mardi 13 avril 2010

French carcan

Claude Delacampagne roucoule comme un paon. S’il peut, il fait la roue. À chaque fin de matinée, il est bourré. Il boit dès le petit matin, au réveil ; il est chef de rédaction. Du moins en retraite. Il a claironné comme un mort de faim qu’il s’opposerait contre vents et marées au candidat ultralibéral Alain Méribel. Maintenant que ce dernier est élu Président de la République française, il s’est bien gardé de le défier. Quelques piccadilles, il a revendu le journal mythique qu’il avait formé avec trois associés. Une légende : Delacampagne. C’est le statut qu’il s’accorde. Il pèse plus lourd que son journal. Le cigare aux lèvres, le cheveu hirsute quoique rare, chauve comme un moine, il pétille d’intelligence.
Son journal, c’est un étendard, un drapeau qui claque dans la brise de la presse : L’Observatoire. Laboratoire de l’observation journalistique. Personne n’a songé en trente piges d’existence à lui contester sa qualité d’hebdo. De grandes plumes s’y croissent. Delacampagne bien entendu, plus que les autres confrères journalistes. Delacampagne est entiché : les journalistes représentent l’avenir de l’intellectuel. Les journalistes : entendre le panier parisien, ceux qui ont percé et dont le talent de plume s’exerce dans les grands titres – pas les plumitifs qui s’échinent à pisser des lignes pour compter les chats écrasés des quartiers.
Courageux mais pas téméraire, Delacampagne a quitté son hebdo. Il est maintenant électron libre. La retraite n’existe pas pour un cerveau. Il vend du livre, un à deux l’an. Il anime un site Internet, des milliers de visites la semaine. Il est détesté des ultralibéraux, il se situe autour d’une position de centriste. Les grands esprits oscillent entre la politologie, l’événementiel, le politique, la réflexion, l’action… Lui butine entre les conférences, les analyses, les essais. Il contemple son parcours, entre académisme et journalisme. Il passe dans les émissions de télé.
On le demande ; son avis compte. Il est consulté. Il est consultant. Il est poil à gratter. Il finira en trublion consensuel. Il commence par dénoncer ; il finit par valider. C’est sa méthode. Il se définit comme conservateur progressiste. Les imbéciles répliquent qu’il serait surtout un vendu du libéralisme, qui l’utilise comme adversaire de service. Pas d’accord : Delacampagne est trop brillant pour être manipulé. C’est son avis sur la question.
Cette semaine, il est émoustillé. Il est un homme du livre. Il est un homme du libre. L’Observatoire lui a passé commande. Il cachetonne à la pige de luxe. Un numéro sur Internet. Les dérives d’Internet. Les rives de Gutenberg. Delacampagne entend dresser la critique d’Internet d’un point de vue Gutenberg – sans pour autant verser dans les poncifs – Internet et la pornographie, Internet et le complotisme, Internet et l’antisémitisme, Internet et l’extrême-droite, Internet et la calomnie… Etcetera. Delacampagne est un prof qui adore les problématiques. Sa problématique est d’un modéré. Centriste. Libéral. Consensualiste.
Delacampagne bat la campagne. Il a acheté un mas provençal, qu’il a retapé. C’est sa fierté. Sa réussite. D’après lui, Internet est au service de Gutenberg. C’est sa ligne – sa conduite. C’est sa vision : le Progrès conserve. Il n’a rien contre Internet. Internet est au service des journalistes. Les complotistes, pas son rayon. Il hausse les épaules. Pour lui, franchement, ce sont des pauvres types qui délirent sans la réalité. Lui, il est l’analyse, l’engagement, la réflexion, l’inflexion, la flexion. Delacampagne est gymnaste. Un gymnaste qui picole. Delacampagne est un original. C’est son image dans le milieu. On le dit hors normes. Il sourit.
Il a le chic pour se démarquer de son monde sans choquer. C’est son talent. Il fait dans l’accord. De temps en temps, il sort une pique, puis se rattrape. Pas question de quitter la route. Un dinosaure suit sa ligne. Conduite. Pour Internet, il a trouvé la conciliation. Il parade. Ce sera Internet au service de la presse. Ils ont tous peur d’Internet, lui a plutôt peur de peu. Internet est ami. Il a bouclé son numéro. Il a fini son édito. Il reçoit par fax les différentes commandes. Certain, ce numéro va s’arracher. Une fois de plus on dira que Delacamagne est bankable. Delacampagne est une affaire. Delacampagne est le cerveau. Le cerf vaut – son pesant d’eau. L’Observatoire vaut une messe.
Delacampagne est un libre penseur. Un libre peseur. Il se sert une lichette. Une anisette. Un pastaga. Delacampagne a le sentiment du devoir. Demain, il pend le TGV. Il file pour l’Est. Eonville. Une vile de province. Il adore le terroir (pas plus de deux jours). On lui commande une conf’. Changements stratégiques et mutations industrielles. Il baragouine, on l’admire, de quoi se plaint-on ? Il a peur de clamse. Quand il a les pétoches, il bouteille. Il vermeil. Ce soir, il devait sortir, voir une pièce, du théâtre, finalement, on a décommandé. Un animateur lui demande de commenter l’actu sur son plateau. Du prime time. On le bichonne. Bientôt le vieux sage.
Il prend des trémolos dans la voix pour montrer la voie. Il essaye de peu se montrer. Pas trop, pas top. Il se méfie de l’exposition. Il ne pense jamais au lendemain. La postérité, il rigole. Le caniveau vaut les veaux. À vau-l’eau. Le succès, c’est maintenant. Il est du présent. Il ressert un dernier godet. L’insouciance. Les grands esprits boivent beaucoup. Il boit pas mal. Il pèse son mal. Il tise son râle. Il tisse sa toile. L’araignée bourrée a son coup d’avance, dans le nez. Tout lui est permis. Conduire. Jamais ivre. Imbibé. S’il s’effondre, ce sera la révérence. La référence. Délivrance. Il croule sous la popularité. Il coule sous la spontanéité. Il sue. Il a froid. Il est cœur. Il est choix.

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