est fêtard. Il croît dans sa bonne toile. Il crie dans les gris-gris. Il impressionne par ses facilités. Il bave les interdits. Il défie la loi. Il est contre la société. Preuve que sa rébellion marche : il est entouré d’une foule, admirateurs, courtisans, profiteurs. Traîner chez Pape, c’est signe qu’on est – de la mode. On est dans la place. On en naît. Pape fête son dernier plan. Dans un mois, il aura amassé de quoi flamber en voyage. Retourner dans sa millefa, au Galséné – branché, le verlan. Un serviteur a ramené du vin et de la bignouse. On va chouache. Le Camerounais se met à psalmodier ; une impro rap-ragga comme il en a le secret. En parallèle, Lamine a branché la sono. Il lance du reggae.
C’est cool, le reggae. On écoute du roots, respect. On hait contre le système. On ne sait pas trop contre quoi, mais on est tout contre. Les joints sont allumés en moins de deux. Les petites meufs ont plus envie de fumer que de manger. Elles sont venues pour s’enfumer. Elles délirent dans l’antre du diable. Elles comptent profiter. La nuit ne fait que commencer. Après, on bougera dans une boîte afro. On dansera la soirée. On boira. On fumera. On participera à quelque chose. Pape est reparti dans la cuisine. Il lance son thé sénégalais, trois tasses si serrées qu’elles vous réveillent un macchabée. Il a l’intention de délirer, de piaffe du sky et de pécho une petite chaudasse dans le dos de Karima. Karima ne capte rien. Karima dort. Pape la jettera pour repartir de l’arrière. Il est un dealer naturel. La mort lui appartient.

mardi 13 avril 2010

French carcan

Claude Delacampagne roucoule comme un paon. S’il peut, il fait la roue. À chaque fin de matinée, il est bourré. Il boit dès le petit matin, au réveil ; il est chef de rédaction. Du moins en retraite. Il a claironné comme un mort de faim qu’il s’opposerait contre vents et marées au candidat ultralibéral Alain Méribel. Maintenant que ce dernier est élu Président de la République française, il s’est bien gardé de le défier. Quelques piccadilles, il a revendu le journal mythique qu’il avait formé avec trois associés. Une légende : Delacampagne. C’est le statut qu’il s’accorde. Il pèse plus lourd que son journal. Le cigare aux lèvres, le cheveu hirsute quoique rare, chauve comme un moine, il pétille d’intelligence.
Son journal, c’est un étendard, un drapeau qui claque dans la brise de la presse : L’Observatoire. Laboratoire de l’observation journalistique. Personne n’a songé en trente piges d’existence à lui contester sa qualité d’hebdo. De grandes plumes s’y croissent. Delacampagne bien entendu, plus que les autres confrères journalistes. Delacampagne est entiché : les journalistes représentent l’avenir de l’intellectuel. Les journalistes : entendre le panier parisien, ceux qui ont percé et dont le talent de plume s’exerce dans les grands titres – pas les plumitifs qui s’échinent à pisser des lignes pour compter les chats écrasés des quartiers.
Courageux mais pas téméraire, Delacampagne a quitté son hebdo. Il est maintenant électron libre. La retraite n’existe pas pour un cerveau. Il vend du livre, un à deux l’an. Il anime un site Internet, des milliers de visites la semaine. Il est détesté des ultralibéraux, il se situe autour d’une position de centriste. Les grands esprits oscillent entre la politologie, l’événementiel, le politique, la réflexion, l’action… Lui butine entre les conférences, les analyses, les essais. Il contemple son parcours, entre académisme et journalisme. Il passe dans les émissions de télé.
On le demande ; son avis compte. Il est consulté. Il est consultant. Il est poil à gratter. Il finira en trublion consensuel. Il commence par dénoncer ; il finit par valider. C’est sa méthode. Il se définit comme conservateur progressiste. Les imbéciles répliquent qu’il serait surtout un vendu du libéralisme, qui l’utilise comme adversaire de service. Pas d’accord : Delacampagne est trop brillant pour être manipulé. C’est son avis sur la question.
