vendredi 9 décembre 2011
Pour son camp
jeudi 3 novembre 2011
Le fou tue
Il regrette d'être sorti avec cette garce. Il est sorti avec pour épater la galerie. Il voulait impressionner ses amis. Elle est jolie, elle rit, elle est arriviste. Très suiviste et influençable. Elle est sans personnalité. Elle est influencée par sa réputation. Claude pète les plombs. Il l'aurait bien étranglée ces derniers temps. Il l'insultait. Souvent, sans raison, sans excuse. Il se défoule. De quoi? De qui? Plus de copine. Claude est seul avec lui-même. Dans le fond, il le connaît, son secret. Dès qu'il y pense, il accélère. Il marche à toute vitesse sur le boulevard. Près de chez lui, chez sa mère, la ligne de train passe au-dessus de sa tête en vrille. Tendance postmoderne glauque. Claude fonce rejoindre des amis pour une teuf. Du rêve.
Deux-trois bières? Il cultive sa déchéance. Le blafard lui va comme un gant. On le reprise en silence. C'est si dur une rupture qu'on oublierait qui en est le responsable. Elle est sortie avec lui parce qu'il est le fils de. Pas d'une célébrité. Le rejeton d'une universitaire - professeur de Lettres à la Faculté. Spécialiste du Seizième siècle. Une mécanique, capable de vous pondre n'importe quel plan en deux-trois parties. N'importe quel commentaire. Claude n'a pas été fils heureux. Fils unique. Des parents divorcés, un père absent, une mère dure. Une mégère. Claude a souffert, sa copine ne pouvait pas lui donner ce dont il a besoin. Il cherchait une femme intelligente, pas une beauté. A force de prévoir sa normalité bourgeoise, il la tenait pour une cloche qui répète, perroquet savant qui pète. Claude a pété les plombs.
Ce n'est pas de sa faute. Personne ne le comprend. Sa mère attend qu'il brille en intellectuel stylé, avec famille unie, femme qui réussit, progéniture qui grandit. Il n'est rien de tout ça. Il foire ses études. Il sombre dans des accès d'hystérie qui confinent au désespoir rageur. Pourquoi ce fils d'intellectuel bourgeois ne parvient-il pas à se réaliser? Dans l'entourage, on songe. Ses oncles et tantes haussent les épaules. Il réunit toutes les conditions pour réussir. Sa mère est trop dure? Il ne faut pas pousser. C'est chercher des excuses. C'est un enfant gâté, un fils unique. Un coup de pied au cul, la méthode forte conviendrait. Il réagira, il se sortira de sa torpeur narcissique.
Las, nos parents n'ont pas cerné l'étrange mal qui tenaillait leur neveu chéri. Le fils à maman que papa voit rarement. L'unique, qui fait tout pour se faire remarquer, prêt à tuer son père, sa mère - pour déranger. Trop gâté, trop pourri? Tu parles. Une vie de fou tue? La mère se doute de quelque chose. Marmot, il a développé un retard du langage, des psychiatres ont diagnostiqué le penchant. Foutus charlatans. Des experts connaissent tout à rien. Tout ou rien. La mère a juré que son chéri sacré ne finirait pas tantouze, qu'il lui donnerait de beaux enfants.
Quand il a présenté sa copine, quel soulagement. Cette dulcinée blonde et bénie allait fournir un cadre - une progéniture. Une hérédité changée. Joie et grâce : les experts s'étaient trompés. La mère vitupéra contre les psychiatres, ces malades mentaux qui soignent les autres et les rendent plus fous. Et maintenant, tout fout le camp. Claude prend les virages à la limite du tonneau. Les amis rient; sa mère est affectée. Claude a les boules, ça oui. La rupture a bon dos. Claude a les boules parce qu'il sait. Il ne peut pas ignorer son mal. Certains traînent le cancer à quinze ans. Lui a pire que le rongeur. Il gamberge ses vingt berges. Vingt ans, le bel âge. Vingt ans, l'insouciance.
Pour Claude, c'est le stress, l'angoisse, la marginalité. Pas social. Claude vient de la bourgeoise. Il a des parents qui l'entretiennent. Claude flirterait avec l'échec scolaire s'il n'était suivi. Le père fronce des sourcils avec ce fils qui redouble depuis le lycée. Que s'est-il passé? Claude a toujours été perturbé. Claude n'a jamais été bon élève. Au collège, il en tirait une certaine fierté, l'insouciance du cancre. Au lycée, on s'étonnait, comme si les mauvais résultats constituaient l'excuse de poids contre la réussite des parents. Il ne serait pas comme eux? Un nul sans fortune ne peut devenir bourgeois.
Claude n'aura pas de souci : on l'aiderait. Sa famille est son soutien-gorge. L'échec contient une explication que l'on ne veut pas voir. La scolarité, la copine, Claude sait. Il ne réussira jamais à l'école. Il ne pourra jamais rester avec une régulière. On lui reproche d'être flemmard? Il est perturbé. On lui reproche d'être caractériel? Il est écorché. Autant lâcher l'explication : Claude n'est pas un vaniteux narcissique et nombriliste comme il en pullule fin vingtième parmi les classes moyennes aisées. Claude est vaniteux, narcissique et nombriliste, mais manque le détail, la précision, le codicille : Claude n'est pas hétéro.
