dimanche 27 février 2011

A l'hombre

Dans l'appartement d'Eonville, cité HLM, c'est la tuerie. La barbarie. A terre, Rachid Wallas joue aux dominos. Il ne se drogue pas. Il vend : shit, héro, ecstas et coco. Dans les chiottes, le prisonnier en conditionnelle est en train de vomir. Luc Méribel n'a plus l'habitude de l'héro. C'est dur, sortir de zonzon. Il est monté à cause de ses potes, Rachid en tête. Luc était le convoyeur de la fine équipe. Il est tombé pour quelques kilos de chanvre. Rachid tâte le loulou. Quand Luc sortira, il l'hébergera. Et c'est reparti pour le chaud : Luc braque des apartes de bourges, Luc se came à mort et Luc squatte les entrées. Un cave, le gars.
Dans la chambre, Pape entre et sort. Un clandestin. Un speedos. Pape fume, il ne le sent pas. Pape n'a pas snifé, il flippe que Luc dérouille. Si les condés viennent ramasser un machabée pour overdose, qui est bon pour la dose? C'est aussi à cause de Pape que Luc est monté. Cinq ans auparavant, les lascars ont monté un gang. Vrai bang. Banco. Ils ont braqué la région et ils ont tartiné le coin. Manque de bol, Pape et Rachid sont passés à côté des gouttes. Luc portait. Le taré de la bande déporté. Il a pris trois ans pour connerie. Pas cher payé. Rachid s'est chargé du silence, Pape a lâché l'affaire. Pape ne pense qu'à sa gueule. Il n'a pas de potes. Il méprise sous l'emprise. Luc le sent. Il s'en fout. Il redoute tellement de balancer, Pape prendra soin de lui. Aujourd'hui, jour de perm', Luc a eu droit aux cadeaux.
Héro, joints, paquets, la vie de rêves pour un foncedé. Luc a abusé. Pape n'en peut plus. Il frappe toutes les cinq minutes à la porte. Luc crânait. Luc n'assure pas une cacahouète. Luc est trop con. C'est un gadjo. Un orphelin. Un galérien. Un cramé. Il passera sa vie en taule. Il se fera choper tous les deux ans, il ne sait pas réfléchir. Pape l'a largué. Pape est un enfoiré. Pape est un bandit. Sa sainte trinité : le fric, le deal, la thune. Il méprise le monde. Il bave de rage. Luc ne répond toujours pas.
Pape veut bien faire quelques gestes, mais maintenant, il a une go. Une pure bebon. Tout le monde la lui envie. Il a intérêt à assurer. Monter des plans. Il blanchira dans une sandwicherie. Il n'a besoin de personne. Elle vendra, il cuisinera - les sauces.
"T'es sûr que ça va aller?"
Pape n'aime pas qu'on déconne.
"T'inquiète, il est de sortie, il a besoin d'oxygène…"
Pape baisse d'un ton.
"Et s'il y passe?"
Rachid rigole.
"Sérieux…"
Rachid a un problème : il s'en fout. Il vend des kil de came sans problème de conscience. Il refourguerait à la soeur de son pote. C'est un psychopathe de la poudre. Il a investi dans un standard résidence F-3 à Eonville et il a lancé la maison au bled, village d'Algérie. Rachid clashe cash - cher. Il diversifie dans la prostitution. Le sacre. Pape n'a pas de temps à perdre. Si le chiot ne sort pas des chiottes, Rachid ou pas, il casse la porte. Pas grave, un serrurier le dépannerait. Un pote qui se montre très coopératif contre une barre. Pape a passé du bon temps avec le loulou, mais maintenant, constat : Luc est out. C'est un has been. Il sortira, il squattera, il trafiquera.
Depuis, Pape a grandi. Finie la vie de lascar. Pape retourne dans sa chambre. Pour impressionner la galerie, deux potes et une Blanche, il a posé une savonnette mine de rien sur un banc et un gun manne d'étain sur la chaise. Personne ne parle, les gens ont peur. On défie l'autorité, pas les balles. Ca craint, c'est impressionnant, surtout quand on joue les durs alors qu'on ne connaît rien à la vie.
Ne rien dire. Pape se tait. Il a l'air souriant, il cogite. Comment sortir du guêpier? Vivement que Luc retourne en taule. Pape a peur de perdre sa copine. Peur de perdre son apparte. Peur de lâcher des amis. Il est prêt au risque du blé, la période potes, c'est ovaire. Maintenant, l'urgence est de construire. Pape n'en a rien à foutre des amigos.
Go, il sort avec un métisse. Mieux qu'une Blanche. Une fille de compatriote, un cinglé qui ne veut pas le calculer. Pape est fou, le père est atteint. Hélène quémande les détraqués. Elle kiffe les allumés. Pour peu qu'ils soient Sénégalais, le vaudou est bon. Chez Pape, Hélène vient d'arriver. Elle est belle, le visage brille sans monoï.
Pape est tendu, parce que Hélène exige que Pape cesse cette vie. Vie de voyou. Terminé le shit. Out le flingue. Pape doit se ranger. Sinon Hélène se casse. Pape ramasse. Et cet imbécile de Luc qui squatte les chiottes... Rachid tient la baraque, Luc casse sa bicoque. Vivement qu'il retourne en cabane avant qu'il ne rompe sa pipe. Pape veut la paix. S'il pouvait, il disparaîtrait. Rachid n'en a pas besoin pour monter ses plans. Hélène rêve du Sud, près de la mer. Ca sera mieux que de perdre son tempo dans le bitume d'Eonville. Le brouillard et les phares.