Cette semaine, il est émoustillé. Il est un homme du livre. Il est un homme du libre. L’Observatoire lui a passé commande. Il cachetonne à la pige de luxe. Un numéro sur Internet. Les dérives d’Internet. Les rives de Gutenberg. Delacampagne entend dresser la critique d’Internet d’un point de vue Gutenberg – sans pour autant verser dans les poncifs – Internet et la pornographie, Internet et le complotisme, Internet et l’antisémitisme, Internet et l’extrême-droite, Internet et la calomnie… Etcetera. Delacampagne est un prof qui adore les problématiques. Sa problématique est d’un modéré. Centriste. Libéral. Consensualiste.
Delacampagne bat la campagne. Il a acheté un mas provençal, qu’il a retapé. C’est sa fierté. Sa réussite. D’après lui, Internet est au service de Gutenberg. C’est sa ligne – sa conduite. C’est sa vision : le Progrès conserve. Il n’a rien contre Internet. Internet est au service des journalistes. Les complotistes, pas son rayon. Il hausse les épaules. Pour lui, franchement, ce sont des pauvres types qui délirent sans la réalité. Lui, il est l’analyse, l’engagement, la réflexion, l’inflexion, la flexion. Delacampagne est gymnaste. Un gymnaste qui picole. Delacampagne est un original. C’est son image dans le milieu. On le dit hors normes. Il sourit.
Il a le chic pour se démarquer de son monde sans choquer. C’est son talent. Il fait dans l’accord. De temps en temps, il sort une pique, puis se rattrape. Pas question de quitter la route. Un dinosaure suit sa ligne. Conduite. Pour Internet, il a trouvé la conciliation. Il parade. Ce sera Internet au service de la presse. Ils ont tous peur d’Internet, lui a plutôt peur de peu. Internet est ami. Il a bouclé son numéro. Il a fini son édito. Il reçoit par fax les différentes commandes. Certain, ce numéro va s’arracher. Une fois de plus on dira que Delacamagne est bankable. Delacampagne est une affaire. Delacampagne est le cerveau. Le cerf vaut – son pesant d’eau. L’Observatoire vaut une messe.
Delacampagne est un libre penseur. Un libre peseur. Il se sert une lichette. Une anisette. Un pastaga. Delacampagne a le sentiment du devoir. Demain, il pend le TGV. Il file pour l’Est. Eonville. Une vile de province. Il adore le terroir (pas plus de deux jours). On lui commande une conf’. Changements stratégiques et mutations industrielles. Il baragouine, on l’admire, de quoi se plaint-on ? Il a peur de clamse. Quand il a les pétoches, il bouteille. Il vermeil. Ce soir, il devait sortir, voir une pièce, du théâtre, finalement, on a décommandé. Un animateur lui demande de commenter l’actu sur son plateau. Du prime time. On le bichonne. Bientôt le vieux sage.
Il prend des trémolos dans la voix pour montrer la voie. Il essaye de peu se montrer. Pas trop, pas top. Il se méfie de l’exposition. Il ne pense jamais au lendemain. La postérité, il rigole. Le caniveau vaut les veaux. À vau-l’eau. Le succès, c’est maintenant. Il est du présent. Il ressert un dernier godet. L’insouciance. Les grands esprits boivent beaucoup. Il boit pas mal. Il pèse son mal. Il tise son râle. Il tisse sa toile. L’araignée bourrée a son coup d’avance, dans le nez. Tout lui est permis. Conduire. Jamais ivre. Imbibé. S’il s’effondre, ce sera la révérence. La référence. Délivrance. Il croule sous la popularité. Il coule sous la spontanéité. Il sue. Il a froid. Il est cœur. Il est choix.

vendredi 19 mars 2010

Zanzibar

On tire la moue sur le plateau de Claude Delacampagne, le présentateur à la mode oligarchique. Delacampagne n’est pas animateur. Il se présente comme journaliste. Il est le directeur de publication du principal hebdomadaire ultra-libéral de France. Il s’occupe d’émissions aux formats aléatoires. Manque d’audience, absence de continuité – il s’en fiche. Au départ, il faisait dans la critique littéraire. Maintenant, il est branché politique. Tant que c’est de la critique, avec le monde qu’il connaît, il est à la mode. Il est bankable. Lui ne rapporte pas de fric. Mieux : il rapporte la voix du maître. La voix des industriels. La voix des financiers. L’avoine des patrons. Le domino des dominants.