Homo avec une copine qui vient de le plaquer? L'infâme galopin refuse d'assumer sa sexualité minoritaire à cette époque de liberté libérale? Non, perdu, Claude n'est pas un postmoderne homo aspirant à contracter une union gay, le PACS et le toutim. Claude surnage entre le pédé qui ne s'assume pas, le refoulé comme il l'a baptisé avec condescendance, et le bi qui fait semblant d'être attiré par les filles. On reconnaît à Claude un certain charme, un pouvoir de séduction. Comme toujours avec Claude, tout se finit en eau de boudin. Claude a des sautes d'humeur contre les filles. Plusieurs fois, l'année précédente, il a pété les plombs contre sa mère, lui expédiant des cendriers à la gueule ou lui renversant la table en verre du salon sur les genoux. Les amis insinuent avec des sous-entendus d'érudits que Claude est barjot. Claude n'arrive jamais à garder ses fiancées. Quand il est bourré, l'explication ne tarde guère : selon ses confessions, le problème est sexuel.
Il s'épanche sur la taille de son sexe, la clause de ses malheurs. Claude refuse de calculer : son problème, c'est sa bisexualité orientation homo. Malgré ses efforts, Claude joue la comédie sur le court terme, puis se condamne à revenir à la case départ. Dotées du premier sens, les filles ne le rangent pas au rayon des tapettes et efféminés, mais se plaignent qu'il pète les plombs. Elles remettent moins en question ses sautes d'humeur que la bizarrerie à casser ce qui va. Si les concubines détenaient la clé de la bisexualité, elles gagneraient du temps dans leur interprétation.
Qui se doute dans les cercles de la jeunesse superficielle que Claude le paumé est pédé? Ce sont des problèmes graves et on n'aborde pas les problèmes. Mauvais ton : cela fait anxieux, mauvais genre. Pour être consensuel, il faut passer cool. Smoot. Le décérébré qui se moque de tout et qui fait du problème sa dérision. Claude a un plan. Se venger? Se réconcilier avec l'existence après le départ tumultueux de sa copine? Non, Claude a un pote qu'il jalouse. Il en a fait sa fixette, parce qu'il aurait aimé être comme lui. Ne pas se prendre la tête. Première qualité : le pote est intelligent et réussit sans travailler à l'école. C'est l'exigence de Claude. Être facile et futile. Si seulement il pouvait se trouver débarrassé de sa blessure...
Rêve impossible. C'est pourquoi il doit se venger. Il a trouvé son bouc émissaire. Dans la famille, on fonctionne de la sorte. Le mère avait trouvé dans le père falot le bouc émissaire. Elle a détruit le père. Claude a toujours eu des problèmes avec les femmes. Avec sa mère pour commencer. Avec ses copines pour continuer. Il n'est pas question qu'il supporte cette injustice flagrante sans se venger. L'ami est un insouciant qui suit des cours de droit en licence. Claude avait rêvé un temps de suivre une carrière d'avocat parce qu'il est attiré par toutes les réputations. Il s'est trouvé séduit par l'histoire. Cette matière apportait une grande culture générale, de quoi contrecarrer la mère et impressionner l'auditoire.
Et l'histoire, c'est les histoires. et niveau histoires, Claude s'y entend. Sur ce point, il pourrait se déclarer doué et gâté par la nature. Malheureusement, il fallait travailler; Claude a abandonné et s'est rabattu vers une matière plus facile et moins ardue : culture et com. Il finira en instituteur, en ponte d'une matière creuse. Sa mère connaît du monde à la Faculté et le pistonnera. Elle le tance à cause de ses fredaines, mais elle se tuerait plutôt que de le laisser tomber. En attendant de finir selon ses souhaits ou de virer dans le syndrome du raté, Claude doit se venger.
Car il n'est pas un paresseux, il a son secret. L'ami s'appelle Alain Méribel. Un insouciant. Un type trop bien pour ne pas prendre. Il vient comme Claude de la bourgeoisie intellectuelle. Le père est un psychiatre réputé à Eonville. La mère est assistante sociale. Plus qu'un alter écho, un double. Claude doit tuer son double. Ca ne résoudra pas son problème, mais ça allégera son fardeau. Ca soulage, des vacheries. Sur la route, il y a une cabine téléphonique. Un appel anonyme, c'est indétectable. Claude rêve du crime parfait, la vengeance tellement idyllique qu'elle effacerait jusqu'au crime.
Claude improvise. Il sort sa carte de téléphone, anonyme, compose le numéro, anonyme, tombe sur le mère d'Alain. Voix fluette et naïve. Claude prend sa voix la plus grave et contrefaite.
"Allô...
- Qui est à l'appareil?
- C'est le copain de Claude...
- Je vous entends mal. Qui êtes-vous?
- Votre fils est homosexuel..."
