jeudi 12 août 2010

Râpe française

« Pourquoi les femmes m’aiment autant ? »
Question des plus pertinentes. Son nom : Alain Méribel, il se fait appeler One Flow. D’origine sénégalaise, son expression, c’est le rap. Il tourne un featuring. Il joue l’invité. Ça tombe bien, il est le special guest d’un rappeur underground d’Eonville, la cité lorraine. Coin rap, tendance afro. One Flow chante l’Afrique. Il prise le Galséné. Il méprise la France. Il se veut tellement à la pointe de l’avant-garde qu’il refuse la télé. Bonne pioche, on ne l’y invite pas. Mépris mutuel. Lui a sorti un album. Il joue la star absolute.
Il est venu jouer l’air du bled. L’air du rap sénégalais. Les rappeurs africains sont ensorcelés par les States. Ça leur donne un point commun avec les Céfrans. Alain tient par-dessus tout à être présenté comme Sénégalais. Il a poussé à Evry, maintenant il évolue au Sénégal. Il a percé dans le rap à la mode chez les jeunes de Dakar. Il faut chanter avec des mimiques de star US, représenter l’Afrique d’apparat et arborer les paroles de la prétention. L’outrance, grandiloquence.
One Flow intervient sur le clip d’un poto du tiéquar, un certain Flag Or Net. Nom de naissance : Laurent Mauséus. Pur titi d’Eonville, le complice (parents maliens) après plusieurs saisons de zonzon pour trafic de beuh revient en force. Tel était le deal : il ne balançait pas, on banquait la prod à la sortie. Il flambe. Il clip. La classe. Pour l’occasion, il a sorti mannequins et cabriolets. En toute inconscience. En toute insouciance. One Flow est calmé. Des rappeurs de la Cour Paname sont venus admirer la débauche d’oseille. Pige de luxe. La réputation de One Flow, c’est le blow made in pays. Il vit sans le sou, mais dès qu’il sort, il flambe. Il traîne les soirs et il s’arrange pour susciter la jalousie. Boîtes, bagnoles, gos : les jaloux pavoisent sur sa tenue flambeur. Cette occasion, il est en démo pour vingt secondes. L’underground est le must.
Son eldorado, c’est une bande en vadrouille, des plans avec des beautés, des cabriolets en laisse et des bouteilles en pagne. Sa phrase qui clashe, c’est : « Pourquoi les femmes m’aiment autant ? ». Question qui claque. Il a construit son flow autour de cette charade trop de la balle. Pourquoi je suis si fringant ? Pourquoi je suis si mauvais perdant ? On pourrait enquiller les rimes à l’infini. One flow tient le casting de choc. Marque de respect. Il kiffe. On lui a réservé une superbe panthère comme partenaire de scène. Il fait dans la bête de, il soigne sa répute de, il glisse sous les images de, un cuir sur le torse, mocassins aux pieds.
Dans le script, il est le tombeur fou. Les meufs sont accrocs à sa puissance mâle. Il évolue en dragouilleur choc, sauf qu’il n’a pas de temps à perdre. Il s’est pointé avec son grand frère et il est attendu chez son oncle. Un immigré discret. Motus et bouche courue. Les allers-retours ne sont pas des parties de plaisir. One Flow s’est entraîné à étaler la dégaine la plus arrogante. Comme les big brothers d’Amérique. Ça sonne creux. Tics de toc. D’habitude, il est genre réservé. En tournage, il surjoue. Ça y est, il a fini son numéro. Il a chanté en play-back. Il a frimé à mort. Le tocard millionnaire smicarde à sa sortie ciné. Que du virtuel. Des images satinées, du mensonge calibré. Les rappeurs sont des mythos flambeurs. Flag lui tombe dans les bras.
« Trop fort, t’as trop assuré. C’est dans la boîte, on est parés ! »
Fidèle à son passé, Flag est fonceda complet. Il a abusé d’un gros spliff. Il se prend pour un toaster jamaïcain. One Flow a partagé le solo avec un chanteur sénégalais de dance hall, un certain One Blow. Au pays, ils font dans tous les styles. Du plus roots au plus US. Lui, One Flow, il se prétend de tous les langages. Il revendique son anti-impérialisme et sa négritude. Sans blague. Cent rires. Il oscille entre rap et Jah-maica. Marque de fabrique. La morale de ces types, c’est l’authenticité. One Flow revendique.
Authentique n’est pas simple. C’est bling bling : l’argent est la valeur number one. Sûr de soi est la règle d’or. Flag a un credo : rapper tel qu’il est. Naturel. Frimer et niquer. Arsenic. Art sonique. Apparence. On se maque du reste. Marque du best. Mark of the beast. On nargue en narguilé. On tire larigot. L’art y go. Yunno ? Les mauvaises langues décrivent les rappeurs en capitalistes frustrés. Eux se tirent du marasme de leur banlieue. La vie de star est idéale à condition qu’on ne soit pas trop – reconnu. On tolère les amis, on gère les connaissances. Critère underground.