Il sort du Tout-Paris. Il est riche, célèbre, vieux, beau. Son succès, auprès du public, des femmes, des milliardaires, c’est le grandiose propagandiste, le mirifique romancier, l’énorme télégénique. Pour paraître ouvert, il a invité Alain Méribel. Un écrivain qui sent le souffre. On l’accuse d’antisémitisme, il a fait de la provoc sur les juifs. On l’accuse de racisme parce qu’il a défendu les terroristes du 911. Selon lui, le 911 est un châtiment. La vérité officielle est juste à condition de défendre les auteurs des attentats. Méribel est l’écrivain qui sent le souffre à l’intérieur du système. C’est un anarchiste qui déclare son individualisme. Tant que le système se portait, il avait ostracisé l’énergumène. Un pisse ligne qui pose au génie incompris. Un bourgeois qui peint et qui dépeint. Un fils à papa du jazz.
Méribel est l’icône des bobos qui la jouent réfractaires. Maintenant que c’est la Crise, que le Système s’effondre, que le Golgoth s’écroule, les porte-parole courent chercher les contestataires qui croient encore au Moule. Méribel est de ceux-là. Méribel provoque, Méribel convoque, sur la ligne des subversifs. Beaucoup, pas trop : ce bourgeois déteste les bourgeois. Renie qui tu es. Voleur, tu reproduis entières les antivaleurs. Être in tant qu’out. Aimer l’Afrique anti-néocolonialiste. Militer pour la victoire de l’anarchisme. L’utopie n’est pas prête de se réaliser. Alain mélange les valeurs, anarchiste, catholique, orthodoxe, cosmopolite, entier. Il sait qu’il ne veut pas. C’est un contestataire de l’insatisfait. Un maso du grand cru.
Le prétexte à son retour en grâce est son nouveau livre, qu’il a sorti sur Internet. Il se la pète invention révolutionnaire. Sortir du roman papier et le vendre sur Internet. Méribel a niqué les éditeurs et les libraires de la place. Tout baigne. Qui sont ses ennemis intimes ? Le milieu littéraire, le Paris des Lettres, les branchés, les pétasses, les nymphes, les nullités, les escrocs, les parasites, les fours, les vernissages, les réceptions. L’écrivain maudit est tapi au chaud du système honni. Preuve de son courage journalistique, Delacampagne est contraint de réaliser l’interview seul avec son invité. Personne n’a accepté de débattre avec l’inclassable incassable. Un incunable qui de toutes ses forces maudit les maudits audits. Bien dit : Méribel le maudit des mots dits. Dans l’antre, il entre en diablotin.
« Maintenant, Alain, si vous le voulez bien, nous allons passer au grand débat avec nos autres participants… »
Méribel est quand même convié au grand débat. La crème sioniste, l’élite branchée et le gratin mondain sont là. On a un avocat sioniste, un chroniqueur de théâtre imbuvable et snob, un rocker qui a pondu un thriller, un avocat sulfureux invité pour l’audience. Méribel est dans le dispositif. Il est le mal-aimé. Le grand rejeté. On l’applaudit ; on l’acclame. Trente ans qu’il attend cette réception. On l’a insulté, on lui a craché à la figure, on lui a brisé l’arcade, on lui a balancé des coupes de champagne. Aujourd’hui, on le comprend ? On l’apprend ? C’est le retour d’Alain Méribel. Il sent l’extatique. Depuis ce temps, il n’a pas vendu un livre – si peu. Pendant ce temps, il a été censuré. De ce temps, on l’a insulté, un paria. Les choses ont changé. Alain n’écoute plus les commentaires du ramassis – ce cloaque. Le chroniqueur lâche quelques vérités racistes. Le sioniste joue sa partition colonialiste. Le rocker lance des homélies bac à sable. Le scandaleux entaille sa plaidoirie. Delacampagne élancera des compliments. Il encense avant de pourlécher.
