mardi 27 avril 2010

La vieillesse éternelle

Dans la salle à manger, trois blangos. Un jeune à crâne rasé. Les acclimatées vérifient le tiep façon capitaine. Un tismé arabe, le monde jure qu’il est blanc. Ils portent le même costume. Un trois pièces sénégalais. C’est musulman. Les rakias fument au-dessus du riz. On mange la même sauce. On cultive le même culte. L’exotique, superficie.
Dans la cuisine, un tonique échalas. Un beau Sénégalais. Mamour, sous-nom maternel. Prénom confidentiel : Lamine. La mine à phare chauffe le four à blanc. L’alchimiste remplit sa mission : le Boss a confié sa tâche à shit. La recette : fondre deux saves d’import Maroc et les mélanger avec la pâte Sénégal. La patrie vous sourit. C’est ainsi qu’on oublie. Lamine exulte. La confiance dore. Au Sénégal, il est mort. On le mord. Renié, il renaît. En France pour études, il jackpote son danger. À la fenêtre, un drapeau de dictateur africain cache la vue. Garde à vous. Un salaud – tortionnaire. Un assassin. Un criminel. Tant mieux. D’où sort-on ce raté ? Pas d’apologétique. Pas d’idéologique. Le but : filer la surveillance. Les condés des tours infiltrent.
Quand on trafique, méfiance. On se fie au défi. On flirte avec la parano. Dans la salle de bain, la lumière brille. La sista Comba a filé avec une compatriote. Elle fuit le trafic maison. Ça ne lui plaît pas. Elle cache les histoires à la mère mais elle regrette l’époque où le Boss était un petit des tontons. Le père est mort, il se croit tout permis.
C’est dans la chambre du Boss que ça se passe. Pape, on dit Mous, personne ne sait pourquoi. Le Boss gaze. Ça en jette, les spliffs. La pièce est tellement enfumée que les murs fument. Le Boss n’est pas seul. Il n’est jamais lâché. Deux collaborateurs planent sur le lit double matelas. L’Arabe sort de la banlieue d’Eonville. Il est en permission militaire. Il vaque à son service. Il tape à l’enfer. Il gobe des ecstas à langueur de nuit. Il draine dans les boîtes. L’autre est du Cameroun. Le natté dead inspire plus qu’il ne deale. Le rappeur représente. C’est râpé question carrière. Il toaste derrière les entrées, entre deux squares. Il traîne à la MJC. C’est un mythique de l’underground mytho.
Pape est tondu des tendus. Il guette un arrivage. Pas came, shit ou rabla. De la camelote. Du biz. Pape est un malin. Il bricole dans les vêtements. Des associés lui rabattent les occases. L’équipe du casse d’occase braque des dépôts, entrepôts en camionnettes. Ils sillonnent la région, là où la qualité est qualifiée. Ils braquent les baraques. Ils blindent le fourgon. Mission accomplie, Pape fourgue aux revendeurs. Les marges plus que larges. Ça paye double shit, moins craignos que la dope. La police s’éveille. Faut veiller les douaniers. À part les sheriffs, c’est la belle vie du vice.
Pape fiance la France. Sans travailler, on a la trouvaille. Sa réputation de bang du gang, Pape est adulé dans le quartier. Il gaze à la gazelle et sertit en serviteurs. Le drôle renverse les rôles. Les Blancs des barres l’assistent, Merco ou Golf, moyennant quelques services. Pape n’est pas avare. On tait pour lui. Un Noir anar, c’est plus que bien vu. T’es culte en moins de deux. Tu lâches les pires crasses, t’es absous des sous. Si tu défies la loi, tu es héros. Tes valeurs de voleur en pièces. Pape n’est pas Robin des tours. Le céréalier engrange un max de blé, flambe les soirées afro. Il circule en bande, on craint son respect, sa réfutation est réputée, personne ne refuse l’entrée, il prend des bouteilles, il paye comptant, c’est un joli cœur, il repart blindé, il est quelqu’un.