Les potaches qui s'adonnent à ce genre de plaisanteries sont explosés de rire. Pas Claude. C'est trop sérieux, la connerie. En ce moment, il détruit. Il s'acharne. Il commet l'acte gratuit. Faut qu'Alain prenne. Déjà qu'il est pas homo, on ne peut pas tout avoir dans la vie. La vie a trop donné à Alain. En tout cas pour Claude. Ne pas être pédé, c'est trop. La vie de Claude est gâchée. Il raccroche. Si le coup porte ses fruits, il sera quitte pour une bonne petite jouissance. Il se dirige à grands pas vers la fête. A deux pas de sa mère, une résidence cossue comme il les aime. C'est bon, de fêter chez les bourges. Claude joue les rebelles à condition que les rebelles soient bourges.
On s'encanaillera pourvu que la canaille soit bobo. Pauvre Claude : son coup de pute lui fait penser à sa mère. Il la déteste. Elle est une petite universitaire bornée, qui ne comprend rien à la vie et qui n'a cessé de le rabaisser, de le rabrouer, de lui mettre des bâtons dans les roues. Cerise sur le gâteau, elle lui a donné ce père falot, dont elle a divorcé et qui est maintenant pour Claude le summum du repoussoir masculin. Damnation, il est comme lui.
Il est lâche, il est veule, il est faux, il est fourbe, il hait - brut. Ce soir, Claude commence par une soirée chez un ami. Ca tombe bien, il a des vues sur une invitée, une Beurette laide comme un paon, mais qui lui promet la vie rêche. Claude se demande s'il ne vaut pas mieux vivre le martyr comme son père avec sa mère pour enfin rester stable avec une gonzesse. Par pitié, tout afin de cacher sa bisexualité. Si sa mère l'apprenait, elle en serait malade. Et si ses potes à vingt ballais le soupçonnaient, Claude deviendrait discrédité. Depuis le temps qu'il se moque des refoulés et qu'il fait rire son auditoire avec ses blagues de potache faussement homophobes et vraiment bobos!
Maintenant, il prépare mentalement sa soirée. Déjà, il sonne à la porte. Qui soupçonnerait que Claude vient de balancer une mauvaise histoire par téléphone? Pour un peu, Alain serait là. Non, il le retrouvera après, pour la suite de la soirée. Une soirée étudiante à la Faculté de Lettres. Une soirée dédiée au théâtre. Claude adore le théâtre. Il se prend pour un acteur et il est encouragé dans son penchant cultureux par sa mère, qui espère ainsi le remettre sur de bons rails et lui redonner un peu de consistance. Elle qui ne cesse de se plaindre que son fiston est dénué de moelle tient une bonne occasion de montrer à ses amis influents qu'elle encourage son fils sur la voie de l'indépendance et de l'âge adulte. Elle en a assez des fredaines, des caprices, des violences, des crises d'hystérie.
En attendant, Claude se chauffe. Il se prépare à picoler un verre de vodka puis se bourrer la gueule à la soirée. C'est un bon prétexte, on fait mine d'aimer le théâtre, de préférence le contemporain, avec ses scènes déstructurées et sa vulgarité second degré, et puis on boit quelques bières ou quelques verres de vin chaud. De préférence pas trop de mélanges. Claude est devenu expert de fête. Il ne fait rien, il entretient sa réputation de fils d'intello et il obtient son succès auprès d'une gente trop heureuse d'approcher le fils de, surtout s'il fait semblant ou s'il est en marge.
"Claude?"
Au bout du portable, Noël Chatel, un branché qui ne jure que par la Faculté de Lettres parce que ça fait ouvert, mais qui n'y est que pour le fun. Il étudie la réalisation et le script dans l'excellente Ecole de Cinéma d'Eonville, d'où il sortira primé pour un métier de conseiller en réalisation. Noël rêve son rôle : il n'est pas intello, il n'est pas naze. Il est artiste, c'est le rôle qu'il brûle d'endosser depuis ses quinze ans. Il serait très déçu s'il apprenait que Claude est un bic/boc qui s'adonne aux délations vengeresses et déséquilibrées. Lui qui adule son pote, qui l'a fait jouer dans l'une de ses mini-prods, un clip dans lequel Claude a fait un tabac amical.
On veut bien d'un acteur, on ne veut pas d'un voleur sans valeur. Claude se tient à carreaux devant la compagnie sociale. Noël est le confident de la Beurette. Il y a moyen. Elle est là. Noël est installé dans son rôle forcé, celui qu'il déteste, le confident avec lequel les filles discuter, mais pas au-delà. Noël est trop bien, trop travailleur pour incarner la marginalité. Claude n'est pas viril comme les tombeurs, mais il joue sur son côté marginal de la bobo attitude.