Alain Méribel est l’incompris du milieu, mais entre eux, il n’y a pas que des différences. Ils tombent d’accord sur l’essentiel. Ils s’accordent sur le 911. Ils n’aiment pas les complotistes. C’est leur rengaine. Leur dégaine. La condamnation Internet. C’est l’incompréhension du changement. Alain Méribel a payé de sa vie pour être au-dessus. Après un tel effort, il est capital de rester dans l’effet. Méribel s’est-il effondré ? Méribel a-t-il failli ? N’a-t-il pu s’empêcher de récolter les miettes du festin ? La cinquantaine, l’anti-édition, il avait réussi son coup. Il avait franchi le Rubicond. Il s’est vu beau, riche, célèbre. Béni. À ce moment, il a franchi la ligne jeune. Quand on hait le système, on n’est pas pour la VO du 911. Alain aime le système. C’est un maso pro-VO. 100 %, c’est son dada. Il est anticolonialiste, anti-impérialiste, antiesclavagiste, pour l’Occident. Impossible d’être pour l’Afrique en dehors des stéréotypes anticolonialiste.
Méribel a trop donné pour refuser son cadeau de fin. Dans le rejet, on reconnaît. Il a toujours rêvé d’être le rebelle des médias. Il prépare sa sortie contre l’Occident colonialiste – affaire pliée. Il mijote. Dans ce monde de caïmans vénéneux et vénérés, il est l’ado attardé, l’éternel petit jeunot. Il est le poil à gratter. Il dérange. Il démange. Peu importe la contestation, peu importe le show-business, peu importe le statut, pourvu qu’il ait l’aura. Alain Méribel est le gérant de son image. Alain est le garant de son ménage. Il n’a pas encore pris la parole. Depuis un quart d’heure les autres pérorent. Il est temps briser, il est temps d’incarner le génie, le dieu de l’art, le roi de l’intemporel.
« Une émission de télé-réalité se déroule en direct de l’Afrique du sud. L’émission fait jaser, puisque les participants sont accusés de néo-colonialisme par les ONG… »
Delacampagne se félicite de sa présentation. Méribel embraye.
« Quand on jazze, les salopes et les salauds jasent…
- Comme c’est tourné ! »
Delacampagne plane.
« Moi, cette émission, je ne la trouve pas scandaleuse… »
Le théâtreux théâtral tire la tronche. Il hait les Négros, c’est son haillon. Trop tard pour le croûton, le public applaudit à tout rompre. Alain savoure, Alain triomphe. Il est le Raphaël de son tempo. Il sent sa phase. Détesté compris, c’est mieux qu’aimé incompris.

vendredi 19 février 2010

Laisse saure

« J’accueille… Alain Méribel ! »
Le présentateur éructe. Claude Delacampagne anime le talk-show le plus médiatique de France. On se presse pour faire l’émission, avec ou sans promo. Alain Méribel arrive sous les vivas du public. Quelques invités sont assis sur des tabourets autour d’un bar en cercle, dans un décor d’Empire romain kitsch, entre néons décadents et colonnes en cartons-pâtes.
Un vaillant comédien se prétend l’ami indéfectible du Sénégal. Sur les plateaux il est Sénégalais de cœur ! Sans identité, il a la carte du monde. Le mondialiste choc est tiers-mondiste chic. Lui, c’est les paillettes. Au Sénégal, personne n’agite devant l’agité. Qu’importe l’agitateur, l’agitation l’emporte. L’important est de coller l’étiquette : africanophile. Afrocinéma. Le discours doré, la voix éraillée, l’œil pétillant : l’acteur chiale ses anecdotes sur le vaillant peuple du Sénégal. Tel est Étienne Chouard : fausses oppositions, différences factices. Inviter sur un plateau un Sénégalais blanc sioniste ashkénaze, fallait y penser !
Claude Delacampagne présente l’échalas comme philosophe poète. De haut vol ? Sa spécialité, les étincelles. Le communautarisme communicatif, son dada. Il distille le venin de son monarchisme néo-maurassien sous des fadaises de tolérance. C’est un pervers qui vient de la publicité et qui promeut le libertarisme branché pour mieux colporter son message de changement aristocratique et mondain. Il est méchant plus que bête. Il a invité Alain Méribel. Un sacré coco. Un faux communiste. Info com’ : l’alternationaliste trouve branché le postmarxisme. Le boxeur snob et select a perdu la tête en ralliant la case nazie.