En direct, One Flow passe en premier. Au mix, après Flag Or Net : le phare en premier, ses convives suivent. Ils racontent à leur sauce qu’ils sont les boss – les rois de l’impro. Ils fourbissent leurs anecdotes. Les rappeurs célèbres sont mille fois moins bons qu’eux. Un jour, sur scène, une de ces stars de l’imposture s’est fait démasquer devant le public. Flag prétend être le meilleur improvisateur de France. Avec One Flow, ça passe, car One Flow est Sénégalais. Entre alterartistes de banlieue, on se renvoie les compliments pour ramollir les tensions. Les egos sont de sortie. Les trips aussi. Ils appartiennent à des collectifs que seuls les initiés connaissent. Dans ce milieu, la reconnaissance passe par la discrétion. On est d’autant plus fort que l’élitisme implique la retenue.
On frime d’autant plus qu’on vit caché. Flag décline une séquence où il met en valeur la sape. C’est sa marotte : dans ce milieu pourri de codes, on ne se fringue pas par hasard. Les conventions sont plus qu’importantes. One Flow s’irrite des quolibets de l’oncle : sa dégaine imite les chanteurs américains – la défonce, le fric, les femmes… Pas de quoi être fier d’incarner le frustré. One Flow n’a rien répondu. Il glisse entre les gouttes. Il s’oppose à sa famille. Il se coupe du monde. Il vit en autiste : la seule valeur, c’est le monde du rap.
Tiens, Discount qui s’avance. Lui, c’est le prod. Comme il a lancé le seul rappeur d’Eonville qui ait percé, un métis sénégalais du surnom de Miki la Peste, il passe pour une légende urbaine. Avec un peu de flouze, il est celui qui a réussi. C’est l’exemple du quartier. Dans les discothèques, les jeunettes lui sautent dessus. Flag l’a embauché direct. En gage de qualité. Dégage le karité. Flag juge au feeling – charisme. C’est son critère – de choix.
« Excuse, man, faudrait reprendre la scène où t’arrives avec Barbie dans le club…Ta dégaine est calibrée, mais ton yes ! sonne trop mou… »
Pas d’embrouille, One Flow s’exécute. Discount connaît la chanson. One Flow a repris l’interjection de la clique des Jamaïcains. One Flow est envoûté par tout milieu de flambe. Dance hall : on y met en valeur l’argot des immigrés aux States, le sabir des Noirs de Jamaïque. Un mythe. Chez les banlieusards du blow, on ne dit pas boîte de nuit, mais – club. Ça sonne plus english. Barbie : la poupée zunienne qui sert de modèle à One Flow. Dans la vie, peu importe qu’ils ne se calculent pas. La top sort d’une agence, le top descend du Sud. One Flow pose en gangsta afro. Sa tirade ego trip : il l’a blindée de paroles salaces et emportées. Il rêve de faire des portées à la musique. Barbie aurait trop raison de tomber pour sa gueule : il est le best. Le prince des lascars, le roi des blédards. Il en impose. Il s’impose. Il dépose. Qui repose ? Tout à l’heure, il mangera son tiep en millefa, cousin parmi les autres. Sous les néons, il est exposé. Explosé. Il trône en devanture. Authentique. C’est son hic. Technologie. Sa voix jacte dans une baffle.
« Si je croise ta musique, je lui fais une portée ! »
Ça sonne impertinent. Il a bossé des tonnes pour trouver son style. Le goût des autres. Tout à l’heure, le test fini, la fine équipe se claquemurera en appart. La vie de banlieusard. F-5. Les lascars sont des pharaons de nuit. Papillons de vie. Si elle n’a pas filé vers son train-train, One Flow trinquera avec Barbie. Il déclame polygame. Au pays, il a l’épouse plus la fille, mais c’est meilleur de courir les rakias avec un titre marital en poche. One Flow traîne la timbale. La martingale. La gale. Plus que jamais authentique. Épique. Sardonique. Réplique.

2 commentaires:

  1. BELLE ARTICLE MAIS C'est quoi le fin mot de l'histoire je ne capte pas la chute en faite????

    tu est un fan ou un jaloux ?

    FLAG

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  2. Merci pour ta réponse, Flag, mais :
    1) Trop de fautes!;
    2) On peut n'être ni fan, ni jaloux!

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