« Pape, c’est pour toi ! »
L’officielle joue la standardiste. Karima est la cop’s. En plus des cinq maîtresses du moment. Chef de ghetto, les nénettes tombent. Karima est trop fière pour voir clair. Elle se réveillera quand elle maturera. Pape ouvre la porte. Un rabatteur de douze ans est à la porte. Il s’appelle Mouloud, c’est une graine de délinquant ; un bon à rien que plus personne ne veut – ni les centres d’accueil, ni les prisons, ni les collèges. Le gamin graine de violent, turbulent, pagailleur. Il est sorti du système la haine haute. Il pige pour les piégeurs. Ses parents sont parés.
« Ils sont en bas… »
Mouloud est hors contrôle, sauf pour les cadors. Le respect, c’est la crainte. Pape sourit : ils, c’est son bras droit et l’équipe. Le blé est de sortie. Il entend la voix d’Alain Méribel, que tout le monde prend pour son frère. Il n’a ni frère, ni ami. Il profite. Il profile. Il se moque. Alain traîne avec lui ; point bourre. Ils fument ensemble, ils taffent ensemble. Rien à battre du reste. Alain est un gadjo, un orphelin de la rue depuis ses quinze ans, un taulard qui a usé les familles d’accueil. Un Sans Dealer Fixe. Il crèche chez Pape. Il tourne à l’héro. Pape profite de sa pomme. Il lui file sa camelote, l’autre est son bras droit.
« Le casino attend en bas… »
Alain a dû fumer un spliff trop serré, il a les yeux explosés. Alain est un foncedé chronique. Surtout ne pas poser de questions ni manifester d’inquiétude. La bande dispose d’un local dans une cave discrète du coin. Un lascar utilise la propriété inutilisée des darons. On entasse les fringues, on les fourgue ni vu ni connu. Les schmitts sont déphasés. Ils traquent le marcassin, pas le mocassin.
« J’ai débouché le champ’ ! »
Pape cultive sa légende. Il est Africain. Il est insouciant. Il est fêtard. Il croît dans sa bonne toile. Il crie dans les gris-gris. Il impressionne par ses facilités. Il bave les interdits. Il défie la loi. Il est contre la société. Preuve que sa rébellion marche : il est entouré d’une foule, admirateurs, courtisans, profiteurs. Traîner chez Pape, c’est signe qu’on est – de la mode. On est dans la place. On en naît. Pape fête son dernier plan. Dans un mois, il aura amassé de quoi flamber en voyage. Retourner dans sa millefa, au Galséné – branché, le verlan. Un serviteur a ramené du vin et de la bignouse. On va chouache. Le Camerounais se met à psalmodier ; une impro rap-ragga comme il en a le secret. En parallèle, Lamine a branché la sono. Il lance du reggae.
C’est cool, le reggae. On écoute du roots, respect. On hait contre le système. On ne sait pas trop contre quoi, mais on est tout contre. Les joints sont allumés en moins de deux. Les petites meufs ont plus envie de fumer que de manger. Elles sont venues pour s’enfumer. Elles délirent dans l’antre du diable. Elles comptent profiter. La nuit ne fait que commencer. Après, on bougera dans une boîte afro. On dansera la soirée. On boira. On fumera. On participera à quelque chose. Pape est reparti dans la cuisine. Il lance son thé sénégalais, trois tasses si serrées qu’elles vous réveillent un macchabée. Il a l’intention de délirer, de piaffe du sky et de pécho une petite chaudasse dans le dos de Karima. Karima ne capte rien. Karima dort. Pape la jettera pour repartir de l’arrière. Il est un dealer naturel. La mort lui appartient.