Et ça marche, dans ces milieux. Ca y est, il monte les escaliers. Il est excité comme une puce. Sa sortie du vendredi est cause sacrée. Le week-end n'est pas entamé. Il a déjà oublié son coup de pute. Il n'a pas joui. Il a zappé sa voile et sa vapeur. Il boit pour réfuter sa déviance. Il sort pour s'évader de son corps damné. Il hait dans l'alcool et dans la socialité. C'est un esprit mou dans un corps guindé. Il se méprise, il déteste sa mère. Il entretient avec son père les rapports de l'abandonné avec le dégradé. Le réprouvé. Le pauvre type. Quand on lui parle de son père, il explique que c'est un paumé. Ca fait son effet sur l'assistance. Sauf quand il précise que le père maudit et abruti occupe le poste de dirlo à la Sécurité sociale d'Eonville. Subitement, le couac s'annonce.
Claude n'en est pas à un mensonge près. Sa vie est construite sur le mensonge. Il n'a pas décidé. Il a passé son temps à jouer le rôle de l'autre. Il fait du théâtre quotidien. Il a son personnage social. Avec les étudiants de son milieu, ça passe, vu qu'ils ne prêtent pas attention à d'autres réalités que l'apparence. Claude est juste paumé plus que son père. Il est démasqué sur le terme terne. Son ex l'a pris pour un bidon. Mais ce n'est pas un bidon. C'est un refoulé qui vire au foulé. Il souffre. Sa mère ne veut pas comprendre. Son entourage ne soupçonne pas. Il n'est pas amoureux d'Alain. Il veut qu'on comprenne son drame. Ne pas pouvoir rester avec une fille parce qu'on est bi, c'est drôle? Les sautes d'humeur, c'est comique? L'exclusion intérieure est bien pire que la marginalisation sociale.
"Non!!!"
Noël est en bas de l'immeuble. Il loue un studio dans une résidence à deux pas de chez Claude. Il crie d'autant plus fort qu'il savait pertinemment qu'il allait tomber sur Claude. Peut-être même qu'il l'attendait.
"Trop fort!!!"
Il se complait dans un rôle d'amplificateur et d'exagérateur toujours enthousiaste et toujours débordant de vitalité. Dans la vie, il ne faut pas seulement être positif; il faut aussi être énergique, plus fort, plus haut, tonique. Noël y parvient sans effort pour le moment.
"Tu ne devineras jamais..."
Quelle surprise? Noël fait la bise à Claude. C'est très tendance en ce moment chez les jeunes apprentis bobos qui tiennent à passer pour rebelles et branchés. Si Noël apprenait qui est Claude, il l'éjecterait immédiatement, parce qu'il n'est pas homophobe, il déteste les hypocrites. Mais il ne défendrait pas pour autant Alain, parce qu'il se met toujours du côté du plus fort. Le plus fort en l'occurrence ce n'est pas le paumé Claude, c'est l'entourage social. Alain est loin, puis il n'avait qu'à pas être si facile. Quand on le voit, on sourit, avec une pointe de jalousie.
"Samia est en haut!!!"
Noël affecte d'être bourré, mais léger, tenir la distance. C'est très important : assurer en toute occasion, en donnant le sentiment qu'on sort de ses limites simplement mortelles. Claude sourit. Il va boire une bonne bière. Il espère que Sami sera sa prochaine. Il a changé son fusil d'épaule. Son ex était gentille, si fade qu'il avait fini par l'insulter. Samia n'est pas jolie comme l'ex. Mais c'est une connaissance de l'ex - et Claude jouit quand il peut faire mal. Il est certain de mal faire sur ce coup - d'autant plus qu'avec la farce téléphonique, il n'est pas du tout certain d'avoir fait mal. Samia a mauvais caractère, mais elle a du chien. Si Claude veut que ça marche avec une fille, il serait temps de changer la tactique, d'arrêter les filles consensuelles qui agréent à Maman. A force de vendanger, c'est la crise.
Le portable sonne. C'est Alain. Claude affiche un ton détaché. Pour la soirée, c'est dans deux heures. On y sera avant minuit. L'horaire affiche bien. Pas trop tard, pas trop tôt. On vit la bohème. On n'est pas des créatures, des branchés. Pour être branché, il suffit de se donner un genre, un style. En matière de style, Claude sait y faire. C'est son personnage. Bras dessus, bras dessous, il monte avec Noël. Ils ne prennent pas l'ascenseur, c'est pour les vieux. Au salon, sur un pouf cuir acheté au Maroc, Samia écoute un morceau de rock marocain. Très important la musique underground et métisse, les mixages entre cultures. On n'est pas raciste, on est in, on est on, on est si.
Qu'est-ce qu'un pervers? On est assujetti à la loi. Claude est au-desus des lois. Il est un personnage qui crée ses propres valeurs. Il aime Nietzsche, il ne lit jamais. Ce soir, il va boire. Chaque fois il vomit et tripe mal. Il arrive à cacher ses mauvais délires aux autres, mais il se fait chambrer. S'ils savaient pourquoi il part en vrille : il boit pour oublier, il se bourre un peu trop, il décolle pour se donner une consistance. Et alors que la griserie de l'ivresse lui procure la sensation d'ailleurs, il se prend en pleine face sa bisexualité. Il devient fou. Il regarde autour de lui. Il faut faire semblant. Personne ne comprendrait. Il va se griller. Il faut assurer.
"Salut..."