Alain Méribel est ravi. Qu’il dérange, ça l’arrange. Avant, il posait en séducteur. La quarantaine, l’emploi de dragueur sonne minable. Alain a embrassé la carrière d’écrivain. Embarrassant : Alain joue les Céline. Emballant : le séducteur se réclamait de Casanova. L’écrivain cachetonne les sulfureux mythiques. La marginalité le fascine. Il est subversif plus qu’écrivain. Il est intelligent plus qu’intellectuel. Il a le cou gracile, le poing facile. Il a giflé un lettreux de la came. Une tête à claques qui l’utilisait. Méribel n’aime pas les miteux. Il a insulté la chroniqueuse de la place. Méribel n’aime pas les mal baisées. On le craint. On a peur. Le fer est fier. Le manche effraie les effets. Le faux écrivain, fou dragouilleur. Le rebelle de cénacles parisiens. Le résistant bobo. Il n’est pas colère contre le milieu. Il est en rébellion parce que le show-business l’a décentré. Avant, il faisait un peu de mode, beaucoup d’esbroufe. Tant qu’on bouffe. Il kiffe la télé – quand il passe. Ce soir, il comble. Il est comblé. Admis aux émissions, il est grand.
Sa référence, c’est la caméra. Sa préférence, c’est l’audience. Le magnum télévisuel. Le médium cathartique. Méribel a la rage d’être tricard. Alain est le snobinard qui dénonce. Engagement revendiqué : Méribel est en faveur de l’élite populiste. C’est un contestataire constatataire. Pour compenser, il dépense. Il mouline. Il remue son ring. Dring : il n’a peur de personne. Plus on le conteste, plus il teste. Il est baraqué. Il casse la baraque. Il case la barrique. Face aux lopettes télévisuelles, Barakuda a les moyens de malmener. Contre la raison, il sort les raisons de saison. Contre la démocratie, il expose Staline. C’est tendance, l’immode désuète. Il est majeur d’être mineur !
« Alain Méribel, vous connaissez les autres invités ? »
Le catcheur s’est assis avec robustesse. Vérité de la virilité. Vêtu en sapeur réac, costard anthracite et chemise marine, il minaude. Il signe. Non, il ne connaît personne. Il n’appartient pas au star business. C’est vrai ? C’est faux. Il n’a jamais entendu parler de Chouard du Sénégal ? Il n’a jamais vu un spectacle du guignol d’à côté – le comique le plus populaire de France ? Éric Maupin présente la même carrure et le même ego que Méribel. Il est sympa, il a un côté beauf désarmant. Il a des épaules de bœuf. Il est tellement cool qu’il vote pour la droite financière, tendance ultralibéralisme décomplexé. Il a assuré, il réclame sa part. marché logique. Il arbore un sourire taquin, il tourne des adaptations dans les théâtres. C’est la retraite parvenue de l’humour vaudeville, le millionnaire qui beurre Molière et Labiche.
« Alain Méribel, vous avez écrit un essai qui critique le consumérisme et qui s’intitule Désert du désir !
- C’est cela, oui…
- Vous expliquez en gros que le désir mène à la pornographie et que le désir ne vaut que s’il est incomplet et tu… »
Méribel prend un air inspiré. Maupin le coupe avec enthousiasme.
« C’est le problème du slow. Dans un pays qui a supprimé les rencontres, la faillite de la danse d’amour est la faillite de la rencontre ! Comment tu fais pour rencontrer quelqu’un quand y’a plus de slows ? »
Méribel écume. Depuis son aura de rat rongé, Maupin cumule les sottises. Méribel recadre le débat. Il n’a pas de temps à perdre. Il ne passe pas à la télévision, lui.
« Le désir est tué par la pornographie qui se présente comme le désir intégral et triomphant. Le triomphe du désir signe la mort du désir !
- Alors Alain, vous avez une théorie très personnelle qui s’appuie sur une expérience approfondie du sujet. Vous revendiquez pas moins de sept cents conquêtes…
- Je ne suis pas dans le prétentieux mondain. Ce ne sont pas des conquêtes de séduction. C’est de la drague. Je suis dragueur de rue. J’étais, puisque j’ai raccroché.
- Avoue le truc : tu les as baisées, les salopes ! »
Le public ovationne aux éclats. Chaque intervention de Maupin est hilarante puisque Maupin est le comique en vague. Méribel se renfrogne. Il n’est pas contre la vulgarité, il est contre la diversion. Chouard concurrence ses plates-bandes. Méribel trépigne. Il ne va pas se laisser démonter par un toquard de la vanne. Attends, l’extrême communiste monte au créneau. Il fait front. Il prend le business dans la gueule. Chouard l’ouvre ?
« Je me demande si ça ne commence pas à déraper…
- Alain fait de la sociologie de terrain !
