mardi 25 janvier 2011

Sa mère

Elle allume sa pipe. Elle flambe le canapé. L'air mâle lui vient comme un gant. Elle domine, mine. Elle minaude, ode. La souris joue au rat. Elle : Claire Heim, professeur de littérature générale à l'Université d'Eonville. Elle vit seule dans son grand appartement : cent dix mètres carrés. Son fils est éjecté, sa fille est mariée. Claire déteste les hommes. Elle a détruit le fils. C'est une loque, une lopette, un raté, a foiré ses études, n'a aucun caractère, aucun avenir. Elle est heureuse de ce ratage, car le fils ressemble au père.
Elle ne sait pas pour l'homo. Il cache ses pulsions, il ne peut avouer. Il drague. Un séducteur, on dit chez les intellos. Ca fait chic - sonne moins choc. La fille a cartonné. Elle est arriviste. Super sympa, à condition qu'elle domine. Ceux qui acceptent sont ses amis. Les autres, elle entre en concurrence. C'est une huile rance. Elle a réussi sa vie. Maman Professeur à l'Université, la fille est itou.
Le piston aide. Maman très fière de sa fille, sa fille lui ressemble : profil, n'aime personne. Pas son mari, ni ses enfants. Elle ne pense qu'à dominer. C'est un petit monstre froid, une bourgeoise de l'intellect. Elle dépense comme à la Bourse : s'agit que ça rapporte. Sinon, prends la porte. A force de traîner son boulet en comète, la mère est blasée. Elle est très seule. En retraite, elle a perdu ses dérivatifs.
Longtemps, son jeu aura été la souris. Tant qu'elle détenait une position mode domination, elle était chat. Elle se tapait des étudiants. Plus des collègues, plus des connaissances : ça lui passait le temps. Le sexe oublie qu'on est seul, méchant et sans vie. Claire déprime. Dur, d'être une femme seule. Plus personne ne donne de nouvelles. Quand elle est partie en retraite, on était soulagé.
Elle n'était pas la femme intelligente et stricte, mais la manipulatrice qui détruisait son monde. Elle s'en moque. Elle a décidé - de partir. C'est son rêve. Changer d'air. Ses enfants grands, son boulot la quitte. L'enfer n'est pas devant. Elle vivra en Espagne. Son amant préféré est exilé à la Réunion.
Quitter Eonville. Ville où elle a divorcé, son temps à pleurer. La vie de célibataire. Quand on est libre, on est condamné à la solitude. Enchaîner les amants, lot de consolation, exil. L'exil extérieur. L'exil géographique. Elle bouge en bilingue. Elle exprime l'espagnol. Elle sera espagnole. Elle jouera à une femme moins honnie.
Marre de sa perdition. Son fils, elle le voit de loin. Sa fille : trois enfants adorent leur grand-mère - gentille mamie. A cinq ans, on aime le monde. Claire déteste la mode. Elle méprise, pas vraiment. Pour mépriser, il faut avoir le coeur sec - Claire est sensible. Claire se méprise. Pauvre Claire.
Tous la croient femme seule et intelligente, entourée de ses pipes et de ses livres, en fait, c'est une femme seule et triste. Dépressive. L'Espagne lui donnera baume au coeur. Elle ne croit en rien. Pas de Dieu, sang-maître. Des collègues, surtout si ce sont des hommes. Elle a contracté son dernier amant juste avant sa retraite.
Un étudiant paumé qu'elle a hébergé. Claire est une bête à bac. L'intelligence, c'est les concours. Tu marches, elle court. Maintenant qu'il a réussi son bacho maître des écoles, l'étudiant a refait sa vie. Il est poli, pas trop intelligent, si attentionné. Il traîne avec le fils. Un moyen avec un raté. Ils jouent au basket. Claire déprime sévère. Son médecin la calme. Elle fait comme si elle dominait son blues.
Elle lit, elle fume la pipe, elle dorlote. Claire s'est fait à l'idée de finir sa vie seule. L'Espagne vaut mieux que le concubinage troisième âge. Elle n'a besoin de personne. Une femme intelligente est émancipée. Une féministe ne craint pas la solitude. On sonne à sa porte. Elle court, froide et très rigide. Elle est morte longtemps. Depuis son divorce, une vie antérieure. Comme elle n'a peur de rien, elle tire le verrou sans précaution. C'est un ex.
Elle veut le congédier. Un fâcheux, qui enseignait le sport à la piscine de la fac et qui s'ennuyait de sa femme. Il s'appelle Luc Méribel, il a une petite barbe et il a l'air très soucieux. Il ne fume pas, il ne boit pas, c'est un mâle sain. Claire est sortie avec la kyrielle des barbus. Elle ne se remémore plus la liste exhaustive.