Samia est radieuse avec son nez de chameau et son menton pointu. Claude sent le coup. Il excelle pour déceler les faiblesses. Question de caractère. Il va vivre son gris amour. Il sent que ce sera intense. Peu importe que ce soit passionnel, conflictuel, fusionnel, masochiste... L'important est de ne plus vivre le ras-le-bol d'une mijaurée plate et conventionnelle, rien dans le cerveau. L'important, c'est de réussir à oublier. Un rhum, une téquila, une vanne, un oreiller. C'est si bon, la vie, quand on oublie.
dimanche 25 septembre 2011
Fête des enfants
Cela leur donne un brillant qu'elle n'a pas. elle n'en souffre pas; elle trouve le sujet superflu. Abdel est trop heureux. Abdel est quelqu'un de très sociable et altruiste. Deux qualités pour lesquelles Nathalie sort avec lui. Il est heureux d'être en compagnie de gens brillants et il se flatte de sa simplicité. Par rapport à ses parents et à ses frères, il a bien réussi. Il a mené ses études et maintenant il gère pépère. Le vrai jaloux serait sans doute l'ami d'enfance - Claude Delacampagne. Mêmes origines bourgeoises que Luc, mais il a tout misé sur la frime : son pouvoir social. Il n'a pas réussi médecine et il s'est rabattu sur la solution du moindre mal : dentaire.
C'est un travail assez intéressant, surtout très bien payé - la principale raison du prestige social dont bénéficient les dentistes. Lui non plus n'a pas de progression intellectuelle à proposer. Il se contente d'accumuler les remplacements lucratifs jusqu'à ce qu'il intègre une place dans un cabinet dentaire et qu'il accumule les milliers d'euros mensuels. Il décide frustré de trouver prétexte pour ne pas venir. Il n'a pas vraiment de but dans la vie, sauf de sortir avec les plus belles femmes possibles, histoire de justifier de son travail prestigieux. Le reste suivra. Mais il se fiche de tout. Les enfants ne sont pas son truc. C'est beaucoup de temps à consacrer, peu de retour sur investissement - par rapport à sa propre personne.
Par contre, la destinée de Luc l'émoustille. Ils se connaissent depuis la première année de l'école élémentaire. Il est jaloux parce qu'il est proche de lui. Il a tout fait comme lui, simplement en moins bien. Luc est son alter ego, en mieux. Il est moins intelligent, moins brillant, moins performant. Il est trop péteux. Il souffrirait presque de son infirmité de snob médical, s'il pouvait formuler son manque. Confronté au déni de sa condition, il n'a d'autre choix que de l'exprimer par la jalousie. Il détruit sa propre erreur. Il errera dans son coin, à vieillir en séducteur. Il se casera avec une collègue, aura des enfants dont il ne s'occupera guère, pourvu qu'ils réussissent - socialement.
Abdel se lève tout sourire, un toast à la coupe. Il ne boit pas de vin, mais pour s'intégrer socialement, il s'est saisi d'un verre de jus d'ananas. Personne ne s'occupe du régime musulman d'Abdel. Luc sait qu'il ne mange pas de porc et que les règles de l'hospitalité élémentaire lui dictent de respecter le régime musulman de son ami. Pas question de manquer de savoir-vivre. Dans les milieux qui réussissent, il ne s'agit pas de passer pour un réactionnaire. On est ouvert, on est au vent.
"Un toast à la réussite de mes amis Luc et Céline! A leurs thèses, longues carrières et longue vie!"
Abdel s'est spécialisé dans les voeux et les toasts. Le bon camarade est soldat à la solde. C'est pour cette raison que Nathalie s'est mariée avec lui. Il est populaire, il est consensuel, il est du côté des gagnants. Les amis rêvent ravis. Nous sommes en plein dans la pire crise traversée par l'homme. Pour se relever, il faut l'affronter; quitter le désir, la complétude, le cauchemar. Se coltiner le changement. Croître et croire. Des milliers de victimes se font massacrer. Libye, Soudan, Côte d'Ivoire... Ici, Eonville, on s'amuse. On se gargarise. On oublie le danger. On oublie le péril. On sera submergé? La guerre à force de mirages? Plus tard, que penseront les suivants? C'est pas grave. L'important : vivre la belle époque. La Belle Epoque était réduite à quelques privilégiés. La prospérité de notre époque s'est plus étendue. Notre déni de déclin s'ancre sur la peur d'affronter la réalité. Le réel : le changement ne sera pas favorable aux favorisés actuels. Notre désir : nous ne changerons pas - si peu.
mercredi 24 août 2011
Au fait de la glaire
Comment s'appelle-t-elle - déjà? Luc Méribel part dans sa grosse limousine. Enfin, ex-maire. Notre huile socialiste tendance ultralibérale vient d'être nommée ministre du Gouvernement sous le patronage bienveillant de son leader socialiste, le protestant rigoriste Claude Delacampagne. Lecteur, arrête-toi un instant dans le cours de la fiction. Nous vivons une drôle d'époque opaque. Fin du vingtième siècle chrétien, environ quinze ans avant la Grande Crise qui nous éteint. Le règne de l'argent facile, l'époque du monétarisme triomphant. Luc Méribel est l'incarnation hypocrite de ce mythe du mensonge, la domination et la débauche. Luc représente le leader socialo moderne, la réussite du socialisme ultralibéral, comme si on pouvait rapprocher le socialisme avec le libéralisme.