mardi 13 avril 2010

French carcan

Claude Delacampagne roucoule comme un paon. S’il peut, il fait la roue. À chaque fin de matinée, il est bourré. Il boit dès le petit matin, au réveil ; il est chef de rédaction. Du moins en retraite. Il a claironné comme un mort de faim qu’il s’opposerait contre vents et marées au candidat ultralibéral Alain Méribel. Maintenant que ce dernier est élu Président de la République française, il s’est bien gardé de le défier. Quelques piccadilles, il a revendu le journal mythique qu’il avait formé avec trois associés. Une légende : Delacampagne. C’est le statut qu’il s’accorde. Il pèse plus lourd que son journal. Le cigare aux lèvres, le cheveu hirsute quoique rare, chauve comme un moine, il pétille d’intelligence.
Son journal, c’est un étendard, un drapeau qui claque dans la brise de la presse : L’Observatoire. Laboratoire de l’observation journalistique. Personne n’a songé en trente piges d’existence à lui contester sa qualité d’hebdo. De grandes plumes s’y croissent. Delacampagne bien entendu, plus que les autres confrères journalistes. Delacampagne est entiché : les journalistes représentent l’avenir de l’intellectuel. Les journalistes : entendre le panier parisien, ceux qui ont percé et dont le talent de plume s’exerce dans les grands titres – pas les plumitifs qui s’échinent à pisser des lignes pour compter les chats écrasés des quartiers.
Courageux mais pas téméraire, Delacampagne a quitté son hebdo. Il est maintenant électron libre. La retraite n’existe pas pour un cerveau. Il vend du livre, un à deux l’an. Il anime un site Internet, des milliers de visites la semaine. Il est détesté des ultralibéraux, il se situe autour d’une position de centriste. Les grands esprits oscillent entre la politologie, l’événementiel, le politique, la réflexion, l’action… Lui butine entre les conférences, les analyses, les essais. Il contemple son parcours, entre académisme et journalisme. Il passe dans les émissions de télé.
On le demande ; son avis compte. Il est consulté. Il est consultant. Il est poil à gratter. Il finira en trublion consensuel. Il commence par dénoncer ; il finit par valider. C’est sa méthode. Il se définit comme conservateur progressiste. Les imbéciles répliquent qu’il serait surtout un vendu du libéralisme, qui l’utilise comme adversaire de service. Pas d’accord : Delacampagne est trop brillant pour être manipulé. C’est son avis sur la question.
Cette semaine, il est émoustillé. Il est un homme du livre. Il est un homme du libre. L’Observatoire lui a passé commande. Il cachetonne à la pige de luxe. Un numéro sur Internet. Les dérives d’Internet. Les rives de Gutenberg. Delacampagne entend dresser la critique d’Internet d’un point de vue Gutenberg – sans pour autant verser dans les poncifs – Internet et la pornographie, Internet et le complotisme, Internet et l’antisémitisme, Internet et l’extrême-droite, Internet et la calomnie… Etcetera. Delacampagne est un prof qui adore les problématiques. Sa problématique est d’un modéré. Centriste. Libéral. Consensualiste.
Delacampagne bat la campagne. Il a acheté un mas provençal, qu’il a retapé. C’est sa fierté. Sa réussite. D’après lui, Internet est au service de Gutenberg. C’est sa ligne – sa conduite. C’est sa vision : le Progrès conserve. Il n’a rien contre Internet. Internet est au service des journalistes. Les complotistes, pas son rayon. Il hausse les épaules. Pour lui, franchement, ce sont des pauvres types qui délirent sans la réalité. Lui, il est l’analyse, l’engagement, la réflexion, l’inflexion, la flexion. Delacampagne est gymnaste. Un gymnaste qui picole. Delacampagne est un original. C’est son image dans le milieu. On le dit hors normes. Il sourit.
Il a le chic pour se démarquer de son monde sans choquer. C’est son talent. Il fait dans l’accord. De temps en temps, il sort une pique, puis se rattrape. Pas question de quitter la route. Un dinosaure suit sa ligne. Conduite. Pour Internet, il a trouvé la conciliation. Il parade. Ce sera Internet au service de la presse. Ils ont tous peur d’Internet, lui a plutôt peur de peu. Internet est ami. Il a bouclé son numéro. Il a fini son édito. Il reçoit par fax les différentes commandes. Certain, ce numéro va s’arracher. Une fois de plus on dira que Delacamagne est bankable. Delacampagne est une affaire. Delacampagne est le cerveau. Le cerf vaut – son pesant d’eau. L’Observatoire vaut une messe.
Delacampagne est un libre penseur. Un libre peseur. Il se sert une lichette. Une anisette. Un pastaga. Delacampagne a le sentiment du devoir. Demain, il pend le TGV. Il file pour l’Est. Eonville. Une vile de province. Il adore le terroir (pas plus de deux jours). On lui commande une conf’. Changements stratégiques et mutations industrielles. Il baragouine, on l’admire, de quoi se plaint-on ? Il a peur de clamse. Quand il a les pétoches, il bouteille. Il vermeil. Ce soir, il devait sortir, voir une pièce, du théâtre, finalement, on a décommandé. Un animateur lui demande de commenter l’actu sur son plateau. Du prime time. On le bichonne. Bientôt le vieux sage.
Il prend des trémolos dans la voix pour montrer la voie. Il essaye de peu se montrer. Pas trop, pas top. Il se méfie de l’exposition. Il ne pense jamais au lendemain. La postérité, il rigole. Le caniveau vaut les veaux. À vau-l’eau. Le succès, c’est maintenant. Il est du présent. Il ressert un dernier godet. L’insouciance. Les grands esprits boivent beaucoup. Il boit pas mal. Il pèse son mal. Il tise son râle. Il tisse sa toile. L’araignée bourrée a son coup d’avance, dans le nez. Tout lui est permis. Conduire. Jamais ivre. Imbibé. S’il s’effondre, ce sera la révérence. La référence. Délivrance. Il croule sous la popularité. Il coule sous la spontanéité. Il sue. Il a froid. Il est cœur. Il est choix.