"Je suis venu pour l'addition..."
Claire ne s'attendait pas à cette réplique étrange. Elle le fait entrer. Il ne parle pas. Il lui saute dessus. Claire affecte l'imprévu. Elle laisse. Ca l'amuse, qu'on la désire encore. Elle lorgne du côté des jeunes. Luc est dépassé. Déphasé. C'est pour ces caractéristiques morbides qu'elle l'estime. Elle ne peut apprécier que ceux qui vont mal, qui souffrent en désarroi. La crise lui convient. Luc ne perd pas de temps.
Il est dans le tempo. Elle n'a pas pigé, il l'a poussée dans l'ascenseur. Direction la gova. Claire parque sa caisse. Son fantasme, baiser en bagnole, marque de prof. Luc est décidé. Il rattrape le taon. Ce qu'elle n'ose avouer, c'est qu'on la foute à poil sur le capot. Déculotté, le désir. Luc n'ose pas l'impossible. S'il vient quelqu'un, si on découvre le pot aux rosses, ils sont roses. Claire n'a rien à perdre. Elle s'excite avant l'exile au royaume.
Luc l'a plaquée sur le siège arrière. Il souffle comme un phoque sur le retour. Claire n'a d'autre issue que de baiser, seule à deux, seule sans Dieu. Elle fait semblant, vu qu'elle en a marre de tout. Vivement que le porc finisse son ouvrage. Elle a pris ses anxiolytiques. Elle a bu son café. Elle a fumé sa pipe. Elle ne pipera mot. Elle est morte avant l'âme. Sa mère a crevé d'un rongeur. Elle a perdu son frère d'un songeur.
La morale, c'est son péché mignon. Curieux, d'être moraliste immorale? Elle aperçoit par le rétro son putain de fils. Qu'est-ce qu'il fout? Il devait être à l'entraînement de basket? Il ne sait pas jouer, il s'entête, ce blaireau. Ce taré. Et encore, sans savoir qu'il est pédé. Elle affecterait de s'en réjouir, comme d'une victoire sur la masculinité. Le triomphe de l'homophilie. Elle pleurerait un peu plus chez le généraliste.
Si encore elle s'était fait voir avec un jeune, elle aurait nargué son fils. Avec son sexagénaire rôti, elle aura du mal à se la péter. Elle est calée en flag avec un vieux croûton sur le retour - marié et père. La honte. Faut déconner pour se faire prendre à ce jeu. Déjà qu'elle est en froid avec sa pute de soeur et sa merde de frangin encore vivant, là, on va rire dans les chaumières. On la prenait pour une malade, genre détraquée. Qu'est-ce qu'elle est intelligente, elle a assuré niveau diplôme, le reste ne suit pas. Elle est nympho, elle est hystérique, elle est sadique. Rien ne va dans la tête à Claire. Tête à claques.
Le fils est parti, même pas choqué. Il est bizarre. Il est pâle. Il est sombre. Il lui a jeté des verres à la gueule vers dix-huit ans et puis, plus rien. L'asthénie. Un pauvre type. Maintenant, il vit sa vie. Il vire sa cutie. Officiellement, il est célibataire en quête de reconversion. Il foire ses études, il est super nerveux, il enchaîne les périodes galères. Claire fait face à l'irréalité. Sans procès, elle jette son prince charmé et elle remonte, l'air de rien. Elle toise le concierge, sport favori : c'est un con.
Son fils regarde la télé. Lui aussi, qu'est-ce qu'il est con. Elle regrette d'être sa mère. Il regrette d'être né. Son drame est d'avoir une soeur qui réussit. Il est mort avec sa mère. Sa mère l'a tué quand il avait un an. Elle a divorcé et elle l'a méprisé. Il ne s'en est jamais remis. Il a parlé à cinq ans, il a pété les plombs à vingt ans, il essaye de ne plus s'énerver depuis un an.
Il se reconstruit. Son passé est mort. Il va vivre. Sa mère peut se casser. Plus elle sera loin, plus il sera bien. Avec ce qu'il vient de voir, il ne lui enverra plus de verres à la gueule. Il ne lui criera plus dessus comme un dératé. Il ne lui dira plus rien. Il se lève, il allume une cigarette. Elle n'a rien à lui dire. Elle est détraquée. Elle est disjonctée. Il a passé sa vie à sauver sa mère. Maintenant, il est amer. Il finira seul. Il cachera son homosexualité. Il a honte de lui, de sa mère, de sa vie. Il a honte de son couple maléfique. Nique ta mare. Il aurait tant aimé aimer sa maman. Moyennant quoi elle se fait tringler à l'arrière de sa berline pourrie. Tu parles d'une vie.

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