Comment s'appelle-t-elle - déjà? Méribel vient de prononcer son dernier discours de maire. Il cède son poste à son fidèle adjoint, son frère Alain. Tout va bien. Nos hype socialos tiennent le fief d'Eonville. Luc est le ministre de l'Economie. C'est un personnage considéré. Il est marié avec l'une des journalistes les plus médiatiques du milieu, très belle, très riche, très smart. Il est sioniste impénitent, comme sa femme. Il a fondé plusieurs clubs libéraux-socialistes, qui n'ont pas seulement une vocation franco-française, mais qui lorgnent sur l'Europe, les Etats-Unis. Luc appartient à de nombreux think tanks anglo-saxons.
Il a été universitaire remarqué, nommé dans les plus belles universités des Etats-Unis. Peu importe qu'il ait été patronné par des notables du milieu le plus ultraconservateur US. Luc n'a pas d'odeur. Il propose une race identitaire de son âge : se faire passer pour socialiste alors qu'il applique l'ultralibéralisme. Le laissez-fard absolu. On parle de lui comme le possible futur président de la République. L'espoir ultrasocialo. Il entretient un carnet d'adresses phénoménal. Il serait un beau parti pour les milieux des affaires, les cercles de grands patrons qui suivant le vent penchent généreusement vers la gauche libérale.
Le pire, Alain croit en lui. C'est mieux qu'en ses idées. Ses collègues et concurrents font comme lui. Il a contribué à remplacer le sentiment moral par l'intérêt. Son intérêt. Son utilité. Il réussit. Son frère est son second. Sa femme l'admire. Ils ne se sont jamais rien avoués, mais elle est là pour le prestige de la fonction présidentielle. Être mariée avec le futur président, c'est encore plus remarquable que de s'afficher en compagnie d'un ministre, même aussi puissant que Luc. Luc possède une image dans la population : sérieux, travailleur, compétent. C'est un nouveau dirigeant, de la race qui côtoie les milieux financiers de haut vol.
Comment s'appelle-t-elle - déjà? Il est dur, il cloisonne entre vie professionnelle et privée. Dans la vie professionnelle, il jouit d'une réputation flatteuse, travailleur acharné, polyvalent et brillant. On dit de lui : c'est un serviteur exemplaire, qu'il possède cette faculté rare de transférer la mentalité de la haute finance vers la politique. On oublie que Luc est un vassal des financiers; on se souvient qu'il brille. Pourquoi Luc est-il reparti aussi précipitamment de sa chaire, son pupitre, son micro, son discours-fleuve, ses adieux à la mairie?
Luc cultive son dilettantisme : musarder et batifoler en plein coeur de sa profession trépidante. Entre les discours d'adieu et le grand dîner à l'Hôtel de Ville, il s'est éclipsé. On ne lui en tiendra pas rigueur. Les militants et les citoyens qui entendront se répandre la rumeur expliqueront cette éclipse passagère par le repos le plus naturel. Quand on détient autant de responsabilités harassantes au service du bien commun, il est normal de se reposer. C'est ce que Luc se murmure aussi. Les mieux informés rient sous cape : Luc a beau être marié avec un beau parti, c'est un coureur de jupons invétéré. Et pourquoi s'en offusquer? Moralisme et pudibonderie ne sont pas les mamelles du socialisme branché...
Pourquoi confondre comme chez la piétaille anglo-saxonne la sacrosainte vie privée avec la morale publique? En quittant l'estrade, Luc a repéré une Blackette sympatoche. En regardant bien, il aura distingué une métisse. Luc s'en fout. Pas facho, il est socialo : peu importe - la loi du plus fort. Les Blacks, métisses ou pas, font fantasmer le décoincé (c'est comme ça que Luc se voit). Elles incarnent l'idéal de la jouissance brute (pas sauvage). Luc fonce comme un butor, un taureau, ivre de reconnaissance. Toute sa vie se joue. Sa femme : désir de puissance. Son dévouement politique : désir de puissance. Il faut bien se déstresser de temps en temps. Qu'il se soulage. Séduire ce qui bouge. Le peuple ne peut pas comprendre, mais Luc est resté un hédoniste qui brille par son intelligence.
Un bûcheur qui a besoin d'abattre de la besogne. Luc est massif. Un coup de taureau, un buste de stentor, cent kilos d'énergie. Pas de graisse à brûler. Luc a trouvé dans le sexe le moyen de passer son anxiété. Il a réussi à force de potasser l'économie, au point qu'on le considère comme le plus compétent des politiciens économistes. Une perf. Il allie l'excellence académique avec l'habileté politicienne. Il se montre flatté de sa réputation : trousseur de jupons amateur de bonne chère.