Rachid débarque dans la chambre. Il est chez lui. Si Pape a la paix, il le doit à son amitié avec Rachid. Son protecteur. Sinon, ça ferait longtemps qu'on l'aurait braqué et dévalisé. Les jeunes sont impitoyables entre eux. Pas de cadeau. Son jack-pot, c'est Hélène. Hélène ou Rachid, s'agit de choisir. Pape a fait son choix, Hélène s'amuse à le faire danser. Hélène prend son pied à traîner avec des Blacks sénégalais tendance racailles.
Quand elle se réveillera, elle aura trente balais et un marmot seule. Elle ne se demandera pas comment elle a dilapidé autant d'atouts. Son père? En attendant, Pape croit au miracle, il a droit au calvaire. Il est vert. Il est torturé. Avant de tomber sur Hélène, sa vie était balisée. Hélène est une traîtresse.
"Je peux te parler?"
Rachid embrouille, son genre.
"Pour le deal, c'est ce soir..."
Pape a compris. Pas le choix. Quand on est l'associé de Rachid, Rachid la joue décontracté, sans cadeau. Pas le temps de rire. Pape vend en détail astronomique. Il prend les risques. Rachid le ravitaille. Plusieurs kilos par semaine, plus son marché d'héro, il flambe en millionnaire. La porte s'ouvre. Qui c'est, encore? Pape est armé. Pape est blindé. Non, la porte est ouverte, parce que Pape s'en fout. C'est sa meilleure arme. Pape est un téméraire. C'est un compatriote, un footeux. Ousmane Dabo sort de zonzon - lui aussi. Il joue au foot comme une bête, il est bâti comme un colosse, il a pété les plombs. Il traîne sa grosse tête. Il se prend pour un dieu. Plein de femmes, plein de biz. Il vendait des fringues.
Le stagiaire du centre de formation de l'A.S. Eonville touche une misère. Ousmane a besoin du train d'enfer. Il arrondissait les fins de mois. Il cachetonait en réserve. On lui parlait de contrat pro. Il n'a rien vu venir. Il sortait avec une officielle. Il a pété les plombs. Trop de stress sans strass. Elle l'a trompé, il l'a plantée. Trois fois rien. Une scène de ménage. Il a joué le sketch du forcené avec police et section d'assaut. Les dirigeants de l'A.S. allaient le sauver.
Il fanfaronnait qu'il ne risquait rien. Verdict : trois ans de bagne. Les dirigeants l'ont lâché. Ils l'ont exploité. Ils savaient, il avait dix ans de plus que son âge français. Sobre arnaque. Tant que t'es en forme, t'es un héros. Le jour où tu crains, t'es un zéro. Les sportifs sont des esclaves dorés. Ousmane l'a compris entre quatre murs. Avant, il avait libre exploitation de son melon. Il se prenait pour le troll du pétrole. Tendance afroking. Il paradait, fanfaronnait. Il était intouchable. Il l'est toujours.
Maintenant, on se rend compte qu'il est mégalo, qu'il délire, qu'il raconte n'importe quoi. Il essaye de retrouver son lustre d'antan. Il est grillé. Première mission : répéter qu'il n'a pas perdu le pied et qu'il va rebondir dans un club pro. Deuxième missive : se retaper des gonzesses. Il n'a plus le même crédit. Avant il lui suffisait de claquer des doigts pour faire tomber les mouches. Maintenant, il est déconsidéré. On se méfie de lui. On murmure qu'il bombarde de bobards. Il entretient une régulière, une trentenaire qui se la joue belle et prétentieuse, mais ça ne lui suffit pas.
Pape est son ravitailleur. Pape fournissait les fringues. Ousmane méprise Pape. Il le prend pour un voyou, un barjot, un mauvais. Ca fait des semaines qu'il passe aux nouvelles. En vérité, il drague la belle Hélène. Il lui promet maux et mots. Une baraque, une voiture, du prestige, un statut, des esthéticiennes... Hélène n'est pas insensible au baratin. Avant de fricoter avec Pape le dealer consommé, elle était avec un collègue à Ousmane. Un coéquipier.
Les footballeurs sont un choix de luxe. Un investissement de lucre. Pape a peur. Il flippe. Pas sûr de lui. Hélène est prise entre deux feux : la violence ou les promesses. Le deal ou la frime. Elle pencherait pour la frime, mais Ousmane s'égare. Pape est peut-être barré, mais il tient la barre. Elle s'amuse avec l'ex légende promise à l'avenir le plus rond. Elle teste son pouvoir de séduction. Vu comme elle est splendide, elle s'est jurée de quitter la banlieue. Son enfant vivra l'envers de son enfer.
Elle ne prend pas le chemin de ses résolutions. Elle oscille entre un dealer d'hiver et un footeux voûté. Au grand jeu des questions : Pape va-t-il s'énerver contre son compatriote déchu? Va-t-il jouer la modération et se souvenir qu'il lui déléguait les tâches peu de temps avant le vent? Pape est imprévisible de toutes les réactions, la plus violente comme la plus pacifique. Il ne prévoit rien. Pour l'instant, laisser Luc récupérer, la tête dans les chiottes.
Sans prévenir, il sort commissionner avec Rachid. Les associés vont chercher le matos. Rachid se sert de Pape comme d'un porteur. Rachid a les moyens. La came rapporte. Il achète les condés, les baveux, les lieutenants. Pape ne prévient pas Hélène. Toujours le macho au sang chaud. Sancho à l'essence chaude. Il rentrera la besace remplie de kilos. Et s'il ne rentre pas, Hélène se la racontera en lui portant des oranges.

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