- Je ne suis pas un petit branleur mondain qui perd son temps dans l’éloge du Tiers-monde. Les opprimés comprendront le message !
- Ca veut dire quoi, ça ?
- Ca veut dire que j’aime pas la démagogie… »
Jusqu’à cette prise de bec, Delacampage avait laissé dire. Il aime la virulence. C’est bon pour l’audience. C’est bon pour le moral. Il cultive les invités de la discorde. Cette fois, il est dépassé. Chouard est vraiment remonté. Méribel joue vraiment pour le KO.
« Je suis pas la baltringue qui sort de l’hôtel particulier, tu vois… Je vis en Afrique, on me respecte, c’est pas un type à moitié parano qui va me dicter ce que je pense de la situation…
- Le ringard n’est pas monté sur Paris pour entendre des discours légers. Le secoué, il réfléchit dans le réel. Il vient du peuple. Il pense dans l’analyse de la société ! »
Silence sur le plateau. Maupin ne plaisante plus. La tension monte. Le public se tait.
« Les rencontres sont tellement rares que les mecs s’arrangent entre eux faute de potentialités féminines ! Pourtant, les dames sont de plus en plus belles avec le développement du sport et les progrès de la diététique. On ne se rend pas bien compte de l’évolution de la société, mais la pornographie signe la fin du dialogue !
- Encore de l’homophobie…
- Je peux parler ?
- Pas pour déverser un discours de préjugés…
- Quels préjugés ? Je peux savoir ?
- Au Sénégal, tu sors des énormités pareilles, les gens te rient au nez ou te cassent la gueule, c’est selon…
- Il ferait beau voir que l’on me menace. Je suis un Gaulois qui n’a pas peur des chocs !
- Pas besoin d’aller au Sénégal... Je peux te dire que si tu me chauffes, je vais t’en retourner une en direct, je préfère m’arrêter là… »
Chouard n’a pas le temps de finir. Il a provoqué. Méribel n’attendait que ça. Maupin sentait monter l’orage. Il s’intercale. Delacampagne calme le jeu. Méribel furieux a l’intention de passer à l’action. Il est frustré de l’uppercut. Il percute. Chouard l’a énervé. Chouard est en larve. Il n’a pas l’habitude de la baston. Il a braillé pour invectiver. D’ordinaire, quand il s’échauffe, on le calme ; on le craint. Méribel déteste les sionistes. Il hait le socialo. Ce sont ces gauchistes de droite qui l’ont éjecté. On n’aime pas les auteurs. Les vrais sont subversifs. Méribel est subversif. Méribel est écrivain. Il roule des mécaniques. Delacampage flippe. Si on lui coupait son différé ?
« Je vais te niquer ta race de bâtard, fils de pute !
- Devant la télé ?
- Au lieu de te cacher derrière tes potes, affronte-moi en bonhomme !
- Les gras, on calme le jeu. C’est de la télé. C’est un débat. Vous pétez les plombs, là… »
Maupin en a marre. Tant que c’est du virtuel, ça amuse. Quand ça devient réel, on ne rigole plus. Niveau caniveau, c’est fini, la déconne avec des cannés qui en viennent aux mains. La maquilleuse et la productrice ont accouru. On crie, on s’agite.
« C’est bientôt fini ? »
Delacampagne s’assied sur son présentoir. Il se recoiffe. Il bichonne sa coupe de vieux branché dans le rang. Les cheveux ras, les idées courtes. L’incident est out. Chouard frise la crise cordiale. Méribel a satisfait son effet. Il a montré. Qui est qui ? Il est vrai. Il est juste. Il est beau. Il a maté la tapette. Le public sait. Pas besoin d’insister. Il ne sera pas rejeté. Le monde s’est déballonné. Chouard rêve. Pour changer de ton, Delacampagne appelle les suivantes : une métisse qui tourne des films. Une strip-teaseuse des télés réalité qui s’est vendue au X grand public. Montrer son sexe est interdit ? Le cul vend. No problemo. Delacampage est heureux : les gonzesses frétillent, il n’a pas perdu son temps. Il a transformé son coup. Il fanfaronne. Il attire l’attirail. La rhétorique brille. La quincaillerie détonne. Les beautés respectent. On est drôle. On est tendance. C’est Chouard qui danse ?