Comment s'appelle-t-elle - déjà? Les femmes sont sa soupape de répression pour tenir le coup, le rythme des postes, les voyages incessants, les palaces impersonnels. Le monde rêve de dolce vita, Luc a trouvé la parade au luxe : la luxure. La débauche embauche, avec la complicité de sa femme. Il court les clubs libertins chics, les partouzes bourgeoises. Depuis trente ans, il cumule les maîtresses. En plus de sa femme pour la galerie, il entretient une soubrette pour donner de l'air - plus des coups à droite à gauche, en général lorsqu'il donne des conférences.
Heureuse (sur)prise : le père de la Blackette fonce sur lui. Avec sa fille! Luc tient sa prochaine maîtresse. Confirmation : c'est une métisse. Son père est un militant de longue souche d'Eonville. Aveuglé par l'aura de notre Luc qui dore ce qu'il touche, l'immigré du Dahomey est honoré. Ne pas repasser. Bonne pioche : l'immigré lui présente sa fille. File dans ta chambre. Le père est l'entremetteur. Il admire tellement Luc, le Candidat ouvert et prometteur. Très important pour un immigré du Dahomey, la reconnaissance. Une vie de mépris. C'est dans la poche. Le vieux séducteur impénitent. Il baragouine le père, ravi qu'un candidat à la présidentielle lui accorde son attention et sa considération. Le Noir enfin considéré : vive l'oligarchie.
Comment s'appelle-t-elle? Puis il embrasse la fille. Tactique d'approche. Elle sourit. Quand il lui tient la main, comme un vieux candidat en campagne, elle ne se défile pas. Elle le regarde droit dans les yeux. Jeune, fraîche. Juvénile, gracile. Futile, attirée par l'or, les paillettes. Tel père, telle fille. La fille personnifie l'appétit de réussite sociale et professionnelle du père. Luc sait : il va la revoir. Il va l'emmener à l'hôtel. Toujours la rengaine, avec les gonzesses : quand on est connu, médiatique, la politique, le pouvoir de séduction se situe au zénith. Aphrodisiaque top. Luc n'a plus qu'à s'éclipser. Il fait ce qu'il a toujours su : baratiner un max histoire qu'on le trouve proche des militants.
Près du peuple. Il s'en fout, il relève de l'élite. Il domine - les militants, les électeurs, les peuples. Il couche des soubrettes, il tchatche des prolos, de préférence Arabes ou Noirs. le peuple est son tiroir-caisse. Luc mentalité élitiste : la majorité sert les élus. Il en fait - parti. Bon, il ne croit pas en Dieu. Si Dieu n'existe pas, tout est béni. Il est socialiste au fait - il est matérialiste. Pas de temps pour affronter ses idéaux. Il fonce vers l'hôtel de luxe. Passe-temps favori. Il va retrouver... Bon sang, il ne sait même pas son prénom. Comment s'appelle-t-elle - déjà?
Le père le lui a dit, tout à l'heure, quand il faisait semblant de l'écouter. Le père s'est cru puissant. Les Africains ont un passé d'esclavagisme, colonialisme, impérialisme : ils sont victimes - de la mode. Ils ont intégré la violence de la domination. Ils aiment les maîtres, pas les esclaves. Le père aime Luc, sans savoir pour sa fille. Bon sang, comment s'appelle-t-elle? Il y avait trop de monde, trop de bruit, trop de strass dans le tohu-bohu de l'après-discours. Trop de mains à serrer en s'éclipsant. Ne pas se rappeler du prénom, l'omission avouée ferait tache. Luc tient à sa mémoire et à montrer - qu'on peut concilier l'intelligence avec le tact. Toujours se montrer courtois, exquis, délicieux. Luc est un gentleman social, qui se fout des autres qui ne peuvent rien lui apporter.
Le père pouvait lui apporter sa fille : intéressant larbin. Judicieux séide. Les autres sont à sa botte. Ne comptent que les apparences. Il ne dédaigne pas à l'occasion, pour se détendre, de jouer aux échecs avec deux philosophes déjantés et nihilistes, qui lui serinent que seules les apparences existent. Luc a un chauffeur, dont il ne change jamais entre ses différents mandats. C'est d'autant plus pratique qu'il s'agit d'un vieil ami - dépannage grassement rémunéré. Luc entretient le culte des amis. Ce sont des proches, du milieu de la communication, de la publicité ou des affaires qui lui ouvrent gracieusement des appartements quand il a besoin de recevoir une poule. On sait : Luc vous le revaudra. C'est un être généreux : un formidable homme de réseaux. Une toile d'araignée ambulante.
Le chauffeur le connaît si bien que nul n'est besoin pour Luc de préciser l'adresse où il entend se diriger. Une habitude chez Luc : après chaque discours, il a besoin d'un bon réconfort. des fois, la jeune femme attendait directement derrière la voiture. Le chauffeur se taisait. Il n'est pas là pour poser des questions - d'autant qu'il connaît son Luc sur le bout des ongles. Quand Luc a plus de temps, il emmène ses conquêtes dans cet hôtel, un luxueux et discret palace, une chambre d'hôtes. Comment s'appelle-t-elle, bordel?
L'endroit se situe dans une petite ruelle derrière la cathédrale - inaperçu. Luc le Vénitien aime l'incognito. C'est le bon endroit pour dormir. Tout confort, discrétion assurée. La patronne est à l'image de Luc : luxe et progressisme. Elle émarge sans souci au rayon des bobos à l'aise. Elle se targue d'une amitié avec Luc. Lui laisse dire. Il a quitté Eonville, mais quand il revient dans son fief, il aime se ressourcer ici. Un air de maison cossue, pas d'hôtel ouvert aux vents. Personne ne vient, pas de journalistes, pas d'oreilles indiscrètes. La patronne est la seule à témoigner.
Elle s'amuse des aventures extraconjugales de Luc. Quand on joue à l'aristo, on est à cheval sur les élégances. La morale ennuie. La voiture s'arrête, le chauffeur part prévenir la propriétaire. Programme rôdé : deux verres d'apéro, une table retirée, de l'ombre et des oeillades, direction la chambre. Toujours la même suite, la plus luxueuse, la plus discrète. Luc dispose d'émoluments qui lui autorisent la triple vie à l'abri du besoin. Il sort de la limousine, itinéraire huilé, rentre dans l'hôtel, part prendre une douche. A la fin de l'envoi, je couche.
Si certains clients le reconnaissaient, il serait une ombre furtive partie se ressourcer avant la réception du soir. Pas de ragots, ni d'ergots. Le chauffeur est parti chercher la dulcinée. Elle attend devant la réception, nul doute. Pas de prénom, encore moins de nom. Luc aime sa fille, amis les femmes sont des objets. Une métisse à l'air innocent, pas vraiment laide - ni jolie, la fille d'un militant socialiste ayant le bon goût d'être Noir diplômé. Elle aussi fera son chemin dans la vie. Elle sort de bonnes études, discipline stricte, solides diplômes, elle est attirée par les hommes riches et influents. Elle fera du chemin, cette petite.
Comment diable s'appelle-t-elle? Luc n'a pas l'intention d'aller au-delà d'un soir. Avec ces jeunettes, au départ, elles se montrent fascinées et dociles; puis elles se rebellent, en viennent aux reproches et aux exigences capricieuses. Luc est très fier de son impunité. Il peut tout se permettre, il se tient au-dessus des lois. Ce qui chez un autre passerait pour de la malhonnêteté et de la fourberie, chez lui, c'est bonus - ou cadeau. Dans cette époque de fric facile et d'impérialisme triomphant, Luc est l'incarnation de l'oligarque au pouvoir. Il vit dans le luxe, il a du succès - politique, médiatique et social.
Il se croit au-dessus des lois. Au-dessus des femmes. Au-desus des autres. Il sourit, rit, s'ébaubit. Il ne prend pas en compte la réalité. Il est le roi, le dieu, le trésor. Il prend des pilules pour ne plus dormir, encaisser les décalages horaires, les agendas surchargés, les réunions entre deux continents. Dérives d'amphétamines. Ses admirateurs louent à mots couverts et choisis son appétit sexuel qui serait la preuve de sa joie de vivre et de sa supériorité de nature. Oligarque orgiaque, il ingurgite aussi des pilules pour doper sa libido. Il compte de bons toubibs. Il est servi par des conseillers en com' d'excellence.
La vie roule pour lui. Seul problème : il ne se sent à l'aise nul part. La politique l'ennuie vite. L'économie est un mirage masqué. Les badinages laissent un goût amer : toujours mentir se révèle fatigant. Les femmes ne méritent pas qu'on leur consacre plus d'un quart d'heure. Luc est envahi par ces garces. L'enseignement supérieur est une course aux honneurs sous couvert d'excellence académique. On se méprise à force de servir le pouvoir intellectuel. Luc aussi s'amuse, la fête, joue aux échecs, la tête, voire au ping-pong, la bête. Ce n'est jamais longtemps.
Il a besoin d'honneurs, de travail. Il se déculpabilise avec le sentiment de tuer le temps. Les femmes sont son - dérivatif. Il perd son temps. Comment s'appelle-t-elle déjà? Encore une passade, encore de la poudre aux yeux. On lui envie sa position au-dessus des lois. Il fait la loi? Lui ne s'en amuse guère. L'impunité est relative. Un jour, il tombera. Quand ses soutiens ne seront plus aussi puissants, on ressortira les affaires. Corruption, magouilles, pots de vin. Abus de biens. Les femmes - la panne. Les femmes feront tomber le tombeur dans la tombe. Un, deux témoignages sentis, quelques accusations salaces, sa réputation sera détruite.
Il ne pourra plus se présenter à une élection. Il sera l'objet de la réprobation générale. On le traitera de salaud. Les féministes enragées lui feront la chasse. Les femmes le jugeront sans classe. Les hommes estimeront qu'il est trop déséquilibré pour diriger un pays aussi imposant que la France. Il sera la bête à courre, l'homme à abattre, le cerf et valet. L'ancien oligarque dont la tête a roulé sur le billot des intrigues mondaines. C'est cela, le règne de l'impunité : un jour on est en haut, le surlendemain, tout en bas.